「もう君さ 生きてるかしないから死んだ方がいいかも。」
[Tu n’es même pas sûr de vivre ou de mourir, alors peut-être qu’il vaut mieux pour toi mourir.]
Quand on est un réalisateur aussi prolifique que Takashi Miike, qui a signé plus de 60 films en 30 ans de carrière, on a touché un peu à tout. Certes, le cinéaste s’est surtout démarqué dans le cinéma horrifique et d’action, mais il a également réalisé de la science-fiction, des films de yakuzas, de la comédie ainsi que des films historiques. Néanmoins, malgré quelques exceptions, il a été rare de le voir s’attarder sur un projet plus terre-à-terre, une histoire ancrée dans la réalité, voire tirée d’une histoire vraie.
Il y a bien eu The Lion Standing in the Wind en 2015, qui raconte l’histoire d’un docteur japonais opérant dans une zone hostile au Kenya, mais le film n’est pas resté dans les mémoires. Certains critiquant le réalisateur d’avoir fait du sentimentalisme alors que c’est loin de son style. Cependant, quand il s’attaque à un fait divers plus sinistre, soit le procès en 2003 d’un enseignant accusé d’abus physique sur un élève, qui sera relaté dans le livre Detchiage Fukuoka Satsujin Kyoshi Jiken no Shinsou du journaliste Fukuda Masumi, il s’investit dans un récit plus proche de ses habitudes, ce qui donne Sham.
Seiichi Yabashita, jeune enseignant dans une école primaire, reçoit de sérieuses accusations de la part de la famille Himuro, l’accusant de maltraiter physiquement son fils à cause de ses origines américaines, allant même à le pousser à une tentative de suicide. Très vite, la presse et l’opinion publique s’emparent de la rumeur, montrant Yabashita comme un enseignant dangereux et meurtrier, ce qui conduit à un procès. Cependant, à la grande date fatidique, l’enseignant affirme que toutes ces accusations sont un mensonge et tentera de prouver son innocence devant une société l’ayant déjà étiqueté comme monstre.
Takashi Miike signe ici un film de procès, genre qu’il avait déjà expérimenté de manière plus fantaisiste avec son adaptation du jeu vidéo Ace Attorney en 2012. Mais ici, rien de spectaculaire, simplement une pure retranscription des faits. Le réalisateur reste très sobre dans sa mise en scène, ce qui est bien différent de ses autres films où il se permettait de nombreux excès. Il laisse la place à son récit à se développer, ainsi que le champ libre à ses acteurs pour approfondir leurs performances. À noter que Go Ayano, qui tient le rôle principal, est excellent en homme au bord de la crise de nerfs, tout comme Ko Shibasaki, que Miike a déjà dirigé dans One Missed Call en 2003 et qui interprète ici la mère de la victime, dont son attitude très froide inquiète.
Miike se permet quand même quelques idées, n’hésitant pas par exemple à s’inspirer de Rashomon ou bien de Monster de Kore-Eda pour son début, présentant deux versions des faits différents. En effet, le film commence par montrer le comportement discriminatoire de Yabashita sur le fils des Himuro, avant de découvrir que c’est une version probablement fausse créée par la mère, ce qui nous ramène au début et nous montre le point de Yabashita. Certes, le procédé scénaristique n’est pas réutilisé durant tout le film, abordant différents témoignages, mais ce n’est pas ce que cherche à raconter le film.
Sham montre comment la vie d’un homme peut être bousculée par une erreur d’interprétation, comment les médias peuvent déformer une rumeur et créer un raz-de-marée médiatique, comment une société dont 99% des procès finissent par un jugement coupable peut briser un citoyen, comment certains décident de se cacher derrière une vérité erronée juste pour sauver leur réputation, ainsi que comment certaines personnes préfèrent vivre dans le mensonge plutôt que d’accepter la dure réalité où ils sont coincés. Même la fin reste douce-amère, offrant une petite touche d’espoir, mais aussi une dose de réelle injustice. On ressort quand même du film avec quelques incompréhensions, notamment à propos du comportement étrange de la mère, mais peut-être que la réponse mérite de rester cachée.
Sham n’est sûrement pas le film le plus éblouissant de Takashi Miike, mais il est l’un de ses plus maîtrisés. Un drame judiciaire parfaitement maîtrisé sur l’importance de la vérité et une critique du système judiciaire et des médias sensationnalistes. Une façon pour le réalisateur de toucher un public pas encore prêt à ses plus grands extrêmes tout en offrant un excellent long-métrage.
Sham est présenté au Festival Fantasia, le 30 juillet 2025.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième