Manicouagan - Une

Manicouagan — Un grondement silencieux

« Lorsque je dis que je suis née ici, j’ai l’impression d’avoir tout dit. C’est un peu comme si je faisais une grande révélation qui permettait à l’autre de saisir un peu plus qui je suis; de mieux comprendre. »

Manicouagan - affiche

Porté par une quête, ce film dévoile de manière onirique la rencontre d’individus hors du commun qui habitent le vaste territoire de Manicouagan et qui contribuent ensemble à en définir les empreintes géomorphologiques et socio-culturelles à travers le temps. Il explore avec sensibilité les liens profonds qui existent entre les humains et la nature. Les Innus de Pessamit partagent leur mémoire marquée par le bouleversement de leur territoire. Un pionnier des expéditions dans le nord et un guide témoignent de leur attachement indéfectible à la forêt boréale. Pendant que Claire accueille les gens de passage sur la route 389, des astrophysiciennes et géologues expriment leurs étonnantes recherches scientifiques. Récit circulaire aux multiples visages, le territoire prend la parole et questionne les traces que nous laissons, nous humains, après notre passage.

Un écho à travers le temps

Sur un fond noir s’élèvent des chants, des plaintes célestes tombées du ciel alors que s’affiche lentement un paysage, invoqué par les voix qui laissent place à celle de Nadine Beaudet. Ses paroles sensibles, émanant de l’intérieur de son être, tracent le chemin de sa vie et celle des habitants de la région de Manicouagan comme les eaux des barrages transforment le visage du territoire. Sous elles, le temps s’accumule en dépôts stratifiés que l’on peut lire comme les cernes des arbres. Manicouagan est bien plus qu’un documentaire, c’est un testament à ce qui fut, qui reste toujours et qui risque de disparaître.

Manicouagan - Un écho à travers le temps
Manic-5

À travers un paysage défiguré par la foudre des hommes et leur besoin grandissant en énergie, la pierre reste marquée par le passage d’un temps précédent les homo sapiens depuis plusieurs millions d’années (214 millions pour être plus précis). À cette époque, personne n’aurait pu croire que les mammifères — êtres relativement nouveaux d’à peine 6 millions d’années — allaient un jour régner en maître sur Terre. Un astéroïde de plusieurs kilomètres de diamètre entrait en collision avec notre planète avec une telle puissance que les répercussions furent catastrophiques pour la vie de cette ère. Un événement cosmique si fort qu’encore aujourd’hui notre territoire porte cette marque. Une poussière dans l’œil pour notre belle boule bleue, mais un endroit que certains d’entre nous appelèrent aussi par la suite « chez nous ».

De nos jours, les héritiers de ces terres se retrouvent à la merci d’un monstre géant; Manic 5, maintenant connue sous le nom de Daniel-Johnson, le premier ministre à avoir inauguré le projet dans la région du réservoir Manicouagan en 1958. Un barrage hydro-électrique gigantesque sur une longueur de plus d’un kilomètre et qui s’élève à une hauteur de 214 mètres; 1 mètre pour chaque million d’années passé depuis l’impacte de l’astéroïde. La bête électrique, devenue le véritable centre névralgique du pays, fournit assez d’énergie pour le pays, environ 100 fois l’énergie dont le Québec a besoin pour fonctionner, on se pose la question de l’utilité d’en construire d’autres.

La mémoire est un réservoir

Les gens qui habitent la région — surtout des autochtones — se souviennent d’un temps où l’horizon n’était pas bloqué par un mur de béton qui menace de craquer, de se rompre et d’emporter avec lui les plantes, les animaux et tout ce que ces résidents auront accumulé comme mémoire. Des images d’un paysage magnifique s’entrechoquent à des témoignages touchant à propos d’un endroit qui les a tous profondément marqués. La réalisatrice est l’une d’entre elles et ses souvenirs se mêlent magnifiquement à ceux des autres humains qui peuplent la région de Manicouagan créant une fresque à la fois complexe dans sa diversité et simple dans son appréhension.

Manicouagan - La mémoire est un réservoir

Combien de temps avant nous ces peuples ont-ils foulé ce sol de leurs pieds? Qui d’entre nous peut affirmer haut et fort mieux savoir quoi en faire? Manicouagan aborde aussi ce concept de la connaissance du territoire sous plusieurs formes. On plonge dans ses profondeurs pour en sortir des carottes géologiques afin d’en extraire les secrets cachés, mais on peut aussi y scruter les bruits du ciel et les messages qui émanent de la Terre elle-même. Comme une personne en dépression sur le bord de la crise de nerfs, peut-être qu’une oreille et une main tendue vers notre corps céleste à tous pourrait être un pas dans la lumière?

Un discours qui revient souvent — dans les cultures autochtones qui voient le « progrès » comme un concept plus ou moins fiable — est de déplorer comment le paysage et ce qu’ils ont pu connaître s’efface et la peine de ne pouvoir que raconter sans jamais le montrer. C’est, à mon avis, une des grandes conséquences de la modernisation; que tout s’accélère, se multiplie, se répand et meurt. Nous vivons nos vies de citadins à une vitesse effrénée, voire nauséeuse, en plus d’en profiter comme si rien n’allait jamais l’arrêter. Cette planète que nous habitons devait nous suffir pour toujours, mais voilà que nous semblons déjà l’avoir vidé jusqu’à la moelle.  

La dernière question

Combien de temps c’est « pour toujours ». Isaac Asimov s’interrogeait ainsi sur la nature de l’éternité en tant que concept de l’esprit humain dans un monde apparemment d’énergie et de matière physique, d’où la notion des sciences qui s’y réfèrent; sciences physiques. Selon les principes de la thermodynamique, l’entropie est le phénomène par lequel tout l’univers s’arrêtera un jour et toute son énergie aura été utilisée; l’univers lui-même deviendra froid et immobile. Au final, la nouvelle tourne en ironie et même au ridicule la quête de l’humanité à vouloir durer pour toujours alors que l’univers lui-même n’est apparemment pas éternel et que les phénomènes menant à cette entropie semblent toujours irréversibles.

Manicouagan - La dernière question

Le documentaire de Nadine Beaudet aborde également la question de la disparition. La culture, tout comme les gravures dans la pierre, semble éternelle, mais il n’y a rien qui semble résister au passage du temps (selon Aristote). Malgré tout, la voix de madame Beaudet nous accompagne comme un souffle doux sur lequel peut battre l’aile d’un oiseau. Dans cet état de suspension, les images et les paroles pénètrent notre être, l’habitent et semblent même vouloir rester.

Ce que j’ai appris dans ce documentaire se résumerait de la même façon que les sensations de Nadine Beaudet sur l’endroit, c’est-à-dire que j’aurais l’impression que peu de mots suffiraient et que trop risqueraient d’en enlever la beauté subjective. Je dirais donc que j’ai vu des choses qui se ressentent et j’ai entendu des choses qui se vivent. Je vous conseille fortement de vous permettre cette expérience vous aussi, cher lectorat.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Manicouagan
Durée
101 minutes
Année
2025
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Nadine Beaudet
Scénario
Nadine Beaudet
Note
9.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Manicouagan
Durée
101 minutes
Année
2025
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Nadine Beaudet
Scénario
Nadine Beaudet
Note
9.5 /10

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