Kongens Land - Zentropa - Nikolaj Arcel

The Promised Land — Coeur de pierre; terreau fertile

« La Lande ne peut être domptée. »

La terre promise - Affiche

L’histoire de Ludvig Kahlen qui poursuit le rêve de sa vie : faire en sorte que la lande lui apporte richesse et honneur.

Pour une poignée de patates (A Fistful of Potatoes)

Qu’est-ce que la Terre promise? D’un point de vue purement théologique, il est question du lieu sacré que Dieu promit à Abraham (dans la Bible là; c’est juste des histoires). Dans The Promised Land, il est plutôt question des terres arables dans le Jutland du Danemark appelé la Lande. Ces lieux sont verdoyants, mais arides et difficiles à exploiter. Lorsqu’ils se recouvrent d’un drap blanc, il ne semble bien n’y avoir que le Père Noël pour y amener prospérité; ou peut-être juste un Ludvig Kahlen, interprété par le toujours excellent Mads Mikkelsen.

Le film selon moi parle d’une terre promise qui est tout autre. Mais oui, vous vous souvenez, cet endroit que l’on se fait promettre quand on est tout petit; un petit coin pour vivre en paix et en sécurité; mais aussi la chance de pouvoir laisser une trace de son passage sur notre petite boule bleue. 

La terre promise
Ludvig Kahlen (Mads Mikkelsen)

Le récit débute en 1755 à Copenhague. À la lueur d’une chandelle, des mains frottent vigoureusement une médaille de capitaine. Dans la pénombre d’une maison pour vétéran itinérant, Ludvig Kahlen est penché sur une carte géographique du Jutland Danois – les landes les plus inhospitalières de la région – se préparant pour un pitch particulier. Le lendemain venu, il devra se rendre à la Trésorerie royale avec cette proposition; convaincre le Roi qu’on lui envoie des colons afin d’étendre la gloire du Royaume en échange d’un domaine et un titre de noblesse.

Les scènes violentes sont éloignées, mais les quelques effets pratiques qui nous sont donnés de voir sont à couper le souffle. L’action est loin d’être absente et à aucun moment n’ai-je senti que le film s’étirait en longueurs et en inutilités. Les dialogues ne se perdent pas dans les patatis et patatas des films ou des séries actuelles. Si l’on peut montrer à la place de dire, on le fait. À un moment, une scène demande une interaction qui aurait pu facilement tourner en discussion assommante se résumant finalement en un échange simple de regards et de prises de vue. Un bon exemple pour les cinéastes en herbe ou plus expérimentés qu’il est primordial de maîtriser les bases de la cinématographie, car c’est souvent à travers cet aspect minimaliste que l’on reconnaît le talent de réalisateur qu’il est nécessaire d’avoir pour faire du « Grand-Art ». 

À quoi reconnaît-on la grandeur d’un homme?

Lorsque se font entendre les plans de noblesse de Ludvig, il est difficile de se douter qu’il cherche autre chose que la facilité dans la vie. Pourtant aussitôt arrivé, il se retrouve au beau milieu de plaines couvertes de pierres, d’herbages et de lichens en y cherchant l’endroit idéal pour y installer la maison des Rois. Un seigneur solitaire retourne le paysage; il creuse, bêche, pioche, analyse le sol, et ce, malgré les intempéries. Il dort dans une tente de fortune à peine à l’abri du climat, à la merci d’animaux sauvages et de hors-la-loi sans scrupule; des vagabonds qui utilisent l’innocence d’une enfant nommée Anmai Mus, interprétée par Melina Hagberg, pour essayer de piéger le protagoniste pour lui voler tous ses biens. Cette péripétie sera l’une des nombreuses situations précaires dans laquelle se retrouvera ce vaillant colon.

En film af Nikolaj Arcel
Frederik Schinkel (Simon Bennebjerg)

Malheureusement pour Ludvig, un jeune noble autoproclamé et arrogant se présente comme étant déjà propriétaire de ces territoires inexploités. Prêts à tout pour garder l’hégémonie dans la région, ce fameux Frederik Schinkel, interprété par Simon Bennebjerg — ou De Schinkel comme il s’obstine à répéter à ses interlocuteurs tentant d’établir un statut de noblesse que tout gentilhomme se refuse à lui concéder —, gouverne son domaine d’esclaves en chien fou et tente de charmer Ludvig à lui céder ses terres pour de l’argent. Cependant, le Jutland ne lui appartient pas; Ludvig n’a que faire de cet homme sans morale qui bat, viole et tue ses domestiques et qui refuse de reconnaître le Roi du Danemark. Pour Schinkel, Kahlen n’est qu’un vagabond qui tente de l’évincer de sa propriété.

Ludvig Kahlen aura tout de même la chance de trouver de vaillants alliés sur son chemin. Il rencontre un couple d’esclaves en cavale; un habile et fort fermier nommé Johannes Erikson, interprété par Morten Hee Andersen, et Ann Barbara, interprétée par la surprenante Amanda Collins, une gouvernante autoritaire et efficace, mais également attentionnée et douce. À travers les gens qui côtoient Ludvig se dessine un portrait plus qu’inattendu de l’homme dont on raconte l’histoire; un homme bon au-delà de ce que l’on croit possible dans la basse société autant que dans la haute. Son seul défaut serait qu’il ne connaît pas sa propre sensibilité et n’a jamais soupçonné qu’une chose pareille pouvait l’habiter; nous laissant sur le doute d’un passé difficile et lourd à porter.

Les grenouilles demandent encore un Roi, mais elles ne le savent pas

Mads Mikkelsen est aux landes du Jutland ce que Clint Eastwood était au désert du New Mexico. Rarement ai-je vu cet acteur autant dans son élément (sans pointe d’ironie à l’atmosphère frigide de ces plaines du Danemark), car il émane de lui une humanité touchante qui l’habite dans chacune de ses scènes avec force. À chaque tournant, Ludvig intrigue par le respect qu’il inspire aux individus en sa présence comme si sa valeur était naïve; imperceptible à sa conscience, mais qu’elle éblouissait son prochain. Ce n’est certainement pas par les mots que cet homme témoigne de la valeur de son âme, mais par ses actions dignes des plus grandes figures de l’humanité (autant que faire se peut, néanmoins aide-toi et le ciel t’aidera, n’est-ce pas?).

En film af Nikolaj Arcel

Où sont-ils maintenant; ces êtres à l’intérieur desquels sommeille cette grandeur. L’âme d’un véritable meneur qui suscite et comprend l’empathie? Un grand Roi — de nos jours, nous disons un leader — est-il reconnu par le nombre de personnes qui le suivent ou par le dévouement de ceux-ci face à un être qu’ils considèrent avec importance sans qu’on ne leur demande. De nos jours, chacun demande son dû sans pour autant réaliser l’effort surhumain que l’on doit déployer pour permettre à la civilisation d’exister. Une conséquence normale à l’ère de l’instantanéité; conséquence de nos instants tannés que l’on pèse au gramme qui partent en fumées au son de l’échappement du temps qui fuit et ne cesse de passer. Si c’est un peuple qui transforme le valeureux en Roi, qu’en est-il de notre valeur à nous lorsque nous suivons le pieux et le méritant?

Finalement, peut-être que notre continuité qu’assure les titres de noblesse quels qu’ils soient ne substituent pas notre passage dans la mémoire d’un enfant qui nous a en modèle; que la grandeur d’un royaume n’est rien face à celle d’une histoire d’amour; et que les difficultés à cultiver une plaine rocailleuse sont infimes en comparaison aux cailloux qui minent les relations humaines. Malgré tout, il est bon de voir de temps en temps qu’une fleur réussit quand même à y pousser; ou ne serait-ce qu’une patate.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Bastarden
Durée
127 minutes
Année
2023
Pays
Allemagne
Réalisateur
Nikolaj Arcel
Scénario
Nikolaj Arcel, Anders Thomas Jensen et Ida Jessen
Note
9 /10

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Fiche technique

Titre original
Bastarden
Durée
127 minutes
Année
2023
Pays
Allemagne
Réalisateur
Nikolaj Arcel
Scénario
Nikolaj Arcel, Anders Thomas Jensen et Ida Jessen
Note
9 /10

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