L’année 2019 tire à sa fin; est donc venu le moment des bilans… cinématographiques.
Ermanno (Claudio Segaluscio) et Lena (Sandra Drzymalska) sont deux étrangers. Lena est venue de Pologne pour vendre son bébé. Ermanno doit prétendre être le père pour pouvoir confier le nouveau-né à son oncle Fabio (Bruno Buzzi). Alors que Lena rejette son désir maternel, Ermanno commence à assumer son rôle comme s’il était le père de Sole, la petite fille de Lena. De manière inattendue, ils vivront ensemble la vie de famille.
Dans son premier long métrage, Carlo Sironi revisite l’histoire de famille typique. Ici, il aborde un noyau familial qui se construit hors du lien filial. Déjà le sujet est nouveau, mais Sironi le traite de façon admirable: le malaise et le mal-être des personnages transperce l’écran tout au long du film, par les choix scénaristiques et cinématographiques. Un film qui montre on ne peut plus clairement un questionnement identitaire fondamental.
En temps de guerre mondiale, Philippe (Martin Dubreuil), un déserteur québécois, trouve refuge dans l’Ouest américain en participant à des concours d’imitation de Charlie Chaplin. La rencontre de personnages sous l’emprise d’une folie destructrice propre en ces temps chaotiques, fera du retour de Philippe à la maison un parcours initiatique halluciné, à la rencontre du rêve américain capitaliste à la fois sombre, fascinant et violent.
Avec La grande noirceur, Maxime Giroux propose un film éclaté, un univers surréaliste dans lequel les rebondissements nous happent les uns après les autres. Tout cela se déroule dans un décor à couper le souffle. La direction photo a fait un travail remarquable, créant un vrai régal pour les yeux du début à la fin.
Georges (Jean Dujardin), 44 ans, et son blouson, 100% daim, ont un projet.
J’ai du mal à croire qu’une comédie fasse partie de cette revue de l’année; moi qui n’ai pas d’ordinaire un grand amour pour ce genre. Mais cette comédie noire est farfelue et insensée. On est constamment surpris par les agissements de Georges et cela ne peut que provoquer l’hilarité. Et, malgré tout, on y croit. Jean Dujardin construit son personnage tel un acteur au sommet de son art. Même chose pour le réalisateur, Quentin Dupieux, qui a fait absolument tout dans le film, du scénario au montage. Et le résultat est une oeuvre où image, scénario et interprétation sont parfaitement ficelés.
Leningrad, un été du début des années 80. Tandis que les vinyles de Lou Reed et de Bowie s’échangent sous le manteau, une scène rock émerge en amont de la Perestroïka. Mike (Roma Zver) s’y est déjà fait un nom quand lui et sa belle Natacha (Irina Starshenbaum) rencontrent le jeune Viktor Tsoï (Teo Yoo). Ensemble, ils vont changer le cours du rock’n’roll en Union soviétique.
Avec Leto, Kirill Serebrennikov nous immerge dans la Russie des années 80 et, malgré la distance culturelle, l’identification aux personnages est assurée. Je me sentais revivre avec nostalgie les belles années et les expériences entourant le passage à l’âge adulte, bercée par le rock russe et les séquences dessinées et fantasmées… Ce qui fait d’ailleurs de ce film à l’histoire plutôt classique un vrai bijou qui sort de l’ordinaire.
Peu avant la Révolution française, quelque part dans les forêts entre Potsdam et Berlin, un groupe d’aristocrates libertins expulsés de la cour puritaine de Louis XVI se rassemblent pour réaliser leurs rêves les plus fous où la quête pour le plaisir ne respecte que les lois dictées par les désirs non satisfaits. Une nuit sadienne d’imaginations sans limites, de déchéance élitiste, d’échanges de regards intentionnés et de fantasmes sexuels les plus excentriques.
Avec Liberté, le réalisateur catalan Albert Serra bouscule une fois de plus les conventions du film historique en faisant, à partir de l’histoire des libertins du 18e siècle, un film déconcertant qui nous amène à interroger les codes mêmes de la pornographie. Mais ce qui est particulièrement exceptionnel dans ce long métrage, c’est la capacité du réalisateur à solliciter la capacité imaginative du spectateur et de lui faire voir des images qu’il ne montre pas à travers le scénario et le choix des plans. Peu d’actions au final; c’est une seule et même nuit, dans un seul et même lieu, qui est montrée dans les deux heures que durent ce film. Mais quelle prouesse de nous captiver ainsi malgré cela! Loin des films historiques typiques, le traitement du sujet proposé par Serra fait de Liberté une oeuvre cinématographique audacieuse, hors du commun et très actuelle.
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Une jeune femme tente de se décrire, se présentant sous un jour idyllique, mais la narration visuelle raconte une toute autre histoire, illustrant avec une force poignante la charge anxiogène de l’hyperperformance.
Avec des images simples, mais frappantes, en animation 2D, contredites par la narration qui les suit, la réalisatrice Catherine Lepage met en évidence la facilité avec laquelle on se ment à soi-même et la façon dont le rythme de notre société mène tout droit à l’anxiété et à la dépression. Un court métrage qui illustre de manière parfaitement juste ces troubles de santé encore trop tabous…
Étienne (Vincent Nolin-Bouchard) goûte pour la première fois à l’amour. Désemparé, il jouit dans ses pantalons en donnant un cunnilingus à Mauve (Angélique Patterson), la jeune femme dont il est épris. Trouvera-t-il les bons mots pour justifier sa fuite?
À travers une comédie légère, la réalisatrice et scénariste Franie-Éléonore Bernier réussit avec brio à briser les tabous entourant certaines pratiques sexuelles. Tout ça avec beauté, délicatesse et rire. Un court métrage parfait. Un petit bijou qui fait du bien.
En mars 2015, trois tableaux de l’artiste peintre Matt Jaeborn sont mis aux enchères chez Christie’s. Ces toiles ont de quoi surprendre, puisqu’elles sont en fait des peintures à numéros réalisées par l’artiste alors qu’il était enfant. Plus encore, le triptyque s’envole pour la somme faramineuse de 14 millions de dollars. Qui se cache derrière cet achat insensé? Que révèle-t-il de l’état du monde de l’art? Un documentaire captivant qui nous tient en haleine, tant cette enquête sur les dérives de l’art contemporain est passionnante.
On ne peut en dire trop sur ce court métrage sous peine de révéler des aboutissants. Ce qu’on peut dire c’est qu’il propose une critique du marché de l’art actuel à travers la nature même du film. L’idée est brillante. Il faut le voir pour comprendre.
S.D.R. utilise les codes des vidéos A.S.M.R. pour raconter une histoire, celle du sexe de rupture.
Cette fusion entre le genre de l’ASMR et l’histoire classique d’un couple qui rompt crée un court métrage expérimental et hypnotisant. Le travail sur les sons contribue à l’envoûtement. Peu de dialogues entre les personnages: seulement des gestes, des mots et des sons. Clairement un film à voir… et à écouter.
Ghislain (Pascal Contamine) peine à se sortir d’une dépression coriace, alimentée par un hiver trop long et une vie trop plate. Quand son cœur se met à battre dans son coccyx, son frère (Martin Dubreuil) en arrive au diagnostic suivant : il lui faut réapprendre à rire.
Et la palme des courts métrages va à ce film qui, lui aussi, contribue à lever les tabous entourant la santé mentale. Avec Mal de cœur, Franie-Éléonore Bernier en traite néanmoins à travers un voile humoristique. Les symptômes extravagants de Ghislain et les tentatives de son frère pour le guérir donnent au film un ton comique et le spectateur ne peut s’empêcher de s’esclaffer à de nombreuses reprises. Mais la cinéaste a recours à la comédie de manière brillante pour déstigmatiser ces souffrances trop fréquentes.
Et c’est pourquoi je suis très heureuse que deux films sur le sujet apparaissent dans ce bilan; cela montre à quel point l’enjeu est criant aujourd’hui… Mais aussi que des avancées sont faites pour en parler dans l’espace public.
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Je vous l’assure, il ne s’agissait pas ici de faire un bilan des meilleurs courts métrages québécois de 2019, mais bien un bilan des meilleurs courts métrages que j’ai vus en 2019, toutes catégories confondues. Et j’en ai vus beaucoup des courts métrages internationaux! Je suis d’autant plus heureuse de constater que sur 4 réalisateurs, 3 sont des femmes. Trois femmes inspirantes dont je suivrai assurément le travail dans les prochaines années…
Pourquoi n’y a-t-il aucun documentaire dans ce bilan? Pour moi, le documentaire et le film de fiction ne partageant pas les mêmes codes, ils ne peuvent être comparés. Je souhaiterais tout de même faire une mention spéciale au dernier documentaire de Sergei Loznitsa: State Funeral, dans lequel il retrace les cérémonies entourant la mort de Staline. Le réalisateur utilise uniquement des images d’archives pour faire passer son message, et pourtant le discours transperce l’écran: l’image a un pouvoir incroyable dans la construction d’un culte de la personnalité ou d’une dictature. Une réflexion qui a plus que sa place dans notre société où l’image est partout…
Envers et contre tous, je me dois ici de rectifier la critique monolithe faite à l’endroit de ce film maintes fois primé et choisi pour représenter le Canada aux Oscars. Personnellement, j’ai été incapable d’y croire. Le placage du comportement d’une Grecque de l’Antiquité, qui défie l’autorité, sur une jeune Québécoise d’adoption au parcours sans faute n’était à mon avis pas convaincant. Le recours à l’histoire de Freddy Villanueva pour arrimer l’adaptation est également à mon avis un choix discutable, même si cela servait à inscrire le récit dans notre réalité.
Cela dit, l’usage des médias sociaux est très intéressant et novateur. Si le scénario ne présentait pas quelques accrocs, je crois qu’Antigone aurait pu être un grand film. Et je souhaite la meilleure des chances à Sophie Deraspe pour la course aux Oscars!
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Un choix des plus éclectique! … dont je ne peux juger de la pertinence puisque j’avoue ne pas connaître tous ces films… ¨ca me semble un excellent guide… merci!