Cette année, le cinéma a de nouveau exploré des territoires plus ou moins connus, découvert ou confirmé des talents, accompagné l’actualité politique et sociale parfois douloureuse, et, enfin, nous a enchantés par ses aspects merveilleux. Car c’est aussi ça, le cinéma : éveiller les consciences au sein d’un imaginaire parfois torturé, souvent foisonnant, mais toujours créatif.
Takumi et sa fille Hana vivent dans le village de Mizubiki, près de Tokyo. Comme leurs aînés avant eux, ils mènent une vie modeste en harmonie avec leur environnement. Le projet de construction d’un « camping glamour » dans le parc naturel voisin, offrant aux citadins une échappatoire tout confort vers la nature, va mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter profondément la vie de Takumi et des villageois…
Ryûsuke Hamaguchi, l’un des plus grands réalisateurs japonais actuels, a marqué les esprits avec son précédent long-métrage Drive My Car sorti en 2021, et adapté du recueil Des hommes sans femmes de Haruki Murakami. Cette fois, cette nouvelle œuvre récipiendaire du Lion d’Argent et du Prix FIPRESCI à la Mostra de Venise en 2023 est née de la collaboration avec la compositrice Eiko Ishibashi. Celle-ci a d’abord donné naissance à Gift, un concert live avec des images captées par Ryûsuke Hamaguchi. À partir de cette création commune, le réalisateur a développé le projet Le mal n’existe pas.
Ce nouveau long-métrage frappe par la beauté de ses plans, la question écologique servant de trame de fond à un découpage en trois parties. La dernière, surprenante, a déstabilisé une partie des spectatrices et spectateurs. Ce mélange des genres sied parfaitement au récit, celui-ci soutenu par une alternance de points de vue des différents personnages, ce qui ajoute au film profondeur et complexité.
Pour préparer son nouveau rôle, une actrice célèbre vient rencontrer celle qu’elle va incarner à l’écran, dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays 20 ans plus tôt.
Ce nouvel opus du réalisateur américain Todd Haynes est inspiré d’un fait divers, paru dans la presse aux États-Unis dans les années 90. Mary Kay Letourneau, professeure âgée de 34 ans, avait eu une relation et était tombée enceinte d’un de ses élèves, alors jeune adolescent. Après une condamnation pour Mary Kay et moult péripéties juridiques, ils se sont mariés et ont élevé des enfants ensemble.
Samy Burch a par la suite développé un scénario inspiré de ce fait réel, que l’actrice Natalie Portman a apprécié puis proposé à Todd Haynes. Dans ce film, elle y interprète le rôle d’Elizabeth Berry, une actrice qui vient rendre visite à Gracie Atherton-Yoo (Julianne Moore reprenant le rôle de Mary Kay), afin de rassembler des informations en vue de son incarnation à l’écran. L’atmosphère trouble et tendue est mise en exergue par la reprise d’une très belle composition de Michel Legrand, à l’origine composée pour le film Le Messager de Joseph Losey (1971). La fiction s’entremêle à la réalité, et le cinéaste parvient à brouiller les pistes entre les différents personnages. Les interprétations des deux actrices sont excellentes, tout comme celle de Charles Melton, qui interprète le rôle de Joe Yoo, le mari de Gracie dans le film.
Une voiture parcourt lentement les rues sinueuses et les ondes radio des États-Unis d’Amérique, pour discerner les cicatrices du capitalisme dans les paysages naturels, les environnements urbains, les gens et les animaux sauvages. Une expérience audiovisuelle méditative et complexe, mixée en Dolby Atmos.
Ce film expérimental canadien explore les routes des États-Unis à bord d’une voiture en caméra subjective, au sein de paysages diversifiés, et nous offre un voyage contemplatif. Les bruits et les musiques de la radio accompagnent ce périple, ainsi que les discours qui résonnent et établissent un lien avec les zones traversées, aussi bien urbaines que montagneuses. Déroute est hypnotique, avançant au gré des mois et des saisons, et nous capte du début à la fin, utilisant le déplacement comme motif principal.
Nejma s’entraîne dur pour réaliser son rêve et remporter la prochaine course camarguaise, un concours où l’on défie les taureaux dans l’arène. Mais alors que la saison bat son plein, des disparitions suspectes inquiètent les habitants. Très vite la rumeur se propage : une bête sauvage rôde…
Animale est le deuxième long-métrage d’Emma Benestan, après Fragile, déjà remarqué en 2021.
Cette nouvelle œuvre relate le parcours passionné de Nejma, jeune femme au caractère affirmé, souhaitant participer à la prochaine course camarguaise. Elle travaille chez un éleveur de taureaux et s’entraîne de façon quotidienne avec un groupe de jeunes hommes compétiteurs. Ce film peut se découper en deux parties : la première est ancrée dans le réel, tandis que la deuxième moitié s’approche du cinéma de genre fantastique, depuis quelques années davantage présent au sein du cinéma français (Le règne animal, Thomas Cailley, 2023). La réalisatrice explique avoir voulu traiter du motif de la métamorphose d’une jeune femme, mais avec la souffrance associée, loin de la sexualisation souvent associée à ce type de transformation, comme dans La Féline de Jacques Tourneur (1942). Les paysages de Camargue sont superbement rendus, tout comme l’oppression que ressent la jeune héroïne, d’abord à la suite de remarques assez machistes de ses camarades, puis conséquemment à un événement traumatique que nous ne dévoilerons pas ici.
Anticipant, faute de moyens, une expulsion de son Ehpad après la mort de son fils et unique soutien, Émilie, septuagénaire rebelle à la vie cabossée, décide de se lancer dans une cavale vengeresse contre tous ceux qui lui ont fait du mal. Au cours de sa folle épopée, la justicière des bourgs périphériques, qui tranche dans le vif pour redresser les torts, est rejointe par Linda, douce femme de ménage avec qui elle a tissé des liens à la maison de retraite. Laquelle, n’ayant pas plus à perdre qu’Émilie, décide à son tour d’entrer en guerre contre ceux qui l’ont humiliée. Bientôt, le duo est mollement traqué par un binôme de flics, un homme et une femme à la dérive…
Gustave Kervern est connu pour son association avec Bruno Delépine, à eux deux composant le duo Grolandais, mais également réalisateurs de nombreux longs-métrages, comme Mammuth avec Gérard Depardieu, sorti en 2010 ou I Feel Good avec Jean Dujardin, sorti en 2017.
Au sein de ce premier téléfilm réalisé sans son comparse et ami, Gustave Kervern reprend les motifs qui lui sont chers : déclassement, pauvreté, déambulations urbaines ou encore humiliation sociale, pour évoquer le parcours d’une septuagénaire, interprétée par Yolande Moreau, fidèle de la bande depuis Louise-Michel en 2008, également adepte de la comédie douce-amère. Les scènes touchent juste, et l’ensemble des comédiens s’en donnent à cœur joie pour interpréter ou pointer du doigt la cruauté banalisée de l’injustice sociale.
Simon, réalisateur aguerri, débute le tournage d’un film racontant le combat d’ouvriers pour sauver leur usine. Mais entre les magouilles de son producteur, des acteurs incontrôlables et des techniciens à cran, il est vite dépassé par les événements. Abandonné par ses financiers, Simon doit affronter un conflit social avec sa propre équipe. Dans ce tournage infernal, son seul allié est le jeune figurant à qui il a confié la réalisation du making of.
Après La Nuit Américaine (François Truffaut, 1973) et Les Pires (Lise Akoka et Romane Guéret, 2022), Cédric Kahn apporte sa propre contribution au genre du « film sur le film ». Il adopte cependant une mise en abyme supplémentaire, avec pour principale diégèse la conception d’un making-of sur le tournage, celui-ci devant être réalisé par un jeune homme recruté à cet effet. Par ailleurs, la thématique de la lutte des classes est présente dans le film en train de se réaliser à travers la lutte des ouvriers, tout comme sur le tournage en tant que tel. En effet, les différents métiers du cinéma y sont présents, accompagnés d’un système hiérarchique propre à éveiller certaines tensions. Le récit du tournage a pour protagoniste principal un jeune homme passionné de cinéma et auteur d’un premier scénario, interprété par Stefan Crepon. Ce cinéaste en devenir va prendre la relève pour la réalisation du making-of et devient homme à tout faire du réalisateur surmené, interprété par Denis Podalydès.
Cédric Kahn semble donc se décrire doublement, premièrement avec ce jeune homme fou de cinéma, et ensuite avec le réalisateur aguerri, déjà reconnu dans le milieu, mais encore envahi par le doute. Cédric Kahn réalise ici sa première comédie, bien construite et pensée, et par ailleurs très bien interprétée par toute une palette de comédien.ne.s, pour certain.e.s également cinéastes (Xavier Beauvois, Emmanuelle Bercot, Valérie Donzelli).
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