« Les gens qui vivent dans les plafonds sont la lie de la société. »
À risque d’être expulsé de son logement, le commis de bureau Shin-dong n’a d’autre choix que de s’inscrire au mystérieux programme « Wolwolse », qui permet aux Séouliens de louer une pièce – une seule – de leur logement à d’autres occupants. Pris au cœur d’une crise du logement sans précédent, le jeune homme se résout à partager son espace pourtant minuscule, afin de ne pas se retrouver à la rue.
Deux individus inquiétants se présentent vite à sa porte : un colosse passif-agressif à l’accoutrement grotesque et sa femme lilliputienne qui ressemble à une poupée en porcelaine. C’est avec eux que le protagoniste devra cohabiter tant bien que mal. Plus troublant encore est le phénomène des « gens du plafond », ces citoyens un peu fous que le gouvernement, faute d’espace, choisit de loger dans les pièces exiguës juste sous les toits. Shin-dong se rend compte qu’il n’est désormais jamais seul…
Dans ce deuxième long-métrage, la cinéaste Yoon Eun-kyoung présente un univers aussi drolatique que sinistre, où se côtoient les influences de Buñuel et Polanski. The Tenants, sorti en première nord-américaine à Fantasia, est une critique mordante de la société sud-coréenne et de ses excès capitalistes.
Et si le film prend place dans un futur dystopique, les gouvernements n’étant pas – encore – rendus au point de permettre la location de pièces en guise de logement, le portrait que la réalisatrice fait de la vie en métropole est plutôt réaliste. Les logements hors de prix, la pollution de l’air, des administrations publiques kafkaïennes, l’omniprésence de la technologie… ces éléments semblent de moins en moins exagérés.
En cela, Yoon Eun-kyoung s’inscrit dans une tendance que je crois déceler chez les jeunes cinéastes coréens. Si les têtes d’affiche de la nouvelle vague du début des années 2000 (Park Chan-wook, Kim Jee-woon, Na Hong-jin) ont plus l’habitude de traiter de thèmes classiques des films de gangsters (comme la vengeance, la rédemption ou l’honneur), les talents émergents empruntent une voie un peu différente.
En effet, ces dernières années ont vu l’émergence d’un cinéma coréen plus social, plus engagé, qui montre souvent la vie domestique à Séoul comme étant violemment aliénante. Les lieux courants – les bureaux, les logements anonymes – sont les plus effrayants et la routine devient vectrice d’horreur.
Avec son excellent Next Sohee (2022), July Jung représente bien ce mouvement, tout comme Jason Yu, l’ancien assistant-réalisateur de Bong Joon-ho, avec Sleep (2023). Ayant l’habitude de traiter de questions politiques dans ses films, Bong est peut-être un précurseur de cette nouvelle mode, qui inclut aussi des titres plus discrets – attrapés lors des dernières éditions de Fantasia – comme Chorokbam de Yoon-Seo Jin, Seire de Park Kang et, donc, The Tenants.
La prémisse de ce dernier semble au départ cocasse. Le surréalisme de l’intrigue – renforcé par l’image d’un magnifique noir et blanc qui plonge les protagonistes dans une douce pénombre – donne lieu à des échanges faisant pouffer de rire, mais devient rapidement déroutant, alors que le protagoniste souffre de visions terrifiantes. Des corps décharnés grimpent sur lui pendant qu’il dort, des yeux apparaissent au plafond, des passages secrets se révèlent dans l’appartement… On croirait par moment voir un nouveau Eraserhead (Lynch, 1977).
Yoon Eun-kyoung fait preuve d’un talent impressionnant pour la mise en scène. La majorité des séquences se déroulant dans un trois et demi, elle parvient à dynamiser son décor a priori limité. La composition baroque, qui utilise souvent la réflexion des personnages et des effets de lumière dramatiques, contribue à faire respirer l’espace, tandis que le montage d’actions répétitives devient hypnotique. Tous les interprètes, qui rivalisent en intensité, finissent de faire le charme de ce projet audacieux, qui aurait pu être d’une platitude épouvantable, mais se révèle au contraire une des productions les plus ingénieuses de cette année.
Le seul reproche que j’aurais à lui adresser concerne sa fin, un peu trop brouillonne et prévisible. En même temps, elle montre peut-être le désenchantement de la jeunesse d’un pays obsédé par le travail et rongé par les inégalités sociales, qui a été gouverné par l’extrême-droite de 2013 à 2017, puis de 2022 à aujourd’hui.
The Tenants a été présenté au Festival Fantasia le 4 août 2024.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième