Québexit – Utopie ou dystopie ?

« Vous êtes sur le territoire souverain du Québec. »

Quebexit - afficheContinuant sa « tournée » des festivals canadiens, Le Petit Septième couvre le plus grand festival de films francophones du Canada anglophone : Cinéfranco. Sa directrice, Marcelle Lean, a réussi, en période de pandémie, à proposer une édition en ligne qui se termine le 28 novembre. Cette édition met à l’honneur des films grand public, indépendants et également des courts métrages : vous devriez donc y trouver votre bonheur ! A côté des très beaux films français Petit Pays d’Éric Barbier et Au nom de la terre d’Édouard Bergeon (déjà vus par Le Petit Septième), il y a un ovni qui a retenu toute notre attention : le film canadien Québexit de Joshua Demers. Le film a reçu le soutien du fond des talents de Téléfilm Canada qui accompagne les artistes émergents et joue un rôle important dans le renouvellement de la génération de cinéastes au Canada.

Québexit est une comédie politique mordante ! Lorsqu’un oléoduc interprovincial provoque un troisième référendum qui, cette fois-ci, mène à la souveraineté du Québec, une petite route à la frontière du Québec et du Nouveau-Brunswick devient une zone de combat entre la nouvelle armée québécoise, les forces armées canadiennes et deux femmes autochtones qui traversent la frontière fréquemment. 

Le troisième référendum est le bon

Quebexit - Le troisième référendum est le bonQuébexit démarre de manière percutante et prometteuse. Le film prend place dans un monde complètement imaginaire puisque les Québécois se sont prononcés en faveur de la souveraineté de leur province par voie de référendum ; le rêve ou cauchemar des politiciens et des Québécois des quarante dernières années est finalement réalisé. Après l’échec des deux premiers référendums (celui de 1980 et de 1995), le troisième est le bon, le projet controversé de l’oléoduc national entre l’Alberta et le Québec aura donné raison au OUI. Le réalisateur Joshua Demers soigne l’ouverture de son film en insérant des archives audiovisuelles pour rendre vraisemblable le cadre de son histoire : des discours de vrais politiciens se mêlent aux images d’un journal télévisé fictionnel de UK Live durant lequel la présentatrice annonce l’indépendance du Québec sur un ton solennel. 

Si l’heure est grave, Québexit avance pour notre plus grand bonheur dans le genre comique, cherchant la faille et les scènes de quiproquo et de non-sens dans ce projet de souveraineté dont le référendum n’est pas reconnu par Ottawa. L’installation d’un poste frontière est improvisée par trois soldats québécois dissidents et un peu gauches sur un chemin de terre en bordure d’une forêt entre le Québec et le Nouveau-Brunswick. Le lieu choisi, non spectaculaire, insignifiant qui plus est, ridiculise les enjeux immenses de ce bouleversement historique, surtout que tout le film évolue autour du poste de frontière (ce qui est aussi un peu la limite de Québexit). Ce huis clos devient le théâtre d’affrontements entre deux corps de la même armée canadienne.

Les soldats québécois ont accroché l’emblème du drapeau du Québec sur leur uniforme et tentent en vain de faire autorité au barrage filtrant. Quand un escadron de l’armée fédérale arrive sur les lieux, accompagné d’un char d’assaut, la situation devient abracadabrante. En effet, cet escadron, pourtant accompagné d’un blindé, ne peut pas rivaliser avec la petite armée québécoise en raison de la  hiérarchie militaire : le lieutenant québécois est le plus gradé  et l’armée fédérale ne peut pas  le déloger. Joshua Demers utilise très bien cette situation comique, mais jusqu’à épuisement cela dit.

Trilinguisme 

Quebexit - TrilinguismeLorsque les deux corps d’armée finissent par lever le camp, des Autochtones reprennent le flambeau au poste frontière en décrétant que c’est le territoire des Micmacs. Quand le film Bon Cop, Bad Cop (Érik Canuel, 2006) se moquait de la dualité nationale canadienne à l’occasion d’une enquête policière menée par un Québécois et un Ontarien, Québexit y ajoute l’identité autochtone. Il faut dire que cette idée de scénario est absolument brillante car la question des conflits identitaires et de territoires est aussi complexe que délicate dans un pays tel que le Canada. Le documentaire de l’Office national du film du Canada Inconvenient Indian, diffusé lors du dernier TIFF, le rappelait à différents égards sur un mode contestataire. 

Tirons le chapeau à Québexit qui fait la part belle aux deux langues officielles du Canada mais aussi à la langue Cri, lorsque la plupart des films canadiens tranche et choisit une seule langue pour des raisons de production et de diffusion. Projet donc à contre-courant, mais qui montre que le cinéaste a tiré tous les avantages du fond des talents de Téléfilm Canada qui promeut la créativité loin des sentiers battus. 

Lors d’une conférence de presse au poste frontière, la représentante du gouvernement du Québec traduit en français le discours en anglais du représentant du gouvernement fédéral. Le comique de la situation vient de la qualité de cette traduction car les propos sont totalement déformés au profit du Québec qui se voit accorder sa souveraineté par Ottawa à la condition que l’oléoduc traverse la Belle Province. Les négociations se terminent en discussion de marchands de tapis, Joshua Demers frappe juste et c’est drôle. Mais le groupe d’Autochtones qui assiste à cette conférence ne l’entend pas de cette oreille : le partage du gâteau ne peut pas se faire ainsi car le territoire appartient aux Micmacs. On retombe alors dans un casse-tête canadien bureaucratique avec l’impossibilité de créer un véritable consensus sur cette terre qui est passée de main en main. L’arrogance du représentant du gouvernement fédéral scandalise la porte-parole de la communauté Micmac qui s’écrie, véhémente : « Vous vous tenez sur des terres autochtones ! »

La ligne droite

Quebexit - La ligne droiteQuébexit est un projet ambitieux, unique en son genre, et on ne peut que soutenir ce type de création qui met les pieds dans les plats dans un pays qui tente avec beaucoup de détermination de résoudre les problèmes identitaires et de refermer les blessures du passé. Le scénario aurait mérité d’être plus étoffé et piquant par endroit afin d’insuffler un rythme un peu plus fou à la mise en scène. Quelques moyens financiers ont sans doute manqué pour réaliser le film dans les meilleures conditions ; cela se sent dans plusieurs scènes qui s’enlisent. 

Ce huis clos, trop statique dans l’ensemble, est prisonnier du décor du film que constitue la petite route qui traverse le poste-frontière : ligne droite que le réalisateur suit de manière un peu trop rectiligne, alors que tout désir de cinéaste serait de sortir de la route toute tracée, de tenter l’interdit, d’accompagner les personnages en dehors de leur zone de confort. Québexit n’est peut-être pas suffisamment taiseux et aventureux. 

Souvenons-nous du grand metteur en scène palestinien, Elia Suleiman qui, en 2002 dans Intervention divine, puisait dans la composition de ses cadres et sa direction d’acteurs son inspiration burlesque pour dénoncer l’idiotie de la sacro-sainte frontière israélo-palestinienne. Il manquerait juste un peu de cinéma dans Québexit pour en faire un grand film.

Note : 7 /10

Bande-annonce

2 réflexions sur “Québexit – Utopie ou dystopie ?”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

© 2023 Le petit septième