Deux courtiers volent occasionnellement des bébés abandonnés par leurs parents dans la boîte à bébé de l’église et ils les vendent sur le marché noir de l’adoption. Mais lorsque la jeune mère revient après avoir abandonné son bébé, elle les découvre et décide de partir avec eux en road-trip pour interviewer les nouveaux parents.
Peu de réalisateurs peuvent se vanter d’avoir participé aux plus grands festivals de cinéma tout le long de leur carrière. Le cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda est l’un d’eux. Son style minimaliste et contemplatif se basant surtout sur l’interprétation des acteurs a charmé de nombreux critiques, cinéphiles et professionnels du cinéma, à un point où on l’a considéré comme l’équivalent moderne du maître japonais Yasujiro Ozu. Son premier film, Maborosi, avait déjà créé la sensation lors de la Mostra de Venise en 1995 lorsqu’il a gagné le Prix Osella de la meilleure direction de la photographie. Mais c’est surtout dans la compétition officielle du Festival de Cannes qu’il a fait de grandes vagues, ayant notamment remporté le Prix du Jury en 2015 avec Tel Père, tel fils, mais surtout la Palme d’or en 2018 pour son sublime Shoplifters. Après un passage en Europe où il a dirigé Catherine Deneuve, Juliette Binoche et Ethan Hawke en 2019 dans La Vérité, il est parti faire un tour en Corée du Sud pour son nouveau film, Broker, qui a eu sa première au Festival de Cannes de 2022.
La famille
Un thème que Kore-eda a exploré dans la grande majorité de ses films, c’est celui de la famille, et ce, dans toutes ses formes. Qu’elle soit séparée, recomposée ou improvisée, le réalisateur japonais s’est fait un plaisir de parler de la dynamique familiale et ce qui l’affecte, surtout à travers le reflet de la société japonaise. Dans Broker, la famille est à la fois non désirée avec la jeune Moon So-young qui abandonne son bébé, mais aussi improvisée entre les différents membres de la camionnette, comprenant elle, les deux courtiers Sang-hyeon et Dong-soo qui cherchent à vendre le bébé (avec le consentement de la mère) ainsi que le jeune orphelin Hae-jin qui rejoint le groupe en cours de route. Le réalisateur explore ainsi non seulement la dramatique de la mère qui souhaite abandonner son bébé, mais aussi celle des autres membres qui trouvent une rédemption dans cette nouvelle famille.
La formule Kore-eda
Pour avoir vu quelques films du réalisateur, je peux vous affirmer que Kore-eda reste dans sa formule classique. Si le film se passe en Corée du Sud et non au Japon, c’est surtout parce que le phénomène des boîtes à bébé présent dans le film est beaucoup plus répandu là-bas et que le réalisateur voulait faire un film avec les acteurs principaux. Cependant, même si le réalisateur ne change pas sa formule, elle reste quand même très efficace et fait en sorte que le film soit une superbe introduction à sa filmographie avec Shoplifters. Et la comparaison avec ce film ne sort pas de nulle part. Ces films traitent tous les deux de personnes en marge du système qui finissent par se créer entre eux un groupe cohésif. Aussi, les deux groupes se spécialisent dans des pratiques illégales. Et tout comme le film palmé, le récit de Broker peut paraître simple à première vue, mais il devient plus nuancé à mesure que le film avance et qu’on en apprend plus sur les personnages.
Mais ce qui fait toute la force du film, ce sont les acteurs. La direction d’acteur est un aspect des films de Kore-eda que l’on célèbre souvent d’ailleurs. Il y a non seulement des visages plus connus en occident comme Doona Bae que l’on peut retrouver dans Sense 8, mais surtout l’acteur de Parasite (ainsi que l’interprète préféré de votre serviteur) Sang Kang-ho, qui a d’ailleurs eu le Prix d’interprétation masculine à Cannes pour ce film. Si ces deux-là sont fantastiques, il faut reconnaître surtout le talent de Lee Ji-eun, une vedette de la musique en Corée, qui offre la meilleure interprétation du film dans le rôle de la mère So-young. Elle offre un portrait à la fois froid et chaleureux dans son rôle de mère tout en démontrant un caractère réaliste à travers son personnage. Il faut finir par souligner le jeune Im Seung-soo en Hae-jin. Les bons enfants acteurs se font rares, mais celui-ci est très attachant.
Au final, que vous ne connaissiez le style d’Hirokazu Kore-eda ou bien que vous soyez un grand admirateur de ses films, Broker est fait pour vous. Il est un bon contenu de tout ce qui est bien dans son cinéma ainsi qu’une parfaite introduction à son style. Le réalisateur nippon est un nom qu’il faut suivre dans le monde du cinéma et chaque nouvelle sortie d’un de ces films est un événement. J’espère juste que le film puisse avoir le droit à une distribution digne de ce nom à travers tout le Québec afin que n’importe qui puisse le découvrir.
