We will not fade away - une

[Hot Docs] We Will Not Fade Away – Le rêve à portée de main

J’achève ma couverture des Hot Docs avec une pépite qui nous vient d’Ukraine, sélectionnée par la programmatrice Myrocia Watamaniuk qui a concocté cette année le très beau programme « Made in Ukraine ». 

We will not fade away - Affiche

We Will Not Fade Away évoque un trajet d’adolescents pas comme les autres, où se mêlent résilience, peur et rêve d’un monde meilleur. La documentariste Alisa Kovalenko filme un pays juste avant sa destruction et les rêves de la jeune génération avant qu’ils ne soient brisés par la folie de l’envahisseur.

L’Ukraine d’avant

Après sa première mondiale à la Berlinade plus tôt dans l’année, le dernier film de la brillante documentariste ukrainienne Alisa Kovalenko (il faut voir son précédent long métrage Home Games, 2018, tout aussi merveilleux) a fait sa première en Amérique du Nord grâce à Hot Docs. Pour la petite histoire, qui en dit long sur son courage et sa singularité en qualité d’artiste, elle a passé quatre mois sur le front pour défendre son pays, avec même un passage en captivité, avant de laisser son uniforme militaire au vestiaire pour retourner à la postproduction de We Will Not Fade Away.

Kovalenko Alisa - Ukraine avant - citation
Alisa Kovalenko

Car il lui fallait finir son documentaire, raconter l’histoire d’avant. Avant l’invasion de l’armée russe. Avant la destruction des paysages, des familles et des rêves. Quand il y avait encore de l’espoir et une forme d’insouciance dans la tranche de vie qu’elle capture en cinéma direct de cinq adolescents dans la région du Donbass dans l’est de l’Ukraine. Elle les filme à partir de 2019 sur plusieurs années, la guerre en février 2022 mettant fin au tournage. L’action se passe dans un village isolé près d’une mine et d’une usine de charbon dont la très grande cheminée fume en permanence : symbole de cette région aux ressources naturelles gigantesques qui captive tant l’intérêt du voisin impérialiste. 

« It is important to keep this memory, this universe that doesn’t exist anymore. »
[C’est important de garder cette mémoire, cet univers qui n’existe plus.]

La cinéaste Alisa Kovalenko durant la séance de questions-réponses après la première du film à Toronto.

Bien que le déroulement de l’histoire se passe avant l’invasion russe, les trois jeunes hommes et les deux jeunes femmes grandissent déjà dans un quotidien anxiogène. En effet, depuis 2014 et le début des affrontements entre les forces du gouvernement ukrainien et des séparatistes pro-russes, les tirs de mortier et de fusils automatiques font partie de leur quotidien. Parfois, les protagonistes remarquent à peine ce hors-champ sonore, ayant grandi avec durant une bonne partie de leur enfance. Mais quand le danger se rapproche, quand les engins militaires se mettent à défiler, quand la ville proche est bombardée et s’enflamme, on les voit, curieux, observer la scène depuis leur village. 

We-Will-Not-Fade-Away - ukraine avant - fin

Cette mise en perspective du point de vue des jeunes est filmée en toute sobriété, sans interview et sans ajout de matériel pour éviter de rappeler un contexte historique que tout le monde connaît. Ce qui importe pour Alisa Kovalenko c’est de filmer cette énergie juvénile et explosive, dans un « trou paumé » comme l’appellent les adolescents. Tous et toutes rêvent de s’évader et la cinéaste capte l’adrénaline et leurs occupations pour s’échapper de la morosité : monter sur la colline du village qui surplombe la vallée industrielle, chanter et enregistrer des chansons de rap, plonger dans la rivière au cœur de l’été, apprendre la mécanique avec sa moto, marcher dans la campagne et dessiner une aire de jeu abandonnée, faire de la luge au cœur de l’hiver, écouter les conseils de sa grand-mère, scruter l’horizon et les combats environnants…Le geste révolutionnaire d’accrocher un drapeau de l’Ukraine à une antenne de télévision dans cette région maintenant sous occupation russe prend aujourd’hui une force poétique incroyable. Une vie simple, certes, mais cette jeunesse grandit sur un champ de bataille. 

L’ascension de l’Himalaya 

Un évènement, presque miraculeux, surgit alors comme pour balayer le quotidien et le chaos qui se rapproche. Un généreux mécène, du nom de Valentyn, alpiniste ukrainien de première classe, leur propose de participer à une ascension de l’Himalaya pour représenter leur pays. Cette aventure est complètement inespérée pour ces jeunes de la campagne. La cinéaste filme leur préparation sans jamais tomber dans le documentaire aventurier ou sportif, en créant quelques passages musicaux, presque en forme de clip, sur une musique emballée et empathique comme autant de respirations qui font oublier une morosité de plus en plus accablante. Chacun, chacune prend ce défi sérieusement. Au moment où l’Ukraine est malmenée par les conflits dans le Donbass, l’idée de se surpasser et de gravir l’impossible devient une fierté nationale : image qui renvoie d’ailleurs à l’Ukraine héroïque d’aujourd’hui qui est parvenue à contenir voire à repousser les assauts de l’une des armées les plus puissantes du monde. 

Une ellipse survient et nous sommes agréablement surpris de voir les cinq adolescents débarquer au Népal. Ce périple de tous les possibles a bien lieu et n’était pas qu’une simple chimère. Avec leurs vêtements bleu et jaune à l’effigie de leur pays, ils rejoignent le groupe de sherpas. L’ascension commence et la cinéaste les accompagne même dans cette aventure des plus périlleuses. Les jeunes sont submergés par la beauté de ces paysages jusque-là inconnus et par cette sérénité que les conflits armés leur ont volée. Cette guerre qui s’enlise fait aussi des victimes collatérales : toute une jeunesse est brutalisée, séparée de leurs proches, empêchée de grandir et de faire des choix librement. De retour au pays, l’invasion russe éclatera ce groupe soudé : certains iront se réfugier en Europe Occidentale, d’autres resteront dans la région de Donbass. 

Alisa Kovalenko au Hot Docs à Toronto le 4 mai 2023 - Citation fin
Alisa Kovalenko au Hot Docs à Toronto le 4 mai 2023

Lors de la séance de questions-réponses qui a suivi la première du film en Amérique du Nord, la cinéaste a annoncé avoir perdu contact avec deux d’entre eux qui sont tombés sous le joug de la propagande russe dans un territoire où il est impossible de pouvoir s’exprimer. Et les autres membres du groupe exilés en France ou en Belgique, déracinés, ont le mal du pays.

 « Personne ne peut être prêt pour cette réalité. »

La cinéaste Alisa Kovalenko

Néanmoins, de l’Ukraine au Népal, ce groupe d’adolescents a montré que la solidarité et la résilience, qui traversent We Will Not Fade Away, sont les meilleures armes pour tenir tête à l’ennemi envahisseur.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
We Will Not Fade Away
Durée
100 minutes
Année
2023
Pays
Ukraine / Pologne / France
Réalisateur
Alisa Kovalenko
Scénario
Alisa Kovalenko
Note
9 /10

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Fiche technique

Titre original
We Will Not Fade Away
Durée
100 minutes
Année
2023
Pays
Ukraine / Pologne / France
Réalisateur
Alisa Kovalenko
Scénario
Alisa Kovalenko
Note
9 /10

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