« – Tu connais la différence entre une comédie et un drame?
– Heu… Comme ça, là, non.
– Une comédie c’est une histoire que tu arrêtes juste au bon moment. »
Une grande et belle propriété sur la Côte d’Azur. Un endroit qui semble hors du temps et protégé du monde. Anna (Valeria Bruni Tedeschi) arrive avec sa fille pour quelques jours de vacances. Au milieu de sa famille, de leurs amis, et des employés, Anna doit gérer sa rupture toute fraîche et l’écriture de son prochain film. Derrière les rires, les colères, les secrets, naissent des rapports de dominations, des peurs et des désirs. Chacun se bouche les oreilles aux bruits du monde et doit se débrouiller avec le mystère de sa propre existence.
Avec Les estivants, Valeria Bruni Tedeschi, offre ce qu’elle appelle une « autobiographie imaginaire » : un film inspiré de sa vie et de celle de ses proches. Mais c’est avant tout un film à dialogue, un film sur une famille très proche, mais dans laquelle il y a aussi beaucoup de conflits. Bienvenue sur la Côte d’Azur…
Une quoi? Oui, oui… Après le documentaire de création, je me penche maintenant sur l’autobiographie imaginaire. Ce terme utilisé par la réalisatrice afin de définir son (ou ses) film signifie simplement que les événements que l’on voit dans cette oeuvre sont inspirés par des choses vécues par Bruni Tedeschi et / ou par ses proches.
Ce qui est certain, c’est que cette façon de faire crée un film qui, malgré certaines exagérations, est très réaliste. « Rien n’est vraiment “inventé” dans mon travail. Je cherche la vérité, je veux dire la vérité des émotions. » Par moments pourtant, on a l’impression que la réalisatrice pousse un peu trop et que le réalisme en prend un coup. Puis, quand on prend le temps d’y repenser, on réalise que c’est le genre de choses qui arrivent effectivement. Je pense entre autres à une scène dans laquelle la mère d’Anna dit de façon très anodine que toutes les femmes ont déjà été agressées sexuellement, mais que ce n’est pas vraiment grave. Après tout, un doigt n’est qu’un doigt. Peu importe où on le rentre.
Les estivants pourrait, quand à moi, être qualifié de chronique familiale. On y découvre une famille franco-italienne tissée serré, mais aussi très conflictuelle. Une des premières séquences où toute la famille est réunie nous offre une belle discussion à coeur ouvert sur des sujets aussi délicats que l’agression sexuelle, faisant dégénérer la conversation jusqu’à ce que tout un chacun finisse par régler ses comptes. Et pourtant, le lendemain, tout ça semble oublié alors que les membres de la famille se parlent comme si rien ne s’était passé.
Avec ce dernier long métrage, la réalisatrice explore les sentiments. Au début du film, on a l’impression que chacun des personnages est une caricature, à la limite de l’excentricité. Mais plus le film avance et plus on comprend qu’ils ne sont pas si étranges qu’ils le semblent. Ce sont simplement des gens qui souffrent de l’intérieur. Ce sont des personnes qui se sentent seules. Très seules. Et on en vient à comprendre leur souffrance.
Quant à Anna, si elle ne parle pas de son drame, ce n’est pas par générosité ou par pudeur, mais par superstition. Tant qu’elle ne verbalise pas les faits, ils n’existent pas. Évidemment, elle frappera un mur. Et au moment où on commence à s’attacher au personnage, Anna s’efface légèrement pour laisser place aux autres membres de la famille. Ce changement amène le spectateur à comprendre l’importance des multiples personnages présents dans le film. Avec l’effacement du personnage principal, on découvre l’identité et les faiblesses de chacun d’eux. Le choix de la réalisatrice, d’amener une variation à la vitesse de déplacement pour chacun des corps, donne à chacun des personnages, sa personnalité.
Mais le grand nombre de personnages permet aussi d’offrir au spectateur un point de vue extérieur, comme si on était présent sans vraiment se mêler au groupe. C’est le personnage de Célia, la petite fille à l’air naïf, qui l’est pourtant bien moins qu’on ne le croit, qui amène ce point de vue. C’est comme si le spectateur était présent à travers le regard de la fillette. Elle regarde les névroses et les folies des adultes avec étonnement, mais sans jugement. Elle est calme, à la différence de tous les autres personnages du film qui s’agitent.
Cette petite fille qui se déplace comme une biche au milieu des adultes permet à la réalisatrice d’offrir un questionnement sur le temps qui passe. L’agilité et la rapidité de la fillette prend tout son sens quand on la place en opposition à la vieille tante qui est très très lente. Puis, il y a Anna avec ses mouvements de désordre intérieur et de panique.
Le grand défi – autant pour la réalisatrice que pour le spectateur – est le grand nombre de personnages. On passe la première partie du film à essayer de comprendre qui ils sont et les relations entre eux. C’est un peu dérangeant. Mais ce nombre est important. Il permet de toucher à plusieurs sujets et de montrer comment les conflits et la proximité peuvent se chevaucher dans une famille de ce genre. Pour réussir à filmer tout ce monde, Bruni Tedeschi a opté pour la simplicité, par beaucoup de plans fixes. Avec cette tempête de gens et d’événements, il fallait trouver une façon de bien les mettre en place et en valeur sans étourdir le public.
Il y a quelque chose d’intéressant dans le contraste entre le beau climat stable de l’été et de la Côte d’Azur et la situation émotionnelle d’un chagrin d’amour. On dirait que la tristesse mise en opposition avec la chaleur rend encore plus triste la situation d’Anna. Le contraste entre le désastre intérieur et la joie extérieure est plus fort. Ne dit-on pas que les larmes brûlent au soleil?
Non, Les estivants n’est pas un petit film d’été. Pour l’apprécier, il faut être concentré et avoir envie d’en discuter après. Mais soyez assuré que la conversation sera intéressante!
Note : 7.5/10
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