« Le pouvoir de la craque! »
Pour Isabelle Gagnon (Christine Beaulieu), mère célibataire de trois enfants, Noël est la plus belle journée de l’année, malgré toute la charge mentale qui accompagne cette célébration. Mais cette année, les traditions sont menacées, alors que les membres de sa famille ont d’autres plans. Alors que la neige se fait attendre, que certains rêvent de destinations soleil, que les blagues de lutins ne font plus rire les enfants, jusqu’où une mère peut aller pour protéger les traditions et la magie de Noël?
Il n’y a pas si longtemps encore, un film de Noël aurait affiché un regard maussade et triste de la situation à laquelle est confrontée Isabelle Gagnon, interprétée brillamment par Christine Beaulieu dans Le cyclone de Noël. Bon d’accord, c’est aussi ce qui arrive ici, mais on y ajoute une touche de modernité où chacun a le droit de passer les fêtes dans le Sud de Fort Lauderdale ou dans un manoir à New York. De ce fait, c’est elle qui sera sa propre antagoniste, même si à mon avis l’antagoniste de cet opus des Films Opale, c’est Drake (on a même pas une apparition de sa part pour Noël). Nous sommes libres, ça, il n’y a pas de doute. Toutefois, Noël n’est-elle pas la fête où – malgré l’ironie des jouets par milliers – nous nous souvenons de l’essentiel; de ne pas succomber à l’éphémérité du bonheur superficiel procuré par notre système de consommation?
On ne se le cachera pas, fêter Noël devient chaque année davantage une corvée pour les familles de plus en plus reconstituées qu’un moment de joie véritable. J’avais pensé pour le temps des fêtes à offrir de la poudre de perlimpinpin, mais j’ai la nette impression que chacun en a déjà un sac plein. La culture du soi à complètement transformer la dynamique entre nous et on dirait qu’il n’y a qu’un faible pourcentage de la population qui souhaite encore… partager autrement que sur les réseaux sociaux.
Dans Le cyclone de Noël, Christine Beaulieu incarne Isabelle une mère, une sœur, une fille, une amie; bref l’une de ces personnes toujours souriantes — que l’on connaît peut-être nous aussi — pour qui le réveillon est une tradition sacrée. Pour elle, cette nouvelle réalité est quasiment dystopique. Quel est ce monde bizarre où l’on célèbre la communion en étant seul ou du moins loin de nos proches? Ce film est avant tout une comédie, mais ça ne l’empêche pas de mettre de l’avant des sensations viscérales ou problématiques et en particulier, le désir.
Le film réalisé par Alain Chicoine ose retourner à l’essentiel malgré cette période étrange que nous vivons où aimer se fait maintenant à distance et sans insistance. On peut demander ce que l’on veut sauf de considérer nos visions des choses parce que sinon inévitablement s’enclenche ensuite les escarmouches et les guerres de tranchées à savoir qui marche sur l’orgueil ou les rêves ou les désirs de qui et personne pour rattraper l’autre. Notre recherche constante à ne pas vouloir être confronté à rien nous pousse à nous éloigner, mais le pire de toute cette dissolution c’est qu’elle n’est pas guidée par une mauvaise intention. Après tout, Noël c’est aussi fait pour se sentir bien, non?
Je me demande quel geste que l’on fait pour autrui qui ne demande pas le moindre effort? Personnellement, je n’en vois aucun, car le bien ne se fait pas sans y mettre du sien; l’important c’est de le faire avec la joie dans le cœur (un peu comme faire l’amour finalement). Dans le film, chacun est confronté à un désir profond qu’il se fait refuser; un voyage, une nouvelle flamme impromptue, un rêve d’enfance. J’ai trouvé très adroit de faire un petit changement au classique dilemme du temps des fêtes où dans chaque histoire l’avarice faisait toujours office de vilain. Ici, c’est la luxure qui prend le relai (un péché bien plus au goût du jour en 2024) pour nous remettre aux visages que le problème est notre insatisfaction à pouvoir se réjouir sans constamment trouver un écueil et nous remettre dans l’anxiété; cette incapacité à se satisfaire de ce que l’on a.
Pour être heureux, me dit-on, il faut d’abord savoir comment. À cela je rajouterais que pour savoir c’est quoi être heureux, il faut malheureusement savoir ce que c’est de ne pas l’être. En effet, comment pouvons-nous être reconnaissants de ce que nous avons si nous ne nous octroyons pas le droit de ressentir des choses négatives et donc — par ricochet — le manque? J’ai l’impression qu’il y a un message ici que ce long métrage québécois tente de mettre en lumière. Il n’y a pas de doute que nous avons perdu quelque chose dans les dernières décennies, mais cette chose – contrairement à la croyance populaire – nous est essentielle et nous l’avons oublié. J’aime la vie pas parce que tout va toujours bien, mais parce que chaque jour amène l’espoir et aussi la preuve que les choses peuvent être mieux, s’améliorer ou se régler; parfois même grâce à nous. N’est-il pas bon de pouvoir participer au bien-être des autres? Par contre, c’est plaisant quand on pense au nôtre aussi.
Christine Beaulieu ne cesse de m’impressionner par sa polyvalence et son talent. Écrivaine de J’aime Hydro, comédienne au théâtre et actrice aux multiples facettes; elle ne demande qu’à ce que vous la découvriez. Son jeu jumelé à celui de Véronique Cloutier interprétant la sœur d’Isabelle, Éliane, amène un dynamisme extravagant, mais aussi un réalisme convaincant (pour une comédie bien sûr). Je n’ai pas eu de difficulté à comprendre ou même m’identifier au personnage (comme quoi l’identification ce n’est pas une question d’apparence physique ou de goûts communs) qui soufflant sur les braises d’une famille qui semble s’éteindre lève une véritable tempête risquant d’éparpiller les derniers tisons aux quatre vents. Décidément, la glace et les cyclones sont des thématiques récurrentes chez Madame Beaulieu. C’est peut-être elle la vraie fée des étoiles, sans compter qu’elle jouait aussi dans un La fonte des glaces que j’ai aussi couvert d’ailleurs et grandement apprécié.
Disons qu’à Noël ça va faire du bien d’avoir d’autres classiques à regarder que C.R.A.Z.Y. de feu Jean-Marc Vallée, ou La guerre des tuques réalisé par feu André Melançon, qui — même s’ils sont excellents — manquent un peu de… de gaieté par moment. Le cyclone de Noël peint un beau portrait d’une réalité que nous ignorons ou préférons ne pas voir en se mettant la tête dans le sable (la neige, combien d’années encore?), mais le film le fait avec humour. Je dois avouer avoir été très sensible à certains moments; le cœur c’est comme un instrument donc je ne connais pas tous les accords et je découvre sans cesse de nouvelles harmonies (ou c’est mon SMI). Les acteurs sont géniaux et je n’ai que de bons mots pour leurs performances.
Finalement, je trouve juste ça triste que maintenant le Père-Noël au pôle Nord me fasse davantage penser à Saruman dans Lord of the Rings avec une liste dont les noms s’amenuisent chaque année plutôt qu’à un gros bonhomme joyeux. J’aimerais vous laisser sur une note emblématique du temps des fêtes qui sache aussi démontrer que les traditions savent aussi faire place à de la nouveauté. Alors pourquoi ne pas terminer sur cette chère Mariah Carey histoire de faire une pierre deux coups?
Vous pensiez que rien ne pouvait dépasser vos émois vis-à-vis les décisions électorales de nos voisins d’en-dessous? Pour ma part, je n’ai pas de parti pris (ou, en tout cas, ce n’est certainement pas ici que je vais m’exprimer sur la chose). Néanmoins, j’aimerais vous confier comme quoi pour moi la bêtise humaine n’atteint pas son apogée en début du mois, mais à la fin de novembre lorsque s’assombrit le vendredi. Pour la cause, j’aurai peut-être une petite surprise pour vous, cher lectorat, un peu comme un cadeau d’Halloween en retard ou de Noël précoce. Que vous êtes donc pourris gâtés!
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième