Dans un village en Ombrie, c’est la fin de l’été. Gelsomina vit avec ses parents et ses trois jeunes sœurs, dans une ferme délabrée où ils produisent du miel. Volontairement tenues à distance du monde par leur père, qui en prédit la fin proche et prône un rapport privilégié à la nature, les filles grandissent en marge. Pourtant, les règles strictes qui tiennent la famille ensemble vont être mises à mal par l’arrivée de Martin, un jeune délinquant accueilli dans le cadre d’un programme de réinsertion, et par le tournage du « Village des merveilles », un jeu télévisé qui envahit la région.
Le Meraviglie (Les merveilles) est le deuxième long métrage de fiction de la réalisatrice Alice Rohrwacher. Sans être autobiographique, ce film s’inspire grandement de son passé. L’histoire se déroule dans sa région natale, dans la campagne située entre l’Ombrie, le Latium et la Toscane. Et comme elle le mentionnait en entrevue : « Ma famille est italo-allemande, il y en a d’ailleurs beaucoup dans cette région. Et les abeilles sont les insectes que je connais le mieux ». C’est d’ailleurs sa sœur, Alba, qui y tient le rôle de mère de famille.
Dans Le Meraviglie, Rohrwacher montre les difficultés rencontrées dans les campagnes où il y a ces petites villes qui se sont déguisées en endroits « purs », qui semblent situés hors du temps. Mais comme le mentionne la réalisatrice, « avec un peu de recul, on comprend que ces endroits ne sont pas du tout comme ça et que la pureté n’est qu’une prison, dans laquelle ils se sont enfermés pour sauvegarder leur salut économique. »
Malheureusement, encore aujourd’hui, la campagne italienne est souvent vue en termes de destructions, de ruines imminentes, ou comme toile de fond à des histoires romantiques et innocentes. Pourtant, ce qui est en train de s’opérer dans le paysage italien est un changement bien plus profond et douloureux. Et souvent, les spéculateurs ont tenté de transformer les zones demeurées intactes en musée à ciel ouvert.
La maison familiale est un bel exemple de cette campagne italienne. Elle est constituée de parties anciennes et d’autres plus récentes, personne l’ayant rénovée de manière uniforme. Jusqu’à récemment, il était tout à fait normal de vivre ainsi : on s’installait dans une maison et, dès lors, on faisait partie intégrante de l’histoire préexistante de la maison.
Que dire de cette famille, a priori, étrange? Wolfgang, le père (probablement d’origine allemande), est un homme dur, qui tient à préserver la tradition à tout prix et qui se méfie de tout ce qui est moderne. Angélica est italienne, et une mère aimante qui se demande ce qu’elle fait encore avec cet homme. Puis, il y a leurs quatre filles – ce qui amuse bien les voisins de Wolfgang, car il a 4 enfants, mais aucun garçon pour l’aider – Gelsomina, l’aînée, Marinella, Caterina et Luna. Ils vivent en autarcie avec leur potager, leurs ruches et une amie de la famille, Coco. Pourquoi cette vie? Parce que, pour le père, c’est la seule façon de protéger ses filles du délabrement, de la destruction, de la corruption, dont seule la campagne peut sauver, et uniquement en restant tous ensemble. Mais en vieillissant, Gelsomina, la fille chérie de son père, aspire à une vie plus simple, plus sereine, et veut une famille comme celle de ses amies. Progressivement, Wolfgang sent que lui échappe sa fille aînée, en qui il a placé tous ses espoirs en lui montrant tout du métier d’apiculteur.
Ce qui me fait penser… Quoi de mieux que de créer des abeilles avec des effets numériques? Travailler avec de vraies abeilles! C’est ce que pensait Rohrwacher même si ce fut difficile « de convaincre les assurances qu’il n’arriverait rien de mal pendant le tournage » : « j’ai vraiment insisté pour qu’on utilise que de vraies abeilles, sans recourir à des effets visuels. Je souhaitais être au plus près de la sensation procurée par la matière brute, et que les acteurs travaillent avec de véritables ruches et de vrais essaims. »
Le Meraviglie renferme de petites merveilles. Je pense entre autres à un plan dans lequel Marinella fait semblant de boire un rayon de lumière à l’intérieur de la grange, avec sa grande sœur qui la dirige comme le ferait une réalisatrice. Ou encore cette scène familiale dans laquelle les trois jeunes filles jouent dans la rivière avec leur père. Il y a aussi Milly Catena, la présentatrice de télévision, qui représente une icône de beauté; une femme qui serait à la fois une bonne fée et une vraie femme. C’est Monica Bellucci qui tient ce rôle, car elle a ces deux mondes en elle : le magique et le charnel, racontait la réalisatrice.
Le miel que fabrique la famille est une sorte de métaphore avec le cinéma. Leur laboratoire et leurs méthodes sont complètement illégaux : les murs ne sont pas stériles, ils n’ont pas d’accès aux égouts, la salle de bain est dans l’entrée et on y fait travailler des enfants. Autrement dit, ce qu’ils produisent est bon, mais si on y regarde de plus près, ils pourraient être jetés en prison. Cela arrive aussi dans le milieu du cinéma. Bien souvent, les bons films ne sont pas conformes aux règles de la narration et de la production. Le risque existe que les spectateurs dans un cas ou l’inspection de l’hygiène de l’autre cas obligent à fermer boutique.
Mais avant de se demander quelle quantité de miel on doit vendre, mieux vaut se demander si le miel est bon et surtout si vous le donneriez à manger à vos propres enfants. Non?
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