« — T’es excité pour une boite vide?
— Oui! »
Dans le cadre de l’édition 2022 du festival Fantasia, le réalisateur indépendant et enseignant de cinéma Marc Joly-Corcoran (Le miroir) présente Que le fan soit avec toi, un documentaire qui suit quatre fervents amateurs de la mythique saga Star Wars durant trois années, de 2017 à 2020. Le film se construit au rythme des conventions auxquelles participent les protagonistes, des plus locales, comme celles de Shawinigan ou Ottawa, aux plus grosses, comme le Comiccon de Montréal ou la Star Wars Celebration à Chicago. Lesdits protagonistes sont, comme le réalisateur, des membres de la génération X passionnés par l’univers de Star Wars depuis l’époque de la trilogie originale.
Ayant été l’étudiant de Marc à l’Université de Montréal, je l’ai plus d’une fois entendu parler de ce projet de longue haleine. Après visionnement, je dois dire que le résultat final est des plus satisfaisants, à la hauteur de ce qu’il nous promettait. Que le fan soit avec toi est un documentaire chaleureux sur la culture geek québécoise, encore peu connue — et peu respectée — du grand public.
L’aspect le plus intéressant du film est, à mon sens, le portrait sociologique qu’il fait de la communauté que forment les fans québécois de Star Wars. En effet, par ses protagonistes — Jeff, Kim, « Malgus » et Steeve — le réalisateur explore les codes culturels et le fonctionnement interne du fandom. Plus important, il présente de manière assez convaincante en quoi cette passion pour Star Wars, même si elle comporte certains désavantages, est toute sauf puérile ou pathologique. Ainsi, Que le fan soit avec toi ne s’adresse pas seulement aux mordus de science-fiction ou aux consommateurs de cinéma de genre. Toute personne intéressée à découvrir le fonctionnement interne d’une communauté peut s’y intéresser.
En suivant les protagonistes, on voit les activités qui régissent la vie d’un fan pur et dur, de la confection de costumes, à la chasse aux autographes d’acteurs ayant joué dans la trilogie originale, en passant par la participation à des balados thématiques et les préparatifs intensifs qu’exigent les célébrations liées à Star Wars. À propos de ces évènements, le réalisateur montre à quel point les protagonistes consacrent beaucoup de temps et d’argent à leur passion, tout cela dans le but d’offrir aux autres fans, les plus passionnés comme les plus néophytes, l’expérience la plus authentique possible. Les protagonistes ne cachent pas que leur passion peut parfois affecter leur santé financière et même mentale. « Malgus » confie même faire un « Stormtrooper Burnout », donc un épuisement dû au fait de trop souvent interpréter le personnage d’un Stormtrooper.
Le documentaire rappelle aussi l’importance du facteur générationnel dans cette dévotion, car s’il existe bien des fans plus jeunes, le réalisateur décortique à quel point la trilogie originale a été importante pour les membres de la Génération X, qui ont vu les premiers Star Wars alors qu’ils étaient enfants. La nostalgie est importante dans le film, comme le prouvent les premières minutes du film, où les protagonistes relatent, en voix-off, comment ils ont été initiés à la saga. Mes parents étant des « X » je peux témoigner de l’impact massif que Star Wars a eu sur eux, un impact probablement plus grand que n’importe quelle série de films depuis. Le documentaire montre bien à quel point la saga a marqué l’imaginaire populaire.
Un autre aspect intéressant du film est qu’il révèle le fonctionnement du fandom, plusieurs regroupements existant en effet au sein de cette communauté. Malgus fait ainsi partie d’un club extrêmement sélect — la 501e légion — qui compte des milliers de membres répartis dans des dizaines de pays, en une structure presque franc-maçonnique. Chaque branche de la 501e doit avoir un officier-commandant et les membres sont tenus de porter des costumes pré-autorisés.
Plusieurs séquences sont également consacrées au phénomène des collections. Les protagonistes amassent en effet des milliers d’items liés à Star Wars, en ayant suffisamment pour remplir des salles complètes, voire des entrepôts. Autant par des mouvements de caméra amples que par des inserts bien placés, le réalisateur montre au public l’ampleur de ces collections. Le film suit également les protagonistes dans des encans, où les collectionneurs cherchent des pièces toujours plus rares. Il est impressionnant de voir à quel point certains fans, dont Steeve, possèdent une connaissance encyclopédique des objets de collection, récitant par coeur l’origine, l’historique de production et les détails caractéristiques de telle ou telle figurine rare. Le documentaire révèle comment les encans fonctionnent presque comme des marchés de l’art, les acheteurs sollicitant des experts pour certifier l’authenticité d’une pièce, puis entreposant précieusement leurs achats en attendant qu’ils prennent de la valeur.
Le réalisateur opte pour une mise en scène de type « cinéma direct », donc sans narration ni intervention du réalisateur pour influencer la perception du spectateur. Il faut dire que cette conception du documentaire se prête bien à son côté sociologique. La caméra est légère, furtive et suit à la trace les personnages, capturant çà et là des conversations à l’improviste. Le montage est bien rythmé, les séquences se succèdent avec une fluidité agréable.
Cela dit, on sent tout de même que le réalisateur ressent une affection contagieuse pour ses protagonistes, dont il partage la passion. À vrai dire, le réalisateur a la volonté avouée de mettre fin aux préjugés contre les membres du fandom de Star Wars. Le film s’attache donc à montrer que tous les protagonistes ont des emplois respectables et des vies familiales satisfaisantes. Steeve, un citoyen des Premières Nations qui est à mon sens le personnage le plus intéressant, est même assez prospère, possédant un restaurant et une boutique de jouets dans sa communauté natale de Wendake. Ces fans sont donc loin des clichés présentant les geeks comme des chômeurs pris dans une enfance éternelle.
Le film montre que si Star Wars est si important pour ces gens, c’est d’abord parce que la saga leur a permis de former une communauté très soudée. L’amitié émouvante entre Steeve et Malgus — qui visitent ensemble les lieux de tournage de A New Hope (1977) en Tunisie — en est l’illustration la plus forte. Plusieurs scènes montrent comment les membres du fandom se soutiennent mutuellement dans des périodes difficiles. Pour eux, Star Wars prend une dimension presque métaphysique, leur amour commun pour les films leur permettant ni plus ni moins que de communier ensemble et d’apaiser les angoisses du monde contemporain. Cette volonté du réalisateur de faire un film optimiste, montrant des gens prêts à tout donner pour leur passion, est bienvenue dans un cinéma québécois qui peut parfois avoir tendance à donner dans le misérabilisme.
D’une manière plus concrète, le film montre aussi que les protagonistes, surtout Malgus, sont souvent invités à prendre part, en costume, à des évènements caritatifs. Non seulement ramassent-ils plusieurs milliers de dollars pour des associations comme la Fondation Sainte-Justine, mais, surtout, ils redonnent le moral à des enfants très malades. En soit, cette action témoigne à la fois de l’importance de ce que font les protagonistes et de la portée que continue d’avoir l’univers de Star Wars.
Les enfants reviennent à plus d’une reprise dans le film, car le thème de la passation aux générations suivantes est important. Tous les protagonistes souhaitent transmettre leur passion pour Star Wars à leurs descendants. Dans le cas de Steeve, l’enjeu de l’héritage est particulièrement important, car, étant Autochtone, il souhaite que ses enfants connaissent leur culture traditionnelle, en plus de l’univers de Star Wars. Pour lui, ces deux passions n’entrent pas en compétition, car plusieurs éléments des films, comme la Force, lui rappellent la spiritualité autochtone. Il est vrai que George Lucas s’est beaucoup inspiré des philosophies non-européennes pour écrire ses scénarios.
Somme toute, Que le fan soit avec toi est une célébration du pouvoir de l’imaginaire – incarné ici par Star Wars – qui lie les individus et prend une dimension presque religieuse dans leur vie. C’est aussi un portrait assez complet et réaliste d’un des plus vieux fandoms au monde. Terminons en mentionnant que la musique, signée Patrick Krouchian, est une des forces du film.
Que le fan soit avec toi est présenté au Festival Fantasia le 30 juillet 2022.
Bande-annonce
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