« I am the only person that will actually know, deep down, what happened behind that door. »
[Je suis la seule personne qui peut réellement savoir ce qui s’est passé derrière cette porte.]
Documentaire sur le crime réel du meurtre de Grace Millane suite à un rendez-vous Tinder en 2018, une affaire qui a servi de miroir à une société confrontée à un problème de violence envers les femmes.
Grace Emmie Rose Millan avait 21 ans. Elle vivait à Wickfort en Angleterre. Elle venait de recevoir son diplôme universitaire en publicité et marketing.
Grace provenait d’une famille aimante. Elle avait deux frères et une bonne relation avec ses parents. Elle était aussi en contact fréquent avec sa famille élargie.
Grace voulait prendre une année sabbatique pour voyager. Après avoir été six semaines en Amérique du Sud, elle a débuté son séjour de deux semaines en Nouvelle-Zélande, un des pays les plus sûrs pour les touristes.
Le 1er décembre 2018, la veille de son 22e anniversaire, Grace Millane a été vue pour la dernière fois, à 21h41 par une caméra de surveillance.
The Lie raconte les dernières heures de vie de Grace Millane. Il nous raconte également l’enquête qui s’en est suivie, suite à l’alerte lancée par ses proches, inquiets que la jeune fille ne réponde à aucun de leurs messages pour célébrer son anniversaire.
Pour son film, la réalisatrice Helena Coan utilise une approche narrative intéressante. Le documentaire est entièrement présenté à travers les caméras de surveillance de la ville, les vidéos d’entrevues de la police, les entrevues télé et les vidéos du procès du tribunal. La narration des gens impliqués dans l’enquête, que ce soit les policiers responsables du dossier, les proches de Grace ou des témoins du procès, se fait toujours en entrevue hors-caméra. Comme si la réalisatrice tentait de nous montrer les faits en toute objectivité, à travers les images de caméras « neutres » (caméra de surveillance de l’hôtel, magasin, CCTV, etc).
Ce procédé était un pari risqué, car ce genre de réalisation aurait pu créer une distance entre le sujet et le public dû au côté froid et distant que nous offrent les caméras du récit. Heureusement, la réalisatrice parvient à capter l’intérêt du spectateur dès le départ et de l’inciter à porter attention à chaque image, pour ne perdre aucun détail de l’enquête. Invitant ainsi les gens à ne pas juste observer, mais à examiner, donc s’impliquer dans le dossier.
Malheureusement, outre la réalisation prenante, le documentaire n’arrive pas à dépasser le statut de série télé d’investigation policière.
L’histoire de Grace Milliane est horrible. Elle est un exemple de plus sur la violence faite aux femmes encore à ce jour. Mais, outre nous montrer les détails de l’enquête et du procès, la réalisation et son film ne franchissent jamais le pas pour approfondir un sujet pertinent.
Lors du procès, on aborde la défense du rough sex (le sexe agressif ou violent) pour tenter de montrer que le meurtrier n’avait pas l’intention de tuer Grace et que c’était un accident. Il aurait été intéressant de démontrer davantage les conséquences que ce genre de défense peut causer pour les victimes de violences. Le principe est de retourner le blâme sur la victime et de déresponsabiliser l’agresseur. Cependant, ce point est abordé au-delà de la moitié du film et ne semble que survolé.
Était-ce l’intention de la réalisatrice de dénoncer cette défense? Le documentaire finit sur une statistique sur ledit sujet, donc cela laisse sous-entendre que c’était effectivement son intention. Si tel est le cas, pourquoi aborder le sujet aussi tard dans le film?
Voulait-elle faire un portrait sur la victime, Grace Milian, et nous montrer les répercussions de sa mort sur ses proches, comme l’avait fait le documentaire Dear Zachary? Si je dois comparer les deux films, Dear Zachary accomplit davantage son objectif, car on n’a pas l’impression de mieux connaître Grace Millan ou sa famille après avoir vu The Lie.
Il est aussi possible que nous soyons trop sollicités par ce genre d’histoire. Le genre du true crime est en effervescence depuis les dernières années et nous n’avons jamais eu autant de films, livres, séries et balados qui racontent le genre d’histoires que Grace Millan a vécu. Et, aussi horrible soit son histoire, on peut aussi se demander quelle est la pertinence de faire un documentaire sur son crime. Que pouvons-nous dire, qui n’a pas été déjà dit, tristement, des centaines de fois?
Et, sans diminuer la tragédie ou l’impact de son meurtre, plusieurs questions auraient pû être élaborées. On aurait pu se demander si le dossier de Grace Millan n’a pas eu un traitement privilégié du fait qu’elle est une jeune touriste britannique blanche. En tant que société, avons-nous un biais qui fait qu’une jeune femme blanche suscite davantage notre sympathie? Dans un pays où les femmes maories ont 2 fois plus de chance d’être victimes de violence qu’une autre femme néozélandaise, la question aurait pu être abordée.
Autre questionnement : L’affaire a pu être résolue principalement grâce aux caméras de surveillance installées dans la ville d’Auckland. La technologie a permis d’élucider le crime, ce qui est fantastique, mais est-ce que cela implique que chaque ville devrait avoir autant de caméras de surveillance pour assurer la sécurité de ses habitants?
Ou encore : Selon le documentaire, l’accusé n’en était pas à ses premiers actes de violences. Il aurait usé de violences physiques et sexuelles avec d’anciennes partenaires. Est-ce que ses victimes ont porté plaintes? Ont-elles été entendues? Est-ce que le système judiciaire a cru en leurs témoignages? Y a-t-il une faille dans cette société où l’on rapporte que 1 femme sur 3 sera victime de violence aux mains d’un de ses partenaires dans le cours de sa vie*. Ou, est-ce que nous sommes encore dans une société trop tolérante envers la violence envers les femmes?
Car un autre aspect survolé du documentaire est la réaction du public. Au-delà de la sympathie et de l’horreur, il y avait aussi le jugement et les accusations envers Grace, qui avait « osé » rencontrer un homme sur Tinder, pour célébrer son anniversaire dans un pays où elle voyageait seule.
Encore une fois, ce qui est arrivé à Grace Millan est horrible. Cependant, ce documentaire ne s’aventure pas au-delà d’une enquête télévisée, outre une réalisation intéressante. Il est dommage de se dire que ce film n’est qu’une goutte de plus dans un océan.
Bande-annonce
*Statistique provenant de l’article, It’s not Ok, du 24 octobre 2020
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