Cerrar los ojos - Une

Fermer les yeux – Souvenirs de nitrate | Mubi

« Memory is very important, yes.
But a person is more than just memory. »
[Oui, la mémoire est importante.
Mais une personne est bien plus que la mémoire.]

Cerrar los ojos - Affiche

Julio Arenas, un acteur espagnol populaire, disparaît pendant le tournage d’un film dans les années 1990. Bien que son corps ne soit jamais retrouvé, la police conclut à un accident au bord d’une falaise. Bien des années plus tard, le mystère ressurgit grâce au tournage d’une émission de télévision sensationnaliste.

Avec Fermer les yeux (Cerrar los ojos), le réalisateur vétéran espagnol Victor Erice signe une magnifique lettre d’amour sur le lien entre le cinéma et la permanence de la mémoire. Un an et demi après sa projection à Cannes, ce petit bijou patient et méditatif arrive enfin sur nos écrans.

Songes de lumière

Bien que le nom de Victor Erice ne soit pas l’un des plus populaires dans le canon de l’histoire du cinéma ainsi que des grands réalisateurs et grandes et réalisatrices qui la composent, il sonnera une cloche à tout cinéphile qui se respecte. Indissociable du mythe qui l’entoure, il est peut-être aussi populaire pour les films qu’il a réalisés que pour les pauses prises entre ceux-ci : ayant commencé officiellement sa carrière en 1973 avec le chef-d’œuvre El espíritu de la colmena (L’esprit de la ruche), il n’a réalisé que trois films depuis : El Sur (Le Sud) en 1983, El sol del membrillo (Le songe de la lumière) en 1992, puis celui-ci, en 2023. Ceci marque donc son premier long-métrage en 31 ans. Malgré le rythme artistique, disons, sporadique, de son créateur, jamais nous ne nous douterions d’une telle pause, tant Erice maîtrise son art. Le mot « pause » est même peut-être mal choisi : en voyant défiler ses images, on en vient à croire qui s’agit d’un film qui mijotait en lui depuis longtemps, depuis même le début de sa carrière, peut-être.

Malgré le mystère qui entoure son réalisateur, Fermer les yeux n’est pas un film qui a peur d’afficher ses thèmes au premier plan. Il s’agit, avant tout, d’un film sur le lien inexorable et inhérent entre le cinéma et la mémoire. Cette fascination nous est révélée dès les premières minutes alors que nous témoignons de la première scène du dernier « faux » film de la carrière de Julio Arenas avant sa mystérieuse disparition : chargé d’une mission par un riche aristocrate se surnommant le « roi triste », le personnage joué par Julio Arenas (qui lui-même est joué par un excellent Jose Coronado) doit trouver la fille du dit « roi », séparée de son père à un très jeune âge et vivant maintenant en Chine. 

Cerrar los ojos - Songe de lumière

Un parallèle se tracera alors entre El Triste Rey et son réalisateur Miguel Garay (joué par Manolo Solo), qui, plus de 30 ans après le tournage du film, sentira un besoin de reconnecter avec les personnes toujours vivantes le reliant à son acteur fétiche et ancien meilleur ami, le tout dans l’espoir de peut-être le faire revivre, du moins, en esprit.

Le chant du cygne

S’étendant sur un peu moins que trois heures, Fermer les yeux est un film qui demande une certaine patience. Pendant une bonne partie du film, Miguel Garay erre, apparemment sans but, alors qu’il se remémore les souvenirs de lui et Julio, tentant au passage de trouver une raison pouvant expliquer sa disparition. À ce moment, malgré plusieurs objets et personnes le rattachant à son passé, les dernières images claires de Julio sont couchées sur pellicule de nitrate, pellicules que Miguel fut jusqu’alors réticent à visionner. Enfin confronté à ces images pour la première fois depuis des décennies, un problème se pose à lui, problème qu’Erice nous expose par le fait même : quel est le lien entre le cinéma et la réalité? Est-ce qu’un tel lien existe réellement? En est-ce un que nous nous imposons artificiellement? 

Pour Erice, malgré sa courte filmographie, la constante la plus évidente est que les deux sont les mêmes. S’il s’agit d’une thématique centrale à son œuvre, il n’a ici pas peur de nous le rappeler, à commencer par le casting émouvant d’Ana Torrent, actrice qu’Erice a contribué à faire connaître alors qu’elle n’avait que sept ans au moment de jouer l’héroïne de son premier film L’esprit de la ruche. Dans ses deux films, les personnages d’Ana Torrent portent d’ailleurs le même nom (Ana, ironiquement), et il est difficile de croire à une coïncidence de la part d’un réalisateur ayant passé sa carrière entière à tenter de nous convaincre que cinéma, réalité, mémoire et souvenirs ne font qu’un. En ce sens, si Fermer les yeux n’est certainement pas son meilleur film (ce qui est loin d’être dérogatoire pour un réalisateur n’ayant presque réalisé que des chefs-d’œuvre), il s’agit de celui qui évoque le mieux ce lien, et les spectateurs et spectatrices qui auront la patience de voir à travers les lignes découvriront un film aussi émouvant que plein d’espoir.

Malgré l’espoir que je porte en moi d’un jour voir sortir un autre film de Victor Erice, celui-ci souffle bientôt ses 85 bougies, et considérant son rythme de travail, il est difficile de ne pas penser que Fermer les yeux soit son dernier film. Si tel est le cas, je ne pourrais penser à un meilleur film, et même, un dernier plan, pour terminer sa carrière. Si tel est le cas, au nom de beaucoup de cinéphiles : merci, Erice. 

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Cerrar los ojos
Durée
169 minutes
Année
2023
Pays
Espagne
Réalisateur
Victor Erice
Scénario
Victor Erice et Michael Gaztambide
Note
8 /10

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Fiche technique

Titre original
Cerrar los ojos
Durée
169 minutes
Année
2023
Pays
Espagne
Réalisateur
Victor Erice
Scénario
Victor Erice et Michael Gaztambide
Note
8 /10

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