Un café avec… Silvio Cantoro, réalisateur de La bicicletta

Le 4 septembre 2019

Dans le cadre d’Italie tout court!, François a rencontré, pour Le Petit Septième, Silvio Cantoro, musicien et réalisateur. Son premier film, La bicicletta, sera présenté sur notre site du 6 au 8 septembre 2019. Cette entrevue a été l’occasion d’en apprendre davantage sur le film, mais aussi sur la culture et les moeurs du Sud de l’Italie. Voici des grands extraits de cette discussion.


Vous pouvez écouter l’entrevue en italien /  Potete ascoltare la versione in italiano 

François: La bicicletta est ton premier film. Pourquoi l’as-tu dédié à ta mère?

Silvio Cantoro
Silvio Cantoro

Silvio: Parce que c’est comme une partie de mes souvenirs d’enfance. Au début du film, il y a toute une partie qui relate comment la bicyclette est le premier moyen de transport, quand nous commençons à nous déplacer par nous-mêmes dans les rues. Il y a plusieurs souvenirs d’enfance reliés à ma mère avec la bicyclette.

François: Alors, c’est toi qui a écrit le scénario ?

Silvio: Oui, le texte et la musique, tout est de moi. Le texte disons que c’est le prétexte pour raconter que les temps ont changé: la bicyclette est désormais… Dans plusieurs villes, la bicyclette était très utilisée et maintenant en Italie elle n’est plus assez utilisée et elle devrait l’être plus parce que c’est un moyen de transport économique, qui ne pollue pas et qui amène bien-être et santé. Elle peut même contribuer à la paix. Durant la guerre, elle était un instrument d’information. Ainsi, le sens du film est de raconter comment la bicyclette est utile pour plusieurs aspects. Donc, à travers ce film, j’aimais l’idée de véhiculer ou d’encourager l’usage de la bicyclette. Ça c’est pour le sens. Ensuite, pour la narration, j’ai emprunté une voix précise. C’est la voix italienne d’Anthony Hopkins [Dario Penne], une voix importante, une voix profonde, très expressive. Et, la scénographie que j’ai utilisée, c’est la ville. Une scénographie naturelle, qui ne coûte rien. C’est l’histoire des courts métrages… 

J’ai toujours tourné des courts métrages pour des amis donc je n’ai jamais fait des trucs compliqués parce que je les faisais pour moi. Je reprenais ce que j’avais filmé lors des tournées musicales et j’en faisais des montages pour avoir des souvenirs des tournées avec mes amis. Cette passion pour l’appareil photo, pour la mémoire, je l’ai un peu volé d’un musicien avec qui j’ai travaillé qui s’appelle Stewart Copeland, le batteur du groupe The Police. Durant ses voyages, il prenait plein de photos et faisait des collages et il m’a transmis cette passion pour le collage, ce qui m’a donné l’idée de faire mes premiers courts métrages de tournées.

François: Alors, tu as tourné le film à Lecce parce que c’était plus simple?

Silvio: Oui, oui, disons que c’était plus simple. Cependant, je dois dire que d’une part, c’était plus simple, plus économique, mais d’autre part je voulais rappeler que l’Italie est pleine de villes comme Lecce, toutes petites… Et donc, plus les villes sont petites et plus ça devient difficile d’utiliser la bicyclette. Pourtant, au contraire c’est facile à Lecce. Parce que, à Lecce, comme dans la plupart des villes en Italie, le territoire est plutôt plat, et il fait froid seulement deux mois par année. Il n’y a pas de raison de ne pas utiliser la bicyclette.

François: Il fait froid… ! 

Silvio: Plutôt oui, ça peut tomber à zéro en décembre et en janvier.

François: Pour moi ce n’est pas froid !

Silvio: Non, pour toi, non !

(Rires)

La bicicletta - foto 1 - Centre historique
Le centre historique

Silvio: Et puis, donc, c’est plat. Le centre historique est très beau. Je ne me rappelle pas avoir été dérangé par les autos, par le trafic. Il y a évidemment des gens qui utilisent l’automobile parce qu’ils viennent des alentours, mais ce n’est pas le mode de transport des gens qui habitent à Lecce. Ceux qui habitent à Lecce utilisent la bicyclette. 

François: Encore aujourd’hui?

Silvio: Oui, beaucoup beaucoup. Donc, c’est plat, c’est petit, on peut se promener en bicyclette partout… C’est ça le sens du film. Et j’ai voulu le raconter à travers cette vision un peu onirique de la ville. Et ceci m’a permis de gagner un prix très important qui s’appelle Italia International Tourist Film. Il a été classé comme film touristique parce qu’il montre la ville. En Espagne, au contraire, ça a été classé comme un film d’avant-garde parce qu’il n’y a pas un sujet à l’avant-plan: cette voix off qui parle, cette image qu’on ne comprend pas bien parce qu’on se trouve au départ dans le parc, puis dans le centre historique… Les images ne sont pas vraiment reliées les unes aux autres. Elles sont finalement un prétexte pour raconter. Et puis, à la fin, on découvre quelque chose… 

François: C’est intéressant parce que, dans le film, il est question du passé… Mais aujourd’hui ce n’est pas nécessairement mieux ou pire. C’est une des choses qui m’ont plu dans le film: tu es capable de montrer comment les temps changent, mais sans déprécier la société actuelle. 

Silvio: Oui, dans le sens que, finalement, je ne crois pas qu’il y a une seule vérité; il y a plusieurs points de vue sur les choses. Certainement, du point de vue de la bicyclette, c’était un peu plus sain à l’époque… Par exemple, les gamins de 10-12 ans se promenaient toujours en bicyclette. Maintenant, à cet âge, ils sont en scooter. C’est un peu dommage, parce que ça veut dire que, quand ils auront 18 ans, c’est l’avion qu’ils vont prendre ces jeunes! C’est une transformation culturelle.  Et puis, si c’est mieux ou si c’est pire, on le verra dans 50 ans! Cependant, c’est certainement mieux pour profiter de la ville, et c’est un point de vue, mais en bicyclette tu es tenté de regarder en hauteur, ce que tu ne fais pas quand tu es à pied, ou en scooter. En bicyclette, tu regardes les balcons, les terrasses, le ciel; le regard est dirigé un peu plus haut. 

François: C’est ce que tu dis dans le…

Silvio: C’est quelque chose que je dis, mais surtout c’est quelque chose qu’on voit. Parce que chaque fois que la caméra tend à s’éloigner vers le ciel, c’est ce qu’on voit. Et j’espère que c’est un élément qui peut sensibiliser les gens à utiliser la bicyclette pour profiter du ciel…

François: Utilises-tu la bicyclette encore aujourd’hui?

Silvio: Oui. Malheureusement, seulement le weekend. Je travaille à l’extérieur, donc je ne peux pas l’utiliser pour aller travailler. Donc le weekend… Mais pas pour faire une grande promenade à vélo. Je veux que les gens aillent faire les courses en bicyclette, les choses quotidiennes… pas besoin de faire une excursion très longue ! 

François: J’ai vu les Pouilles il y a 4 ans.

Silvio: Ah ! Où es-tu allé?

François: Monopoli.

Silvio: Une belle ville !

François: J’ai des amis qui y étaient. J’ai pu voir pas mal toute la région. Et je suis allé à Lecce pour une journée.

La bicicletta - foto 2Silvio: C’est une très belle ville. Et puis, il y a la mer à côté. Et Lecce, contrairement à la plupart des villes du Sud, est une ville très tranquille. Il n’y a pas la criminalité qu’on voit ailleurs, on ne vole pas les sacoches ou les bicyclettes. C’est une ville universitaire. Il y a du chômage… mais c’est un chômage intellectuel. Quoi de mieux pour profiter de la pénurie d’emploi que d’aller aux études ?! Au moins, il y a de l’espoir… ! (Rires) 

Donc, une ville très tranquille, où il y a plusieurs multinationales qui fournissent beaucoup d’emplois. On est très chanceux. Aussi du point de vue touristique. Lecce fait partie de la région de Salento, la région à l’extrême Sud des Pouilles. À Salento, maintenant, c’est très fréquenté par les touristes. Il y a beaucoup de manifestations internationales. La Notte della Taranta par exemple, une manifestation musicale sur la musique traditionnelle salentine réinterprétée par des artistes internationaux, dont Stewart Copeland, le batteur de The Police. Donc, il y a une sorte de revalorisation de cette région depuis quelques années. En 1995, ce n’est pas tout le monde qui savait où était Lecce, parce que c’est vraiment à l’extrémité de l’Italie. Donc, quand j’ai fait… Il y a quelques années, le service militaire était encore obligatoire. J’ai fait le mien à Perugia, au centre de l’Italie. Quand je suis arrivé là-bas, j’avais 27-28 ans. Les gens me demandaient d’où je venais et quand je disais « Lecce », les gens me demandaient: « C’est où? »! (Rires) Aujourd’hui, Lecce est très connue. Un peu à cause de l’équipe de soccer; et puis il y a La Notte della Taranta, et la mer, etc, etc…

François: Lecce était la capitale culturelle il y a quelques années?

Silvio: Oui, elle est remplie d’églises d’époque baroque, du 18e siècle. C’était une zone gouvernée énormément par l’Église, l’unique industrie qui n’a pas grossi. (Rires)

La bicicletta - afficheFrançois: On a le même problème au Canada: on a de nombreuses églises qui ne sont plus utilisées, auxquelles on essaye de trouver des nouvelles utilisations, comme accueillir des spectacles…

J’ai une autre question sur La bicicletta. À la fin, durant le générique, il y a une animation… 

Silvio: Alors, à la fin… Je voulais que tout le générique soit musical, avec les chanteurs, les musiciens…

François: C’est ton groupe?

Silvio: Oui !

En réalité, c’est un peu là aussi un excuse parce que ce n’est pas normal que la bande sonore d’un court métrage soit aussi longue: 30% de la durée du film c’est de la bande sonore. Il dure 11 minutes et il y a 3 minutes de bande sonore. Les paroles du générique rendent plus claires l’idée du film. Ça appartient donc au film. C’est un peu l’idée que je voulais faire passer. Et donc j’ai  créé ce petit film dans le film pour faire durer cela jusqu’à la fin.

La chanson s’intitule « nei sogni » [dans les rêves]… Ça dit que dans les rêves on est meilleurs que dans la vie quotidienne; dans les rêves, on imagine des amours qui durent pour toute la vie et nous imaginons tant de belles choses. Et on se dit avant de s’endormir: «à partir de demain, je vais au gym; à partir de demain, je me mets au régime; à partir de demain, je prends ma bicyclette…» Et puis, le jour suivant, on l’oublie. Donc, dans les rêves, on est meilleurs. C’est ce que dit la chanson. Et donc je n’ai pas voulu sous-titrer les paroles, parce que le texte de la chanson est exactement l’explication du film.

François: Prévois-tu d’autres films?

Silvio: Oui, je tourne ces jours-ci. Ça s’intitule « Silence ». C’est l’histoire d’un personnage qui est sourd. Il l’est devenu à 10 ans, après un traumatisme – il a vu mourir sa mère. Il vit une sorte de dépression: il n’entend plus rien; il n’entend plus le bruit de la mer; il n’entend plus le bruit du vent; il n’entend plus les gens chanter. Et donc c’est aussi un peu une métaphore du monde actuel: nous sommes tous un peu sourds; nous sommes tous un peu isolés. J’ai déjà écrit la musique; il devrait être prêt au mois de septembre. 

Je t’ai apporté un petit cadeau ! J’aimerais bien si tu le lisais.

François: La Notte della Taranta vista dal basso

Silvio: Dal basso… Ça veut dire avec une perspective humble: vue d’en bas.

François: Ce sera le 3e livre en italien que je lirai ! 

Silvio: La Taranta, c’est le nom de notre musique folklorique.

François: Taranta, c’est une ville ?

Silvio: La Taranta c’est une araignée. Il y a une légende qui dit que si une personne est mordue par la Taranta, elle devient folle et le seul moyen de la guérir est de jouer de la musique. Et donc la musique est thérapeutique parce qu’elle a un rythme cyclique. Le rythme de base de notre musique traditionnelle se nomme « pizzica », parce que la Taranta « pizzica » [pique]. En réalité, c’est un problème qui date du début du 20e siècle. Les femmes devaient dire qu’elles avaient été piquées pour avoir le droit de danser. Autrement, ce n’était pas permis de danser. Donc, c’est un fait culturel. Et donc c’est l’origine de la « pizzica ».

J’ai joué plusieurs années, jusqu’en 2015,  à ce festival et ailleurs: j’ai porté le message culturel de cette musique à l’extérieur. Depuis 2015, j’ai décidé de mener davantage mes propres projets: spectacles avec mon groupe, ou encore spectacles théâtraux. Je fais un spectacle de théâtre dans lequel on explique pourquoi le Sud de l’Italie est demeuré pauvre. Une histoire qu’on ne raconte pas dans les livres.

Je le fais depuis 2 ans avec mon groupe, mais c’est un spectacle juste pour le théâtre: parce qu’on a besoin du silence, des gens qui écoutent l’histoire. Ce n’est pas une histoire très connue en Italie. Le spectacle s’appelle Ultimi. [Derniers]

François: J’espère que j’aurai l’occasion de le voir…. si jamais un jour vous venez à Montréal !

***

C’est évident, l’oeuvre de Silvio Cantoro partage l’histoire et la culture du Sud de l’Italie, que ce soit par la musique, le théâtre ou le cinéma. Venez respirer l’air chaud de la ville de Lecce le temps d’un court métrage, avec La bicicletta, présentée gratuitement du 6 au 8 septembre directement sur la page du Petit Septième, dans le cadre d’Italie tout court!

1 réflexion sur “Un café avec… Silvio Cantoro, réalisateur de La bicicletta”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Le 4 septembre 2019

© 2023 Le petit septième