Hot docs 2023 - Castle et Only Doctor - Une

[Hot Docs] The Castle | The Only Doctor

Si vous ne savez pas encore quels films voir au cours des deux premiers jours du festival Hot Docs, les 27 et 28 avril, deux très beaux films, très différents dans leur forme et leur sujet, vous attendent : le bouleversant The Only Doctor qui dépeint un système de santé révoltant dans un comté rural de Georgie aux États-Unis et The Castle, documentaire fictionnalisé et drôle, en forme de revanche des domestiques contre leurs maîtres. 

The Only Doctor – La face cachée du rêve américain

Avec une première mondiale au Hot Docs, le jeune cinéaste et photographe Matthew Hashiguchi, basé en Georgie aux États-Unis, est propulsé sur le devant de la scène. The Only Doctor est son deuxième long métrage documentaire, après Good Luck Soup réalisé en 2016. Le cinéaste poursuit son travail d’exploration de la vie d’Américains outsiders confrontés à des systèmes oppressifs. 

The-Only-Doctor - début
La Dre Kinsell se tient devant sa clinique du comté de Clay, en Géorgie, le centre médical du comté de Clay

Son nouvel opus égratigne l’image de la superpuissance infaillible américaine en rendant visible une réalité de la souffrance de petites gens, quelque part dans le comté de Clay, annoncé comme l’une des régions rurales les plus pauvres de l’État de Géorgie. Un réel impossible à abandonner pour le docteur Karen Kinsell qui s’est installée il y a 20 ans dans la région pour combler l’absence d’accès à des soins de proximité. Elle est la seule médecin dans le comté, le médecin le plus proche étant à plus de 200 kilomètres. Cette désertification de médecins généralistes est bien connue dans les zones rurales, mais est amplifiée aux États-Unis par un système de santé inégalitaire. Filmé sur deux ans, avant et pendant la pandémie de la Covid, Hashiguchi pose sa caméra dans l’Amérique de Trump aux fins fonds de la campagne où il ne fait pas bon de vivre pour les personnes privées d’assurance santé, après que l’ancien Président des États-Unis a déstabilisé puis détruit l’Obamacare, l’assurance santé universelle mise en œuvre par l’administration Obama.

Filmés avec un drone, la beauté des paysages, les champs fertiles à perte de vue, les bêtes qui paissent paisiblement et le climat idyllique – tempéré subtropical humide -contrastent avec les conditions de vie des administrés où vivent, nous dit le docteur Kinsell, 60% de Noirs et 40% de Blancs. 

« Là, les maisons sur le devant de la rue principale ce sont des maisons de blancs. Dans les quartiers derrière, ce sont les communautés noires qui habitent. »

L’organisation de la ville fait froid dans le dos et rappelle le triste héritage de la ségrégation : maisons délabrées, quartier inanimé, même la clinique du médecin fuit et pourrit avec la présence de termites. Insufflant une vague de dignité que les populations locales n’ont pas l’habitude de voir, le docteur Kinsell se sacrifie à guérir, voire à sauver des vies, à aider une communauté que les politiciens du comté ou du fédéral délaissent et ne veulent pas protéger. Elle est comme le dernier rempart avant la mort de ses patients vieillissants ou souffrants, ou plutôt avant le paradis tant la population là-bas est croyante.

Hashiguchi reste silencieux, pose à deux ou trois reprises des questions au médecin, il nous balade entre les consultations à la clinique et à domicile et les réunions et visite du projet d’aménagement d’une nouvelle clinique qui se promet d’être humaine et accessible. Fausse promesse de justice sociale, l’établissement mercantile demandera dès son ouverture environ 150$ par consultation à la population environnante en majorité non assurée qui ne peut bien entendu pas se payer le luxe d’aller chez le médecin à ce prix. Pour le docteur qui voulait prendre sa retraite, cela l’oblige à continuer son travail de bénévole pour ne pas abandonner ses patients qu’elle fait payer 10 dollars la consultation.

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La Dre Kinsell embrasse une patiente après son rendez-vous. Pour de nombreux patients, la Dre Kinsell est leur source de soins de santé, car elle les traitera indépendamment de l’assurance ou du paiement

Le film s’avance alors dans la crise sanitaire de la Covid et une autre dramaturgie s’installe dans ce comté déjà miné par la pauvreté. Le médecin se dévoue corps et âme à l’échelle du comté pour venir en aide à ses patients vulnérables, rappelant le dévouement et l’héroïsme des personnes soignantes en première ligne. Elle administre le vaccin dans sa clinique, à domicile ou dans la voiture des personnes les plus fragiles, elle garde dans son frigidaire personnel les doses du vaccin à bonne température. Comme cadeau du ciel, un autre événement viendra adoucir le récit et récompenser les bonnes actions du médecin quand elle se mariera, en pleine crise de la Covid. Tout le monde a besoin d’amour et encore davantage l’unique médecin du comté. 

The Only Doctor est un portait miraculeux d’une femme ordinaire extraordinaire. Il parvient à redonner espoir dans l’humanité. « De quoi ont besoin les pauvres? » demande-t-elle. Si la réponse était évidente, il ne serait pas nécessaire de multiplier le docteur Kinsell pour construire un meilleur monde, de meilleurs états unis.

Fiche technique

Titre original : The Only Doctor
Durée : 85 minutes
Année : 2023
Pays : États-Unis
Écriture et réalisation: Matthew Hashiguchi
Note : 8 /10

En salle les 27 avril et 3 mai.

Disponible en ligne entre le 5 et le 9 mai

Bande-annonce  

The Castle – Conte de fée cocasse

The Castle - poster

Après une sélection à la prestigieuse Berlinade dans le programme Panorama, The Castle fait sa première nord-américaine au Hot Docs. Coproduction entre l’Argentine et la France grâce au vertueux programme du CNC « Aide au cinéma du monde », le premier long métrage documentaire en solo de Martín Benchimol est un bijou, en forme d’ovni documentaire en mode feel good. Sur les terres de Strip Tease, la série documentaire télévisée franco-belge, le projet de Benchimol retrouve le ton cocasse de la célèbre émission en dépeignant le quotidien de personnes en marge de la société. 

Justina et Alexia, mère et fille d’origine amérindienne, vivent dans un manoir au milieu de la pampa argentine, hérité de l’ancienne maitresse de maison qui en a fait don à Justina, sa domestique qui y vit depuis l’âge de 5 ans. Mais à une condition : elle doit entretenir le lieu et ne jamais le vendre. La bâtisse est imposante, mais, sans le sou, l’entretien devient une affaire délicate lorsque la plomberie tombe en rade, les peintures et façades sont défraichies et que les fuites s’accumulent. Éternelle fable sur le maître et l’esclave, Justina vénère encore sa maitresse soigneusement encadrée dans un cadre photo en noir et blanc qu’elle prend soin de dépoussiérer régulièrement comme si elle ne parvenait pas à se détacher de son rôle de domestique, esclave d’une aristocratie ou de la classe huppée argentine qui exploite trop souvent la pauvreté et la vulnérabilité des peuples amérindiens. Cette revanche en forme de lutte des classes et d’inversion des rôles est savoureuse et Benchimol utilise les expériences passées, présentes et imaginées de ses deux personnages pour construire une œuvre singulière.

« Il y a des scènes qui sont de pure observation, et d’autres où nous avons joué des situations passées dont ils m’avaient parlé, ou que nous avions vécues ensemble. Et puis il y a des scènes qui dépeignent un futur imaginaire. »

The Castle - Sur le terrain

Sur le terrain de la scénarisation du réel, tous les plans sont préparés et travaillés avec soin, créant des scènes décalées et filmant une classe sociale dans un environnement qui traditionnellement n’est pas le sien. Projet marxiste? Peut-être. Trait de génie? Assurément.

Le duo mère et fille fonctionne à merveille, c’est souvent drôle, avec des soupçons d’amour vache. Alexia, jeune adulte lesbienne et rebelle n’a rien à voir avec sa mère qui est restée attachée à son rôle de domestique même si elle est devenue propriétaire du manoir. Tout au long du film, sa mère l’appelle constamment : « Alexia, Alexia! » Elle la cherche dans la demeure immense, parfois à l’extérieur avec une lampe torche. Il faut dire qu’Alexia ne tient pas en place, elle touche à tout avec une passion débordante pour les jeux vidéo de course automobile, quand elle ne joue pas de la batterie, quand elle fait pas des slaloms avec sa voiture dans la propriété, quand elle ne tape dans un punchingball, ou quand elle ne transforme pas sa chambre en night-club que Benchimol filme admirablement de l’extérieur pour dénaturer la demeure bourgeoise et en faire un objet polyvalent. Alexia refuse la domination de la famille des anciens propriétaires blancs qui, dans une scène surréaliste, reviennent visiter le manoir et snober sa mère, mal à l’aise. Plutôt que s’adonner au paraître et à l’hypocrisie, Alexia surprend par un geste révolutionnaire dans une scène forte et stylisée de la sieste où elle brandit un fusil et fait mine de tirer. 

The Castle - Les parasites

Les parasites ont pris possession du manoir, mais de manière légale à la différence des personnages du film de Bong Joon Ho, Parasite. L’un des membres de la famille tente de convaincre Justina de proposer des chambres d’hôtes où elle pourra également servir le petit déjeuner. Son étiquette de domestique lui colle toujours à la peau, elle résistera avant de changer d’avis et de prendre des photos pour l’annonce. 

Mais Alexia s’ennuie dans cette vie de château hanté par un passé et capital culturel qui ne lui appartiennent pas. Elle rêve de devenir pilote de course automobile et pour cela veut partir en ville sous le regard attristé de sa mère. Elle veut fuir son rôle d’imposteure et cette demeure pleine de trous, tombant en partie en ruines, laissant sa mère cohabiter avec les animaux dans le manoir : pied de nez ultime au système de classe et à la reproduction des élites.

Fiche technique

Titre original : El Castillo
Durée : 78 minutes
Année : 2023
Pays : Argentine / France
Écriture et réalisation: Martín Benchimol
Note : 8,5 /10

En salle uniquement les 28 avril et 1er mai.

Bande-annonce  

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