Last and First Men – La fin prédite

« We, who are the last men, earnestly desire to communicate with you. »
[Nous, qui sommes les derniers hommes, désirons sincèrement communiquer avec vous.]

Last And First Men - afficheDeux milliards d’années devant nous, une future race humaine se trouve au bord de l’extinction. Presque tout ce qui reste dans le monde sont des monuments isolés et surréalistes, diffusant leur message dans le désert.

Poétique et tragique, Last and First Men représente l’œuvre ultime et la plus personnelle de Jóhann Jóhannson. Il s’agit d’une allégorie du souvenir, des idéaux et de la mort de l’utopie… Et de la race humaine.

Un film posthume

Last And First Men - Johann Johannsson - Un film posthume
Johann Johannsson

Avant de plonger plus à fond dans le film en soi, il est intéressant de noter que le réalisateur est décédé en 2018. Il s’agit donc d’un film posthume qui fut terminé sans lui. « Avec le décès de Jóhann il y a deux ans, nous avons fait face à des défis difficiles pour finaliser sa vision. Toute l’équipe était catégorique quant à la réalisation du film et il était de la plus haute importance pour l’équipe que son premier et dernier long métrage soit complété par sa vision, nous guidant jusqu’à la fin. » 

Est-ce que Last and First Men représente vraiment ce que Johannson avait en tête? Impossible de le dire. Les images sont selon sa vision, la musique aussi. Mais le montage fut réalisé après sa mort. Quoiqu’il en soit, c’est avec plaisir que je me suis lancé dans ce visionnement qui me laissait entrevoir un film dans la même veine que Visitors ou 20-22 Ω

Une narration et une musique 

LastAndFirstMen - Narration et musiqueNarré par Tilda Swinton, le film nous fait entrer dans un monde de monuments surréalistes et fantasmagoriques, des monuments en pierre futuristes, brutalistes et d’un autre monde érigés pendant l’époque communiste dans les anciennes républiques yougoslaves et captés en 16 mm en noir et blanc par le célèbre directeur de la photographie Sturla Brandth, qui restent seuls, abandonnés, et diffusent leur message dans le désert. Alors que l’histoire des civilisations futures en ruines est racontée, la présence spectrale d’une entité tentant de communiquer avec nous émerge.

Le long métrage devient donc une méditation sur la mémoire et l’utopie ratée, contextualisée, et raconté à travers le mode littéraire de la science-fiction.

Swinton, avec sa voix, crée une ambiance transcendante et poignante qui amène le spectateur à se concentrer sur la force du texte. Pour appuyer l’actrice, il y a la musique de Johannson qui entre directement dans les tripes. Une trame sonore obsédante. 

Une déception malgré…

Last And First Men - Une déceptionJ’ai nommé deux films plus haut… Vous comprendrez, si vous avez lu ces critiques, que mes attentes étaient plutôt élevées. Peut-être trop… Ce sont les images qui, malheureusement, n’étaient pas aussi belles que je l’espérais. Les plans, les images et les lieux sont très bien choisis. Mais l’image granuleuse n’est pas ce qui rend le mieux le sentiment. Une image beaucoup plus photographique semblerait plus appropriée pourappuyer la force des plans.

Ceci dit, la composition de la trame est intéressante. Last and First Men est composé de trois couches médiales. 

La première est une exploration visuelle du « Spomenik »: des monuments de pierre futuristes et abstraits érigés à l’époque communiste dans les anciennes républiques yougoslaves. Construits pour commémorer certaines des grandes tragédies de l’histoire des Balkans – sites de batailles de la Seconde Guerre mondiale, camps de concentration et génocides – ils sont chargés d’une signification symbolique, reflétant la dynamique ethnique et politique extrêmement complexe de la région. Ils étaient destinés à symboliser les idéaux de la Fédération yougoslave, dont le but était d’unifier les groupes ethniques historiquement divisés des Balkans. Aujourd’hui, ces oeuvres se trouvent dans la nature sauvage des républiques balkaniques désormais désunies, parfois envahies par la végétation, parfois couvertes de graffitis, souvent négligées et abandonnées.

Le texte – le deuxième médium – s’inspire d’un roman d’Olaf Stapledon, écrit en 1930, qui décrit l’histoire de l’humanité habitant la planète dans un futur de deux milliards d’années, et ce après l’apparition et la disparition de dix-huit espèces humaines distinctes. Le film se concentre sur les deux derniers chapitres du livre, qui racontent l’histoire des Derniers Hommes (Last Men), décrivant leur société, leur philosophie, leurs mœurs et leur extinction proche. Le narrateur, qui n’est jamais vu, est un être vivant à cette époque, qui s’adresse directement au spectateur. Le texte est formel et académique et se lit parfois plus comme un traité historique ou une étude anthropologique que comme un roman de science-fiction, mais il a aussi un ton poétique et élégiaque par endroits. Au point où nous avons parfois l’impression que nous écoutons un oracle.

La troisième couche est la musique. C’est un niveau de sens en soi parce qu’il y a de longues sections où les images et la musique sont isolées. La musique est mélancolique et sombre, donnant au film certains aspects d’un requiem pour les derniers hommes et pour les idéaux d’une utopie ratée, d’une espèce déchue.

Mais encore…

First and Last Men - Mais encoreCe film qui condensent trois couches de sens se concentre sur l’abstrait, le pouvoir d’un autre monde, et la beauté extraterrestre des monuments et la façon dont leur état actuel – en décrépitude – leur insuffle une nouvelle essence alors que le contexte politique et social dans lequel ils ont été créés a été discarté.

Last and First Men explore des zones de délabrement et de ruines où de grandes tragédies se sont produites, des lieux chargés de symbolisme. En les regardant, nous ressentons une sorte de présence spectrale, une entité qui tente de communiquer avec nous. Et, bien que loin d’être grandiose, le film posthume vaut la peine d’être vue et, surtout, entendu.

Note : 7.5/10

Bande-annonce

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