« C’est qui, moi? Euh… je ne suis pas préparée à cette question. Par où commencer? »
Widerklang der Seele (que je traduirais par « Résonances de l’âme ») est un documentaire de Kibidoué Éric Bayala qui montre la diversité musicale du Tyrol et les particularités esthétiques d’une telle musique multiculturelle. Il met en relief le message politique des musiciens, leur invitation à surmonter des « obstacles » culturels et à bâtir des ponts à l’aide de leur musique.
Cette fois-ci je vous parle d’un documentaire qui vient de sortir en salle chez moi. Chez moi, c’est la ville d’Innsbruck, capitale de la région du Tyrol, le Tyrol faisant partie de l’Autriche et l’Autriche étant le pays germanophone qui se trouve – vu d’Innsbruck – entre l’Allemagne et l’Italie.
Si je vous annonce qu’il s’agit d’un film sur la musique au Tyrol, je parie que la première chose qui vous viendra à l’esprit ce sera le jodle d’hommes et de femmes en costumes traditionnels tandis que vous penseriez à Mozart et à la valse viennoise s’il s’agissait de l’autre bout du pays.
Dans Widerklang der Seele, vous trouverez à foison les mêmes motifs de carte postale idylliques que dans Sound of music – pour la simple raison que l’Autriche est vraiment comme ça –, mais, de la musique folklorique kitsch, vous n’en trouverez pas du tout. Si vous cherchez ça, il faudrait attendre la toute fin du film où, pendant le générique, l’un des musiciens migrants se pâme de rire en essayant de jodler devant la caméra.
Si donc Widerklang der Seele peut aisément passer pour une publicité déguisée de la ville d’Innsbruck, le documentaire ne correspond guère à l’image traditionnelle de la scène musicale au Tyrol. Le réalisateur Kibidoué Éric Bayala présente une Innsbruck profondément transculturelle et il sait de quoi il parle.
Originaire du Burkina Faso, marié à une Autrichienne, poète et musicien influencé par les deux cultures, le réalisateur prend les transgressions culturelles à cœur. Le projet qui est à la base du film Echo der Vielfalt (« Écho de la diversité »), de l’Académie de musique d’Innsbruck, porte – au fond – un titre similaire à celui de ce documentaire : « écho » revenant finalement au même que « résonance » (Widerklang). Les deux expriment la même idée : la musique comme reflet de notre âme et de notre corps – et vice versa.
Ainsi, nous accompagnons pendant ces 70 minutes une dizaine de groupes musicaux et d’artistes solo pendant leurs répétitions et leurs spectacles dans des endroits culturels alternatifs de la ville.
Entre les prestations musicales, ils réfléchissent ensemble aux questions du réalisateur qui les confronte aux clichés associés à des constellations musicales aussi « mélangées » que, par exemple, le groupe LatinOriente, dont les membres viennent du Mexique, de Bosnie, de Turquie, d’Espagne et d’Autriche.
Comment définissez-vous le terme « musique migrante », « musique ethnique », « intégration »… ou alors « musique du monde »? Pourquoi, en tant qu’Autrichien/ne, préférez-vous jouer une telle musique « exotique »? Comme réponse, pas de devises politisées de la fameuse « Willkommenskultur » (culture de la bienvenue) – Rapprochez-vous des « autres » cultures! Faites un signe pour l’intégration! Tout au contraire, pour la plupart des musiciens la politique concrète joue un rôle secondaire. Ainsi, l’Autrichien est devenu membre par pur intérêt pour les rythmes plus riches et divers de la musique des « autres ».
Et pour ce qui est de la « musique du monde », comme l’estime un autre, eh bien, c’est comme si toutes les cultures, tous les styles musicaux étaient abrités sous un seul arc-en-ciel, qui lui ne connaît pas de frontières fixes, seulement des nuances, des transgressions. « Tutti frutti, tout en un », juge la chanteuse latina Gina. Ce qui les intéresse avant toute chose, c’est la musique.
Ces deux métaphores de la transgression (culturelle) et du reflet constituent le fil conducteur esthétique du film et lui confèrent une force artistique rare dans un film de type documentaire.
L’idée de la transgression se présente d’emblée lorsqu’on voit, vu d’en haut, un carrefour important près de la gare centrale où les passants, les voitures et le transport en commun se côtoient. C’est l’une des rares vues de dessus du film qui, à ce moment-là, révèle son titre insolite tout en visualisant subtilement son « message », à savoir que les résonances entre la musique et notre âme sont comparables au caractère dynamique et transgressif d’une ville qui, depuis le Moyen Âge, est connue comme un nœud de communication important liant le Nord de l’Europe avec le Sud, l’Ouest avec l’Est. Ce que certains tendent à oublier, le film nous le rappelle avec une grande intensité : Innsbruck a toujours été un carrefour de cultures très diverses.
Cette idée de la transgression resurgit également lors des nombreux plans du pont d’Innsbruck (littéralement traduit, Innsbruck signifie « le pont sur l’Inn »), symbole qui sert de point de référence au groupe Yefira (en grec : « pont ») s’entendant comme le pont entre plusieurs personnes et cultures.
L’arc-en-ciel culturel ne connaît pas seulement le principe de la transgression, mais aussi celui du reflet – la musique reflétant nos émotions, notre corps reflétant la musique qu’on entend –, qui, lui, est introduit avec brio dans le film, que ce soit à l’aide de miroirs concrets ou, plus abstraitement, à l’aide de jeux d’ombre et de lumière.
Les scènes où l’on voit la foule danser, la caméra filmant en gros plans le corps des auditeurs – surtout leurs pieds –, nous montre que la musique peut unir des personnes de tout acabit et leur permet de vivre, ne serait-ce que fugitivement, dans un « chez soi » commun, un monde imaginaire partagé.
Cependant, à certains moments, et c’est peut-être la seule critique que j’apporterais tout modestement au documentaire, la représentation d’une scène artistique « auguste » contrairement au peuple « normal » se fait de manière trop excessive : souvent, les musiciens sont filmés au ralenti ou en contre-plongée, technique qui cherche à élever la personne montrée – déjà élevée tout naturellement par l’estrade – pour créer un effet de (sur)puissance.
Quoi qu’il en soit, Widerklang der Seele est peut-être le premier film que je vois qui dresse le portrait – non seulement musical – de la ville d’Innsbruck telle que je la connais et aime, une ville de jeunes ouverts et de ceux qui le sont restés, une ville d’étudiants, une ville d’amateurs de la nature. Et ceci est un signe d’ouverture d’autant plus important que le nouveau gouvernement est en train de propager tout le contraire.
Intéressé? Pour ceux qui ne peuvent pas se permettre un vol transatlantique, allez voir le site Internet du film avec les portraits des groupes et des extraits de leur musique.
Note : 8/10
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