Hotel silence - Une

Hôtel Silence — Quand deux moins font un plus

« Personne ne part en voyage avec des outils. Alors, qu’êtes-vous venu faire ici? »

Hotel silence - affiche

Jean, homme de 52 ans, dépressif depuis que sa femme l’a quitté, s’apprête à s’enlever la vie. Il choisit un pays qui a été dévasté par la guerre en espérant que la mort d’un inconnu passe comme une mort de plus dans ce pays en ruine qui a connu tant de malheurs.

Pomme d’api

En soirée du 26 mars 2024, je me rendis — accompagné d’un ami photographe (on salue Maxime Gagnon-Chrétien) — à l’avant-première du dernier long métrage signé Léa Pool; Hôtel Silence. L’événement avait lieu au prestigieux Théâtre Outremont (on salue son personnel professionnel et chaleureux) où il était bien annoncé au bar comme quoi les boissons étaient admissibles en salle! Sans farce, je trouve quand même que la situation par rapport à l’alcool dans ce genre de rassemblement emprunte une tangente assez favorable; on se croirait au stade, il manque juste les hot dogs.

Première de Hotel Silence
L’équipe du film – crédit photo Maxime Gagnon-Chrétien

Le public quant à lui — omis quelques bouffées de chaleur à l’arrivée des artisans du film — était des plus respectable. J’aime bien les réactions de foule au moment opportun, mais j’admire particulièrement lorsque celle-ci – surtout quand elle est composée de nombreux représentants en tout genre du milieu – démontre un respect solennel devant une pièce même si celle-ci est cinématographique. Juste avant que la représentation commence, nous avons eu la chance de voir sur scène la réalisatrice du film, Léa Pool, ainsi que l’auteure du livre dont l’œuvre est inspirée, Auður Ava Ólafsdóttir. L’écrivaine a traversé l’Atlantique spécialement pour l’occasion.

La réalisatrice tint à remercier son équipe avant de laisser la parole à l’auteure elle-même qui — malgré son français timide — sût nous faire exposer avec éloquence leur démarche artistique avec ces mots: « La force de Léa ce sont les images et moi ce sont les mots et notre lieu de rencontre c’est le silence ». Le public et moi-même fûmes ensuite plongés dans l’obscurité de la salle du Théâtre Outremont impatients de découvrir ce qui allait nous être montré.

Silence ou Paix?

Le film introduit le protagoniste Jean, interprété par Sébastien Ricard, qui rend visite à sa mère, interprétée par Louise Turcot, atteinte de la maladie d’Alzheimer; souffrant de son divorce Jean à envie d’en finir. Malheureusement, sa mère n’a plus la présence d’esprit nécessaire pour aider son fils à s’accrocher à la vie. Soucieux de ne pas traumatiser sa fille et sa mère avec son malheur et la finalité de sa décision face à sa propre existence, Jean décide de disparaître en silence. Là où personne ne se soucie de lui; un endroit où les gens souffrent et qui anonymiserait sa disparition parmi des milliers d’autres vies perdues.

Hotel Silence - Silence ou paix - Sébastien Ricard
Jean (Sébastien Ricard)

On parle sans cesse d’une génération d’hommes disparus devenus rares à présent. Le concept reste large dans son interprétation, mais ce qui selon moi fait le plus de sens serait l’homme qui construit à la place de détruire. Au bout du compte, les mains de Jean sont faites pour bâtir; elles ne savent pas éradiquer, car là où certains prennent les armes, Jean apporte des outils. Le portrait dessiné est intéressant vis-à-vis de ces bouts de bois et de métal qui aux sens inexpérimentés ou troublés semblent à priori des objets menaçants. Toutefois dans les mains d’un érudit des travaux manuels, ce qui paraissait de prime abord destructif s’avère être réparateur.

Quand je parle d’un film qui est fait avec attention et intention — un film qui va bien au-delà de ce que l’industrie offre en moyenne —, je parlerai maintenant également de Hôtel Silence. Les acteurs sont certes magnifiques — le duo de Sébastien Ricard et de la plus que remarquable Lorena Handschin en est une preuve flagrante —, toutefois, c’est la réalisation et la direction photo qui épatent. Le scénario, les dialogues et les images se fondent les uns dans les autres offrant une approche holistique où tout semble être dans tout. Un long métrage complet et bien travaillé, il devient difficile de ne pas être ébahi.

Un brillant espoir

Il y a beaucoup de réflexivité dans le film. On y voit un cinéma détruit et abandonné;  sans doute la constatation de la popularité d’un art qui s’évapore. Le jeune Zoran, interprété par Jules Poirier, rêve de revoir les salles de cinéma bondées; de continuer de divertir, d’émerveiller et de faire réfléchir; une chose qu’il ne peut pas faire seul. C’est comme pour les moments de déprime; les creux comme on les appelle, les moments sombres ou noirs. Parfois, il faut savoir tendre la main et d’autres savoir la prendre.

Si le film The Shining, basé sur le livre de Stephen King et réalisé par Stanley Kubrick, relate l’histoire d’un homme qui, isolé dans un hôtel luxueux, devient fou et antagonise un enfant et sa mère; Hôtel Silence est son opposé. Dans le premier, le public est témoin de la déchéance d’un homme; le second nous en offre une vision de rédemption, mais plus encore de renaissance. Je me demande si l’on décide d’être pèlerin ou le réalise-t-on uniquement à la fin du voyage? Un questionnement apparemment véhiculé par l’entité de Jean tout au long du film. Après tout, qui part terminer sa vie dans des contrées lointaines pour en devenir le sauveur?

Hotel silence - Un brillant espoir

À la fin de la soirée, j’ai eu l’immense honneur de pouvoir poser une petite question à Madame Pool au sujet du film. Il ne faut pas oublier que souvent les adaptations d’œuvres littéraires ne reprennent pas mot à mot chaque dialogue ou chacune des scènes. En ce sens, ma question fut de demander quel était le fil conducteur qui l’avait touchée elle personnellement, qu’elle avait conservé comme et qu’elle voulait transmettre dans son film? Elle répondit ceci : « On parle souvent de la guerre, mais on parle peu de l’après; qui s’occupe de ceux qui ont survécus, qui continuent? Hôtel Silence est un film sur l’espoir et la reconstruction ». C’est peu dire, car le film transforme complètement un saut de la potence en un de bungee. Ce genre de saut que l’on prend sans trop y réfléchir et qu’une fois rendu au sol, nous ne sommes pas plus bas, juste à un autre endroit; une oasis calme, un havre paisible ou peut-être simplement un Hôtel Silence.

Participation d’Igor Ovadis dans le rôle du gentil restaurateur. Il émane une sensibilité de cet homme que l’écran ne fait qu’accentuer. Il me fait toujours plaisir de le voir autant au cinéma qu’au théâtre. Je lui souhaite un rôle plus à l’avant-plan dans le futur.

Merci encore à Maxime Gagnon-Chrétien pour les photographies.

Bande-annonce

Fiche technique

Titre original
Hôtel Silence
Durée
100 minutes
Année
2024
Pays
Québec / Suisse
Réalisateur
Léa Pool
Scénario
Auður Ava Ólafsdóttir et Léa Pool
Note
9.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Hôtel Silence
Durée
100 minutes
Année
2024
Pays
Québec / Suisse
Réalisateur
Léa Pool
Scénario
Auður Ava Ólafsdóttir et Léa Pool
Note
9.5 /10

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