« Même si elle est polluée, l’eau sera tout de même plus propre que celle de la ville. »
Takumi (Hitoshi Omika) et sa fille Hana (Ryo Nishikawa) vivent dans le village de Mizubiki, près de Tokyo. Comme les générations avant eux, ils mènent une vie modeste selon les cycles et l’ordre de la nature. Un jour, les habitants du village prennent connaissance d’un projet de construction d’un site de glamping à proximité de la maison de Takumi; offrant aux résidents de la ville une « évasion » confortable dans la nature. Lorsque deux représentants d’une entreprise de Tokyo arrivent dans le village pour tenir une réunion d’informations, il devient évident que le projet aura un impact négatif sur l’approvisionnement en eau local, provoquant des troubles. Les intentions incompatibles de l’agence mettent en danger à la fois l’équilibre écologique du plateau naturel et leur mode de vie, avec des conséquences qui affectent profondément la vie de Takumi.
Avec Evil does not exist (悪は存在しない), Ryûsuke Hamaguchi propose un film lent, contemplatif, sur la vie dans la campagne où on vit au rythme des saisons. Un long métrage inspiré d’une collaboration avec Eiko Ishibashi, qui signe ici aussi la bande sonore.
La musicienne Eiko Ishibashi et le cinéaste Ryusuke Hamaguchi se sont à nouveau associés après une collaboration fructueuse sur le film Drive My Car. Le résultat unique est deux nouvelles œuvres; une performance cinématographique en direct intitulée Gift, qui présente un film muet réalisé par Hamaguchi accompagné d’une bande originale en direct interprétée par Ishibashi, et Evil Does Not Exist, le nouveau long métrage narratif du réalisateur. Evil Does Not Exist a fourni le matériel source du film muet, et Ishibashi a créé la bande originale du long métrage. Dans leur travail commun, Ishibashi et Hamaguchi cherchent à réinventer la relation entre le son, l’image et le récit.
L’essentiel de la production consistait donc à créer des séquences vidéo pour la performance live d’Eiko Ishibashi. Images qui deviendraient un film muet. Cela signifie aussi que le réalisateur devait trouver une nouvelle façon de penser son long métrage, lui qui a l’habitude de réfléchir en partant des dialogues pour ensuite mettre le tout en images.
Le résultat est fascinant. Par moment, on assiste à de longues séquences de déplacements sans autre son que la musique très atmosphérique d’Ishibashi. Puis, sans avertissement, la musique coupe, d’un seul coup, donnant l’effet d’un coït interrompu de façon assez brutal. Cela empêche le spectateur de se laisser aller comme il le ferait pour un film plus classique. C’est très déstabilisant, comme la fin du film d’ailleurs (dont je ne parlerai pas, évidemment).
Mais malgré ces longues séquences contemplatives, le spectateur reste pris par l’histoire qui est par moment drôle, par moment touchante.
Est-ce que Evil does not exist est un film écolo? Non, pas vraiment. Plutôt un film qui rend à la nature son importance. D’ailleurs, le réalisateur a dût, comme son personnage de Takahashi (Ryuji Kosaka), apprendre à comprendre la nature.
« Eiko m’a présenté certains de ses amis comme collaborateurs locaux du projet. Parmi eux se trouvait quelqu’un que je décrirais comme un “expert de la nature”, et son point de vue a clairement influencé le caractère de Takumi. J’ai appris, auprès de lui, comment percevoir la nature et compris une fois de plus à quel point elle est empreinte de “mouvement”. »
Au centre du récit, il y a cette notion de l’homme dans la nature. Lorsque Takahashi et Mayuzumi (Ayaka Shibutani) se retrouvent devant l’assemblé du village pour vendre le projet aux résidents, ils se sont retrouvés face à quelque chose que ni eux (qui sont une firme de consultant, ne le propriétaire de l’entreprise qui veut construire un glamping, ni le consultant spécialiste en camping n’ont vu venir. Les habitants du village n’en avaient rien à faire de l’argent que le glamping allait amener dans leur communauté. Leur principal et presque seul souci c’était l’eau. Ces gens étaient conscients que de l’eau propre avait une plus grande valeur que les millions qu’une entreprise pouvait dépenser dans leur cour.
À un certain moment, l’homme qui dirige le village – clairement l’homme le plus âgé du coin – pose un diagnostic magnifique, que nous devrions peut-être prendre comme nouveau dicton de vie. Il explique que l’eau vient d’en haut et coule vers le bas. Et que c’est la responsabilité de chacun de s’assurer que l’eau qui passe sur son terrain ressort aussi propre que possible pour ceux qui vivent plus bas. Parce que tous ceux qui suivent vont payer pour les gestes de ceux qui habitent au haut de la colline.
Mais est-ce que les villageois finiront par accepter l’offre des promoteurs? Vous devrez aller voir le film.
Evil does not exist n’est peut-être pas accessible à tous les publics. Le film est lent et plus sensoriel que direct dans ses propos. Les longs plans de nature ou de Takumi qui coupe du bois sans un seul mot, donnent un certain temps au spectateur pour méditer. Ce qui n’est évidemment pas donné à tout un chacun.
Mais si vous cherchez à découvrir une autre façon de faire du cinéma, découvrir la beauté des forêts japonaises et passer un moment à questionner le monde dans lequel vous vivez, ce film vous plaira.
Evil does not exist est présenté au FNC les 5 et 13 octobre 2023.
Bande-annonce
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