« L’amour, c’est quoi sans le désir? »
Pour épier son amant Ludo, Claire (Juliette Binoche), la cinquantaine, se crée un faux profil sur les réseaux sociaux et devient Clara, une magnifique jeune femme de 24 ans. Alex (François Civil), le meilleur ami de Ludo, est immédiatement séduit. Dans l’engrenage, Claire tombe à son tour éperdument amoureuse de lui. Si tout se joue dans le virtuel, les sentiments sont bien réels. Une histoire vertigineuse où réalité et mensonge se confrontent.
Après L’empreinte de l’ange et Comme un homme, Safy Nebbou s’est attaqué au roman Celle que vous croyez, de Camille Laurens, qu’il dit avoir dévoré. Nebbou est fan des histoires qui proposent des fins multiples ou différentes. Il a trouvé ici un scénario original, actuel et intelligent.
Celle que vous croyez est une réflexion profonde sur plusieurs maux de notre siècle nouveau: d’abord, toutes les relations virtuelles qu’ont amenées les Facebook et compagnie, les mensonges multiples qui en découlent, incluant les mensonges que l’on se fait à soi-même (on voit dans une scène Claire qui se voit dans le miroir et qui réalise qu’elle n’est pas Clara…); ensuite, la primordiale réflexion sur l’amour et/ou le désir; tombe-t-on en amour avec un corps, une voix ou une personne?
Alex est amoureux de l’image (fausse), mais aussi de la voix (vraie) de Claire. Claire est en amour avec Alex, mais en tant que Clara… Elle ne peut assumer que Claire et Alex soient ensembles. Ils ont 27 ans d’écart.
Le film est monté en cumulant une suite de rencontres de Claire avec sa psychologue (Nicole Garcia): un choix de réalisation qui crée une pure merveille de cinéma. Nicole Garcia joue une psy extrêmement crédible, troublée et froide de par sa position. Une grande actrice dans un grand rôle secondaire. Claire raconte ses aventures à sa thérapeute, qui ne la laisse pas s’évader dans le mensonge: elle la ramène constamment dans le vrai, dans la réalité. Mais on sent que la psy ressent un manque dans sa vie, qu’elle envie les folies de sa cliente.
Je me questionne cependant sur le fait que la thérapeute ne respecte pas le secret professionnel en allant rencontrer Ludo pour en connaître davantage sur Claire. Peut-être que le réalisateur a voulu nous montrer que, pour Catherine (la psy), la curiosité était devenue intolérable et que c’est ce qui l’a menée à violer l’éthique de sa profession en enquêtant sur sa cliente. Ce n’est pas clair dans le film.
Quoi qu’il en soit, Celle que vous croyez est un film extraordinaire pour l’amateur d’un bon cinéma profond. Juliette Binoche joue formidablement bien, mais ce n’est pas nouveau; elle a toujours été à la hauteur des rôles qu’on lui proposait. Les scènes du duo Garcia-Binoche sont un pur délice.
Le tout est accompagné de très beaux textes, dont ceux de Marguerite Duras, Claire étant prof de littérature dans un lycée.
Ce film parle d’une femme cougar, de sa jouissance, de son égoïsme, de son besoin de réinventer sa vie. « L’amour, c’est quoi sans le désir? » Notre vie n’a pas qu’une seule fin possible. « J’aimerais mourir mais pas abandonnée » A-t-on le droit de jouer avec les sentiments de l’autre? Mais ne le fait-on pas constamment? Le film pose ces questions.
À voir, écouter et savourer. Un grand film actuel.
10/10
Visionnez la bande-annonce :
© 2023 Le petit septième
Bonjour,
Je viens de voir le film. Votre compte-rendu est fidèle, cela dit nos interprétations de la fin diffère. En effet comme vous le dites celle-ci n est pas claire (Ou devrais-je dire Claire).
Vous semblez penser que la psy s est véritablement rendue auprès de Ludo afin de recueillir son témoignage et lui apprendre que Claire est en clinique. Mais justement, la psy finit par se rendre dans la clinique pour dire au revoir à sa patiente, et bien qu elle n a pas respecté la distance déontologique à laquelle un médecin est soumis, Claire la salue par un « au revoir docteur », après lui avoir dit qu elle a changé la fin de son ouvrage. Alors : on ignore si tout l épisode du psy rencontrant Ludo, et son mensonge quant au suicide d Alex, est une fiction de Claire, une fin alternative à son roman, ou si cela s est véritablement passé. C est équivoque, en ligne avec les ambiguïtés du film et les fins multiples (c est une belle mise en abyme).
Le compte-rendu n’est pas tout à fait fidèle. Claire n’enseigne pas le français en lycée mais la littérature comparée à l’université. Nicole Garcia n’est pas psychologue mais psychanalyste et psychiatre. Ces ‘détails’ sont importants. Et la psy n’envie pas les folies de sa patiente et non cliente, absolument pas…
Il ne s’agit pas d’un film sur une cougar qui ne supporte pas la vieillesse et la perte de son pouvoir de séduction. C’est un film bien plus complexe qui soulève des questions insolubles sur les rapports amoureux, l’évolution des relations humaines dans la société contemporaine, la non-acceptation de soi… Le subtil mélange du virtuel et du réel sert avec finesse le propos malgré quelques lourdeurs liées au contenu des cours de Claire par exemple.