Richelieu sortie - Une

Richelieu – Nos esclaves d’aujourd’hui et d’hier aussi

 « — Sont pas obligés de faire de l’overtime. Pourquoi ils disent pas non, des fois?
— Parce que depuis qu’ils sont arrivés ici, on leur dit qu’on peut les renvoyer n’importe quand. Y’ont peur. »

Richelieu - affiche

Suite à une séparation houleuse qui la laisse criblée de dettes, Ariane (Ariane Castellanos) n’a pas le choix d’aller travailler à l’usine agricole de son ancien village. Grâce à la référence de sa mère (Micheline Bernard), elle sera la traductrice pour les travailleurs temporaires du Guatemala, sous la direction de Stéphane (Marc-André Grondin), qui subit un stress constant de ses patrons et qui est prêt à tout pour que l’usine ne ferme pas. Même si cela implique d’abuser de ses employés les plus vulnérables. Ariane acceptera-t-elle d’être complice et silencieuse devant ces abus?

Un travail de longue haleine

J’ai eu la chance de parler avec Pier-Philippe Chevigny, le réalisateur, pour en apprendre un peu plus sur la naissance du projet et son exécution. 

Richelieu est son premier long-métrage et, comme la plupart des premiers films sont des sujets personnels, je lui ai demandé si les événements montrés dans le film provenaient de son vécu. D’entrée de jeu, je suis avertie; il y aura plusieurs informations qui seront vagues et qu’il ne pourra me donner pour protéger ses sources.

« Je marche un peu sur des coquilles d’œufs, parce qu’il y a des choses que je ne peux pas révéler sur l’origine du projet parce que je protège l’anonymat de plein de gens qui m’ont parlé. »

Son approche s’apparente à celle d’un documentariste; il fait des recherches, fait des entrevues, pour ensuite écrire un scénario de fiction. Ce processus lui permet une plus grande flexibilité et la possibilité de protéger les gens questionnés. Car pour ce film, ses recherches ont commencé en 2013 (!) à une époque où ce sujet n’était pas d’actualité. Aucun film, aucun documentaire, seulement quelques allégations ici et là, mais rien de concret. C’est en discutant avec les travailleurs concernés que Pier-Philippe comprend pourquoi rien ne ressort sur les conditions des travailleurs. Personne ne veut parler par crainte des représailles. 

Richelieu - Un travail de longue haleine
Ariane (Ariane Castellanos) et Stéphane (Marc-André Grondin)

Pour ses entrevues, il ira jusqu’au Guatemala, avec Ariane Castellanos (l’actrice principale) pour l’aider avec la traduction. Rencontrer les travailleurs chez eux était plus pratique et plus sécuritaire pour les gens concernés. Car au Québec, ils travaillent tout le temps et ne veulent pas être vus ou aperçus avec quelqu’un qui s’apparente à un journaliste. Et le fait qu’ils peuvent être sous surveillance n’aide pas la situation.  

Si son scénario est un collage des témoignages qu’il a reçus, Pier-Philippe Chevigny tient aussi à aviser que ce n’est pas comme ça partout. Dans ses recherches, il aussi pu constater que les conditions de travail sont bonnes à plusieurs endroits. L’exploitation n’est pas partout et il y a des endroits où le système fonctionne bien. Cependant, le programme est ainsi fait que si des employeurs veulent exploiter ou sont mal intentionnés, ils peuvent s’en tirer sans conséquence. 

En offrant seulement des permis de travail fermés, les travailleurs sont liés à un seul employeur et perdent leur permis de travail s’ils sont renvoyés ou décident de démissionner. Ainsi, comme montré dans le film, l’employeur peut donc disposer ou menacer ses employés s’ils ne font pas ce qu’il souhaite. Et les employés n’ont aucune marge de manœuvre, car ils ne peuvent changer d’emploi pour trouver mieux.

« Le film sort à un moment où il y a un consensus qui est atteint dans la société. Il y a des problèmes avec ce programme-là et il serait temps de réformer les choses », remarque Pier-Philippe Chevigny.

Le processus de casting a également été compliqué à cause de la pandémie. L’intention de départ du réalisateur était d’engager entièrement des comédiens du Guatemala et de les faire venir ici. Pour les auditions, il a eu l’aide du réalisateur Jayro Bustamante, un réalisateur guatémaltèque de renom, qui a rencontré les comédiens et filmé les auditions. Malheureusement, avec les contraintes de la pandémie, ils ont pu choisir seulement trois acteurs pour jouer les travailleurs étrangers principaux dans le film. Un seul a eu son visa à temps. Le second acteur a réussi à l’obtenir plus tard, nécessitant un recasting et le troisième n’a jamais reçu son visa. Un véritable casse-tête pour Pier-Philippe Chevigny. 

Il heureusement a pu bénéficier de l’aide d’Ariane Castellanos qui connaît bien la communauté guatémaltèque à Montréal, afin de finaliser son casting. Plusieurs rôles ont pu être attribués à des non-acteurs, comme les figurants du film par exemple.

Un réalisateur engagé et passionné

Pier-Philippe Chevigny nous donne un film dur, mais magnifique, sur les conditions de travail de ces travailleurs qui nous sont essentiels. 

Richelieu - Un réalisateur engagé

Le ratio 4:3, judicieusement choisi par le réalisateur, nous transmet le sentiment des personnages, qui sont coincés dans une situation indésirable. Que se soit Ariane, qui n’avait aucune envie de revenir dans son ancien village, ou les travailleurs, qui sont parfaitement conscients de leur exploitation, tous sont pris dans cette usine qui les détruit à petit feu (physiquement et/ou psychologiquement) dans l’espoir d’un avenir meilleur. 

Si son premier film n’est pas une histoire de coming of age, c’est surtout parce qu’il a toujours été attiré par le cinéma engagé et social, sujet qu’il a également abordé dans ses nombreux courts-métrages. 

« C’est tellement long de faire un film, il faut que le sujet te passionne. (…) Je fais des films sur les enjeux qui me passionnent, qui m’empêchent de dormir le soir. Parce que je sais que si je dois travailler 10 ans sur un truc, je dois être all in », explique Pier-Philippe Chevigny.

Il espère que son film entraînera une discussion sur le programme des travailleurs étrangers. Il souhaite aussi ramener le cinéma politique et social au Québec, un genre qui était très présent dans le cinéma direct avant, mais qui s’est perdu au fil des générations. 

Une chose est sûre, on ne peut plus ignorer ce qui se passe dans notre cour. Certes, les choses commencent à changer, mais on doit s’assurer que ces changements arrivent vites et deviennent la norme. 

Ces travailleurs nous sont essentiels, mais ils sont avant tout des êtres humains. Et on se doit de les traiter comme tels.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Richelieu
Durée
89 minutes
Année
2023
Pays
Québec / France / Guatémala
Réalisateur
Pier-Philippe Chevigny
Scénario
Pier-Philippe Chevigny
Note
8 /10

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Fiche technique

Titre original
Richelieu
Durée
89 minutes
Année
2023
Pays
Québec / France / Guatémala
Réalisateur
Pier-Philippe Chevigny
Scénario
Pier-Philippe Chevigny
Note
8 /10

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