« Don’t leave me, I can change! »
[Ne me laisse pas, je peux changer.]
Une femme, Kay (Chloe Pirrie), est à la recherche d’une chasseuse de monstre, mieux connu sous le nom de cryptozoologiste, disparue sans laisser de trace. Dans sa quête, Kay réalise qu’elle partage un lien spirituel puissant avec la créature possiblement responsable de la disparition.
Je soulignais à la fin de mon dernier article l’importance du montage. Il m’arrive de faire des petits projets personnels de montage comme refaire Star Wars : Episode VIII en prenant les mêmes scènes, mais en les réorganisant de manière à créer une ligne narrative plus claire et engageante (tous droits réservés bien entendu). Cependant, quelques fois le gars à la vidéo-édition n’y peut rien, il faut faire avec ce qu’on a et ce qu’on a c’est pas les chutes Niagara. C’est ce qui m’arrive en ce moment, depuis que je me suis lancé dans la refonte de l’épisode 8, je constate à quel point Rian Johnson (même pas assez cool pour avoir un Y dans son nom) a fait n’importe quoi de manière spectaculaire.
Rassurez-vous, Kryptic, le film réalisé par Kourtney Roy et écrit par Paul Bromley, n’est pas aussi infernal que The Last Jedi. Malheureusement, cela n’implique pas nécessairement que l’histoire se tient complètement et que la fin ne se termine pas en queue de poisson. Je mentionne souvent l’importance de prendre le temps lorsque l’on met sur pied une idée et que l’on veut y mettre de la symbolique qui n’est pas simplement superficielle. Je comprends que l’on puisse rester avec un mauvais goût dans la bouche quand on voit les échéanciers de production, incluant la scénarisation, plutôt courts. D’autant plus que les pulsions créatrices sont souvent impulsives ce qui provoque généralement un sentiment d’impatience associable à la peur de se faire voler son idée où qu’elle soit trop tôt dépassée.
L’ironie avec Kryptic est à peu près la même ici que dans le film Ingress que j’ai couvert antérieurement. L’histoire se centre sur Kay, interprétée par Chloe Pirrie, qui tente de retrouver une femme disparue mystérieusement dans les bois, apparemment enlevée par une créature qui semble utiliser des portails entre différentes… dimensions? Je ne sais pas trop, c’est pas clair. Bien sûr, la production peut toujours jouer le jeu en disant que l’histoire à l’air déconstruite parce que ça fonctionne avec la protagoniste qui est perdue et comme dans deux mondes à la fois… comme ils disent en anglais « yeah, right! ».
L’engouement pour le surnaturel revient tranquillement, mais sûrement, dans notre imaginaire collectif et tout aussi furtivement. La raison? Qui sait, ça pourrait être dû à l’épuisement progressif de la folie pour l’intelligence artificielle; la conscientisation de la population à vouloir vivre dans un monde matériel qui soit sain et plus agréable que le monde virtuel; ou la stagnation de l’humanité qui pousse les artistes à vouloir raconter le monde autrement (de mon côté, c’est surtout la troisième option). Il faut donc s’attendre à ce qu’on déterre certains termes plus rares ou oubliés des catacombes de notre vocabulaire et en faire des mots en vogue.
Sorcières? On aime ça sur les réseaux sociaux les gens qui se disent être des Wiccans comme si c’était le summum, le nec plus ultra. On parle de tarot à tort et à travers comme si tout le monde était soudainement voyant (je vois, je vois… de l’argent être retiré de votre compte et tomber dans le mien). La nouveauté du moment? La cryptozoologie est maintenant un des mots les plus sexy suivis de près par conspirationniste; si on se fie au dernier film de Cronenberg. Mais pourquoi tout d’un coup on parle de ça comme si c’était normal de croire aux monstres et à la magie; c’est ça que ça veut dire ne plus avoir de jugement, c’est ça? J’ai dû mal lire le mémo.
C’est dommage que l’histoire s’éparpille au fur et à mesure qu’elle se déploie puisque certains concepts ainsi que plusieurs images sont saisissants par la symbolique qu’elles tentent d’instaurer. La créature, le sooka, est d’une nature étrangère presque alien et le simple fait de croiser sa présence peut déclencher des réactions inexplicables. Au début du film, Kay tombe sur le chemin d’un sooka, une espèce de grande créature bipède, poilue et fibreuse comme le lichen, ce qui a pour effet de faire couler des litres de liquide blanc de ses oreilles gommant ses cheveux comme si elle finissait un vidéo de pornographie particulièrement sale.
La comparaison que je viens de faire vous parait surement comme étant vulgaire, mais c’est tout de même ce qui se passe. À voir comment il semble impossible pour la protagoniste d’enlever la matière visqueuse et blanchâtre de ses mèches de cheveux pour ensuite se résoudre à les attacher pour que rien n’y paraisse ne ment pas. D’autant plus que l’odeur semble lui évoquer quelque chose auquel un autre personnage référera plus tard comme étant une odeur forte de sperme chaud. L’analogie n’est donc même pas au second degré, mais drette (droit ou droite) dans notre face, comme on dit ici. C’est ainsi, à cheval entre le dégoût et l’excitation — le propre du cinéma de l’horreur après tout — que j’avais espoir d’être en présence d’une œuvre soigneusement réfléchie et exécutée.
Va sans doute pour le côté réfléchi, toutefois pour ce qui est de l’exécution, on n’y est pas vraiment. Kryptic suit une ligne parallèle à celle des récits comme Frankenstein de Mary Shelley ou The Substance de Coralie Fargeat en mettant en perspective une réalité féminine pour la rendre sensible à un public plus large (et donc aussi masculin). J’imagine que ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais le résultat n’y est pas. Le récit devient peu à peu expérimental et vaporeux, préférant montrer plusieurs scènes qui veulent choquer au détriment du message sous-jacent qu’on annonçait au départ. Les éléments suggestifs proposés à plusieurs reprises sont profondément perturbants et le montage permet vraiment de ressentir les textures de ce que l’on voit et entend.
Un si bon départ, et pourtant… Disons que la fin laisse sur sa faim, et surtout avec le sentiment de n’avoir rien avalé de vraiment nutritif. C’est dommage quand on songe qu’il est un peu plus ardu de manquer une recette au cinéma qu’en cuisine. Quand, on sent que le résultat n’est pas à la hauteur de notre talent, et qu’on ne peut pas juste refaire la même chose, mais sans se tromper. J’ai l’impression que Kryptic est l’une de ces œuvres qui bénéficierait du retour dans le temps pour être mieux réorganisées. Le film n’est pas mauvais, mais il n’est pas notable et ne m’a pas donné envie de le revoir ou même de le faire voir à mes amis.
Bande-annonce
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