« Changer, ce n’est pas passer de l’erreur à la vérité. »
« Le problème des économistes, c’est que les gens croient qu’ils ne pourront jamais rien comprendre à l’économie. Celui des sociologues de la famille, c’est que les gens croient qu’ils ont déjà tout compris d’avance à la famille, juste parce qu’ils en ont une. »
Irène Théry
De septembre 2012 à mai 2013, la France s’enflamme sur le projet de loi du Mariage pour tous. Pendant ces neuf mois de gestation législative, la sociologue Irène Théry raconte à son fils, réalisateur, les enjeux du débat. De ces récits nait un cinéma d’ours en peluche, de jouets, de bouts de cartons. Portrait intime et feuilleton national, ce film nous fait redécouvrir ce que nous pensions tous connaître : la famille.
La sociologue et l’ourson de Étienne Chaillou et Mathias Théry est un documentaire pour le moins différent. Le propos est politique et intelligent, mais, le plus souvent, il est pris en charge par des jouets. Étonnamment, cela n’a pas pour effet de le rendre ridicule ou sans intérêt. Au contraire, ça nous le rend vivant, ça le dynamise, ça le rend amusant et soutenable parce que le projet de loi sur le mariage pour tous en France a fait ressortir le mauvais chez plusieurs. Si plusieurs homosexuels se sentaient intégrés à la société française, les manifestations et débats enflammés de 2012 et 2013 les ont ébranlés.
Le film nous présente donc cette réalité d’un point de vue sociologique. Qu’est-ce que permet la sociologie, certains se demandent-ils? La sociologie permet de réfléchir sur les comportements humains, de les délimiter, les nommer et de mieux comprendre leur signification et leur portée.
Les réalisateurs n’ont pas avisé Irène Théry des représentations par des jouets. Ils le lui ont annoncé, tel que présenté dans la bande-annonce, par téléphone. D’abord surprise, elle a beaucoup aimé le résultat. Et pour cause, c’est génial!
Mathias Théry explique un tel choix esthétique : « L’actualité des débats sur le mariage pour tous possédait déjà une forme de théâtralité. Il y avait des rebondissements tous les trois jours… Nous voulions regarder tout cela avec distance, les marionnettes permettent de prendre du recul. » Ce à quoi Étienne Chaillou ajoute : « Faire réinterpréter des réalités sociologiques par des gens avec en arrière fond la voix off d’une sociologue nous gênait. Cela aurait un côté “rats de laboratoires analysés par une intellectuelle”. Et lorsque l’idée de la marionnette est survenue, cela a tout de suite collé, car, un peu comme au théâtre, les personnages devenaient alors des symboles. Des symboles du citoyen, de l’enfant, de la femme au fil des générations, du couple homosexuel… mais sans se désincarner pour autant. »
Ces symboles, comme Chaillou les nomme, sont très forts. On se fait expliquer la vie simplement, les bases qui ont régi et qui régissent encore notre société. Et ça devient limpide, sans devenir barbant. Même si on est au fait des différents éléments, ils prennent tout leur sens face aux enjeux actuels : le mariage pour tous et le droit d’être une famille, même homoparentale (deux parents du même sexe avec des enfants).
« Le travail du sociologue est de nous faire redécouvrir ce que l’on croit déjà connaitre », explique Mathias Théry. Le sociologue nous fait porter un autre regard sur une réalité, nous force à la regarder sous un autre angle. « Aux côtés d’Irène, nous avons compris que le monde ne peut pas se regarder uniquement de façon linéaire, comme une simple succession d’événements. En réalité les individus sont au cœur d’un tissage d’éléments qui sont le quotidien, la politique, mais aussi l’histoire collective, l’héritage d’un droit très ancien, la lente évolution des mœurs, un passé disparu et qui pourtant influence nos façons de parler, de penser. »
Irène Théry ne souhaitait pas que le documentaire porte sur elle ou en être le point central. Mais en discutant avec son fils de différents aspects de la famille, elle en est venue à parler d’éléments de sa propre vie, de son passé familial, ce qui apporte une profondeur au débat en cours.
Ainsi, c’est en racontant l’histoire de son arrière-grand-mère et de sa grand-mère, des difficultés qu’elles ont rencontrées à cause des différents préjugés sociaux – son arrière-grand-mère ayant eu un enfant hors des liens du mariage – que l’on réalise tout le chemin parcouru par notre société. Ce passage, commente Irène Théry, « est absolument nécessaire », car il rappelle « ce qu’était la condition des bâtards d’autrefois : au fond, la question des “parias” sociaux et celle de l’intégration au cœur des institutions sociales (symbolisé par l’entrée dans la salle des mariages de nos mairies républicaines) ».
Irène Théry aborde l’histoire du mariage, les changements face à cette institution dans les années 1960. Elle parle aussi de tout ce qui a trait à la famille, à la place des enfants au cœur de l’unité familiale. Elle remonte très loin pour illustrer son propos, jusqu’au Moyen Âge. Le tout est brillamment animé par les réalisateurs.
Il faut spécifier peut-être que tout n’est pas représenté par des marionnettes. Disons que c’est un heureux mélange entre jouets et personnages réels.
Ce film est savoureux, et très pédagogique. On parle de politique, d’enjeux sociaux absolument incontournables, avec légèreté mais sérieux. La sociologue et l’ourson gagnerait vraiment à être vu par des élèves du secondaire, du collégial, de même que par les jeunes adultes qui ne se sentent pas concernés par la politique.
Dans ce film, on montre une large gamme d’émotions, d’opinions; on représente bien la société dans laquelle on vit, son meilleur comme son pire (surtout son pire, dans le cas présent). On nous montre les deux côtés de la médaille, ceux qui sont pour le mariage pour tous et ceux qui s’y opposent. L’opinion des réalisateurs transparaît ici, mais ils laissent tout de même la place aux différentes opinions. Ils essaient de rendre compte le plus fidèlement possible de cet affrontement entre une volonté de changement et un désir de conservatisme.
Pour toutes ces raisons, ce film devrait être vu par un large public.
La sociologue et l’ourson ou la politique animée.
Note : 9/10
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