« A new sexual vision for the UK. »
[Une nouvelle vision de la sexualité pour le Royaume-Uni.]
Londres, aujourd’hui.
Un réfugié échoue nu dans une valise sur les rives de la Tamise. L’énigmatique inconnu à la sexualité fluide se présente à une famille bourgeoise de la classe supérieure. On lui propose de rester comme employé. Le visiteur (Bishop Black) séduit bientôt chaque membre de la famille dans une série de rencontres sexuelles explicites. Il va bouleverser leur monde alors qu’ils parviennent à se redéfinir de manière nouvelle et radicale.
Avec The visitor, Bruce Labruce propose une réinterprétation de Teorema de Pasolini, actualisé et contextualisé à Londres en 2023, utilisant le conservatisme actuel à la place du fascisme de l’époque.
The visitor contient très peu de dialogues en dehors de la scène des confessions, à la fin. Les acteurs étaient plutôt amenés à jouer un archétype plutôt qu’un personnage au sens propre. Ce choix mène à une sensation étrange et à une sorte de détachement chez le spectateur. Ça donne un look plus proche du cinéma porno, surtout considérant la quantité de scènes sexuellement explicites que renferme le film.
En ajoutant la trame sonore techno de Hannah Holland qui renforce cette « pornification », on se retrouve avec un film qui risque d’en choquer beaucoup! La musique amène les scènes à leur sens logique le plus extrême. D’ailleurs, la structure du film ressemble beaucoup à ce qu’on retrouve dans le cinéma porno, avec une emphase poussant l’histoire vers une quasi-obligation de scènes de libération sexuellement explicites.
Les personnages que l’on pourrait certainement qualifier de « coincés » se retrouvent soudainement libérés grâce à leur visiteur impromptu. Mais une question se pose tout de même avec ce film qui, justement, utilise sa trame narrative pour mener à des scènes hard. Est-ce que nous sommes en présence d’un film d’art, ou d’un film pornographique? Car comme beaucoup des œuvres de Labruce, il est trop artistique pour le public qui recherche un « film de cul », mais trop pornographique pour les amateurs de cinéma indépendant, voire expérimental.
D’ailleurs, c’est un des rares films qui présentent des scènes explicites queer qui ne le font pas pour montrer un problème, une nuisance ou un dérèglement quelconque. Ici, ce qu’on pourrait voir comme de la perversité devient presque normalisé.
Interrogé sur la question de l’art versus la porno, le réalisateur explique ceci :
« I have come to believe that the distinction between porn and art, or porn and fashion, or porn and mainstream cinema, is increasingly irrelevant and redundant. We live in an era of regression, where nudity and explicit sexuality on screen are either regarded as something prurient and unnecessary, or used for pure sensationalism and publicity, a naughty gesture to boost the ratings. It’s rarely presented as natural or commonplace, or just as something that is intrinsic to life. Extreme violence, on the other hand, is considered not only natural, but as the purest form of entertainment and stimulation. »
Bruce Labruce
[J’en suis venu à penser que la distinction entre le porno et l’art, ou le porno et la mode, ou le porno et le cinéma grand public est de plus en plus hors de propos et redondante. Nous vivons dans une ère de régression, où la nudité et la sexualité explicite à l’écran sont soit considérées comme des choses obscènes et inutiles soient utilisées à des fins purement sensationnelles et publicitaires, un geste coquin pour augmenter les audiences. On les présente rarement comme naturelles ou banales, ou simplement comme quelque chose d’intrinsèque à la vie. La violence extrême, en revanche, est considérée non seulement comme naturelle, mais comme la forme la plus pure de divertissement et de stimulation.]
Un point de vue qui se défend.
Teorema, de Pier Paolo Pasolini était situé à Milan, dans les années 1960 et reflétait les réalités politiques de l’époque. Pour sa réinterprétation, Labruce situe l’action à Londres, de nos jours. Et ce n’est pas un hasard si son acteur principal est un homme noir et si la distribution compte une femme trans. C’est dans le but de montrer la réalité actuelle.
On pourrait dire qu’il s’attaque aux conservateurs du post-Brexit, avec la xénophobie qui s’est installée et le revanchisme colonialiste qui s’est installé. Sans oublier l’apparente pruderie et le puritanisme fake que représente la droite du pays. Le film commence d’ailleurs sur une narration qui lance des commentaires racistes et xénophobes récemment utilisés par la droite britannique.
Le Visiteur représente non seulement « l’autre », celui qui fait peur, mais il est aussi une représentation d’une sorte de racisme plus subtil qui catégorise les hommes d’origine africaine dans des rôles typiques tels que le fantasme érotique ou encore le serviteur des blancs riches. Labruce retourne cette situation en montrant comment le possédé devient soudainement le possesseur et le dominant, le dominé.
Pour boucler la boucle, The visitor utilise aussi des slogans de la gauche politique pour en faire des accroches pornographiques du genre « Open Borders » [ouvrez les frontières] devient « Open Borders, Open Legs » [ouvrez les frontières, ouvrez les jambes].
The visitor est divisé en segments, utilisant les personnages comme des chapitres. Ainsi, il nous présente chaque membre de la maisonnée au moment où il rencontrera le visiteur dans une scène débridée.
Je veux souligner le travail des acteurs qui, à part Bishop Black, ne sont pas comédiens, et encore moins des acteurs du milieu de la porno. Je peux certainement imaginer comment le tournage des scènes sexuellement explicites a dû être un défi. Mais le résultat est franchement réussi. Alors bravo à Macklin Kowal (le Père), Amy Kingsmill (la Mère), Kurtis Lincoln (le Fils), Ray Filar (la Fille) et Luca Federici (la Bonne).
En résulte un film trash qui ne plaira pas à tous, mais qui a certainement le mérite de remettre en question la façon de penser et de faire du cinéma.
The visitor est présenté au FNC les 12 et 15 octobre 2024.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième