Une femme respectable - Une

Une femme respectable – Être et paraître

« Il faut savoir pardonner, Rose. »

Une femme respectable - affiche

Inutile de vous présenter Bernard Émond, ponte du cinéma québécois, qui livre son neuvième long métrage : Une femme respectable.

Adaptation du livre italien Pena di vivere cosi (Toute la vie, le cœur en peine/Such is life) de l’écrivain Luigi Pirandello. Récit translaté du contexte italien au contexte québécois des années 30 où madame Leuca devient madame Lemay, une femme séparée de son mari depuis onze ans qui le reprend chez elle à la mort de sa concubine. Ce dernier amène avec lui les trois fillettes qu’il a eues de sa deuxième union.

Ce film est une histoire de paradoxes, de non-dits et de silences à couper au couteau. Émond explore, une nouvelle fois, la complexité humaine; le désir refoulé et les pensées « impures » qui rongent de Rose, les intentions cachées ou sincères de Paul-Émile. Tout cela encapsulé dans une simple question : au fond, qu’est-ce qu’ils veulent vraiment? Comme à son habitude, la griffe anthropologique d’Émond amène à ce que le film soit un objet de réflexion et non un divertissement. Un cinéma grandement teinté du style documentaire, où la forme est au service du propos. 

Authenticité et vérité

Des plans soignés, une image bonifiée par une lumière en claire obscure maîtrisée, un décor omniprésent, et surtout une mise en scène cherchant la vérité. Ce n’est pas pour rien que la caméra reste sur le personnage après qu’il ait terminé sa phrase, essayant de débusquer le contraste de ses pensées, dans le regard ou le geste, essayant de faire parler le non-dit, laissant le spectateur démêler le vrai du faux. Cette approche est d’autant plus visible dès les premières minutes du film, où le curé et le notaire rendent visite à Rose pour lui expliquer la situation de son mari et la convaincre « d’aimer ce qui reste de bon en lui ».

Une femme respectable - Autheticité
Paul-Émile (Martin Dubreuil) et 2 de ses filles

Tout le long, une retenue des émotions est palpable, on sent l’approche organique de la mise en scène, le jeu entre plan large et plan serré qui réussit à faire manifester la dichotomie des personnages. Une sorte de ciné-vérité s’installe, on suit la réunification du couple déchu, le désir refoulé qui tente de s’immiscer, un ersatz de vie de famille qui tente de prendre vie, et toutes questions qui en découlent refont surface petit à petit. Pourquoi Rose a accepté de reprendre son mari? Est-ce qu’elle l’aime encore malgré tout ou cherche-t-elle juste à récupérer les enfants? Paul-Émile est-il sincère ou juste opportuniste? Pourquoi le notaire a-t-il accepté la requête de Paul-Émile? La charité guide-t-elle, seule, les choix des personnages?

Une sorte de jeu de dupe fascinant et qui est surtout porté par un jeu d’acteur révélant des personnages complexes; à la fois courageux et vulnérables hypocrites et honnêtes par leurs choix et leurs visions. Créant une relation, qui peut facilement être transposable dans notre époque.

Mater Dolorosa

« J’aime filmer les comédiennes qui les incarnent, j’aime la complexité, l’humanité et le courage qu’elles expriment. » disait Bernard Émond. En effet, ce qui guide le film, ce n’est pas tant l’histoire en elle-même, mais la volonté de Rose prise en étau par son désir de revoir Paul-Émile qu’elle juge profane et par son âme charitable pour sauver ses filles (ou combler une maternité manquée?). Aussi paradoxal que cela puisse être, deux émotions parfaitement asymétriques arrivent à trouver un point de convergence.

Une femme respectable - Mater dolorosa
Rose (Hélène Florent) et une des filles de son mari

Avec Hélène Florent dans le rôle-titre, Émond a trouvé une parfaite incarnation de cette femme digne, qui se bat face à elle-même et reste impassible face aux autres. En somme, une femme qui veut être respectée et respectable, mais pour qui est-elle respectable? Elle-même? Les autres? Ses principes?

***Aparté***

La scène où Rose est devant son miroir : C’est une scène qui dure quelques secondes, mais qui, à mon sens, résume assez ce que le film veut représenter.

Alors que Paul-Émile et les filles sont dans la cuisine, Rose est assise devant son miroir en train de se maquiller. La caméra est fixe sur le reflet de Rose qui se regarde, hésite, met du rouge à lèvres pour aussitôt l’enlever, ou vérifie sa coiffure. Dans le quasi-silence, elle se regarde dans le miroir, se demandant sans doute, pourquoi se maquille-t-elle, plus que d’habitude? Pourquoi elle fait cela? Son regard ne lâche pas le miroir, en train de se juger et de jauger.

Rien que ces quelques secondes mettent en lumière les contrastes avec lesquels Rose doit vivre. C’est subtil, beau, et usant de toute la grammaire cinématographique. Grâce à ce reflet, on peut comprendre les deux facettes du personnage de Rose. Le message s’articule avec l’image et le tout prend sens avec simplicité efficace et un jeu d’acteur très précis.

Une brève histoire d’amour qui n’en est pas

In fine, le film est une histoire d’amour qui n’en est pas, une histoire prisonnière de son contexte hautement religieux où le silence assourdissant surplomb la déclaration des sentiments et le regard est plus vindicatif que les dialogues. Une histoire où semble-t-il que Rose soit condamnée ad hominem à être respectable et son âme si charitable se transforme en vice.

Bande-annonce  

Le silence au cinéma

Parce qu’il ne faut pas que des dialogues bien ficelés pour embarquer le spectateur dans un film, le silence est aussi une arme redoutable.

Blow-up : le silence au cinéma :

Fiche technique

Titre original
Une femme respectable
Durée
103 minutes
Année
2022
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Bernard Émond
Scénario
Bernard Émond
Note
8 /10

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Fiche technique

Titre original
Une femme respectable
Durée
103 minutes
Année
2022
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Bernard Émond
Scénario
Bernard Émond
Note
8 /10

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