The brutalist - Une

Le brutaliste — Bienvenue en Amérique

« We tolerate you. »
[Nous vous tolérons.]

The brutalist - Affiche

Fuyant l’Europe de l’après-guerre, l’architecte visionnaire juif László Toth (Adrian Brody) arrive en Amérique pour reconstruire sa vie, son travail et son mariage avec sa femme Erzsébet (Felicity Jones), après avoir été séparé d’elle en temps de guerre par des frontières et des régimes changeants. Seul dans un nouveau pays étrange, László s’installe en Pennsylvanie, où le riche et important magnat industriel Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce) reconnaît son talent architectural et le commissionne pour l’érection d’un centre communautaire. Mais le pouvoir et l’héritage ont un prix…

Avec Le Brutaliste, Brady Corbet nous transmet une œuvre monumentale qui, à l’image du bâtiment brutaliste en question, est aussi froide et dense que belle et épique.

L’énigme de l’arrivée

Dès sa première scène, un magnifique plan-séquence où László tente de se faufiler dans les corridors bondés d’un bateau rempli d’immigrants européens sur une musique bombastique et triomphante, Le brutaliste s’impose comme une œuvre aux proportions homériques. Le film possédant une durée qui s’accorde avec ces intentions (environ 3h30, incluant un entracte diégétique de 15 minutes pour séparer les deux parties du film), il est difficile de séparer l’histoire de l’ambition du film en elle-même. Malgré la durée et un récit qui s’étend sur plus de trente ans dans la vie de l’architecte, les trois heures et quelques minutes passent assez rapidement, et nous nous surprenons presque à en vouloir plus. Ce désir peut être dû à plusieurs points, à commencer par la distribution pas moins qu’exceptionnelle menée par un excellent Adrian Brody convaincant (en tout cas, à mon sens; je ne parle malheureusement pas hongrois et ne peut commenter sur la qualité son accent) ou son ami/employeur/rival joué par un Guy Pearce glorieux (dans ce qui est peut-être la meilleure performance de sa carrière) qui nous démontre toute l’étendue que nous lui attribuions dans ses premiers rôles. 

The brutalist - Énigme - Credit_Lol Crawley
Crédit photo : Lol Crawley

Il ne faudrait surtout pas oublier les excellents acteurs et actrices qui jouent des personnages plus secondaires, mais dont l’importance n’est pas à négliger, tels que Felicity Jones dans le rôle d’Erzsébet, la femme derrière l’homme qu’est László, ou Joe Alwyn dans le rôle d’Harry Lee Van Buren, fils ingrat et manipulateur de l’antagoniste. L’anglicisme acteur/actrice de support (support actor) prend ici tout son sens; ces personnages servent de boussole morale (ou plutôt immorale) pour les deux personnages principaux à plusieurs moments charnières et contribuent à l’ambiance presque oppressante qui prévaut tout le film durant.

Après tout, comme le précise glacialement Harry Lee Van Buren au couple immigré hongrois, ces derniers ne sont que « tolérés » et malgré les efforts de László, cette Amérique « pourrie » (tel que le décrit sa femme) ne sera jamais la sienne. C’est ce tir-à-la-corde métaphorique entre ce dernier et un pays raciste qui rejette l’homme et son travail visionnaire qui se trouve au centre du film, et nous rappelle pour une énième fois que les États-Unis (particulièrement à cette époque), land of the free, ne sont finalement pas si libres que ça, à moins d’être blanc, riche et d’avoir gagné la guerre.

Le cœur dur de la beauté

On pourrait être excusés de penser qu’il s’agit d’un film biographique. Après tout, la vie et la carrière de  László Toth nous sont présentées de manière si convaincante, avec ses quelques hauts et ses nombreux bas, qu’il ne serait pas fou de considérer qu’il s’agit d’un véritable architecte ayant laissé sa marque aux États-Unis (c’est ce que je pensais moi-même avant de faire mes recherches et voir que le seul László Toth connu du public fut un hongrois célèbre pour avoir vandalisé la Pietà de Michel-Ange; drôle de parallèle). 

The brutalist - Le coeur dur

De par son récit à la « rise and fall » s’étendant sur plusieurs décennies et au centre de quoi l’érection du bâtiment brutaliste sert de motif d’obsession et d’ambitions démesurées (pour à la fois László et Harrison), des comparaisons pourront facilement être faites à There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson, mais Le brutaliste est son propre drame, drame véritablement américain. Dur de croire que l’acteur devenu réalisateur Brady Corbet n’en est qu’à son troisième film; entre le récit complètement maîtrisé (malgré une deuxième partie un peu moins convaincante que la première) et une magnifique réalisation d’envergure précise et puissante, les magnifiques images de Lol Crowley qui ne tardera pas à faire son nom comme directeur photo charnière de sa génération et l’excellente musique orchestrale maximaliste de Daniel Blumberg, Le brutaliste est un film aussi beau que provoquant et qui se retrouvera sans doute dans plusieurs listes des meilleurs films de l’année.

Bien qu’il puisse parfois être malhonnête de faire des rapprochements entre la production du film et le produit final, je ne peux m’empêcher au passage de souligner à quel point il est impressionnant que Corbet et son équipe aient réussi à produire le film pour un budget (relativement) moindre de 10 millions de dollars et un tournage n’ayant duré que 34 jours, étant donné un produit final aussi épuré et assuré. Cela ne peut que témoigner de la confiance qu’a son réalisateur en ses capacités, et il sera intéressant de voir vers où se tournera prochainement un Brady Corbet que nous pouvons désormais définitivement qualifier d’artistiquement mature. Si vous pouvez vous y rendre, il vaudrait définitivement la peine de voir le film pour la première fois à sa projection spéciale en pellicule 70mm(!!) au Cinéplex Banque Scotia de Montréal le 17 janvier. En bref, Le brutaliste n’est pas moins qu’une œuvre monumentale dont, à l’image du bâtiment de  László Toth, nous parlerons pour des années à venir.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
The brutalist
Durée
215 minutes
Année
2024
Pays
États-Unis / Royaume-Uni / Hongrie
Réalisateur
Brady Corbet
Scénario
Brady Corbet & Mona Fastvold
Note
9 /10

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Fiche technique

Titre original
The brutalist
Durée
215 minutes
Année
2024
Pays
États-Unis / Royaume-Uni / Hongrie
Réalisateur
Brady Corbet
Scénario
Brady Corbet & Mona Fastvold
Note
9 /10

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