Le film Montréal Girls de Patricia Chica sort demain. J’en ai profité pour la rencontrer.
On a parlé de son nouveau film, de son court métrage Morning after, et de son parcours. Voici les meilleurs moments de cette discussion devant un bon café, au café du Cinéma moderne.
F.G. Merci de prendre quelques minutes pour qu’on jase de ton nouveau film. Ton premier long métrage, Montréal Girls. En anglais, mais avec l’accent. C’est ça?
P.C. Oui, c’était important pour moi de garder une touché francophone dans le titre.
F.G. Je me demandais, en fait, au départ, est-ce que c’est voulu ou si c’est juste pour la version française.
P.C. Le titre original a un accent aigu sur le « E » de Montréal parce que le film est sur la diversité de langue, diversité culturelle, diversité de sous-cultures. Donc, c’est important que ça reflète ça. Donc, j’ai demandé au distributeur de garder l’accent même dans la version en anglais.
F.G. On va plonger directement dans l’action… J’ai l’impression que vous jetez un regard quand même assez, comment dire? Un peu comme si les filles québécoises sont un peu toxiques. À tout le moins envers les gens un peu plus naïfs. C’est un peu l’impression qui me restait à la fin du film.
P.C. En fait, le personnage qui est toxique c’est Yaz. Et c’est une fille du Moyen-Orient. Et ce que j’observe et ce que j’anticipe du public québécois francophone, qui est habitué au cinéma québécois francophone, c’est que la perspective du personnage central n’est pas québécoise. C’est vraiment le regard de l’étranger sur Montréal, sur notre culture. Et jamais je n’ose prétendre que Montréal Girls représente toutes les filles ou les femmes de Montréal. C’est vraiment une expérience personnelle, authentique à ce que moi j’ai vécu dans le milieu des sous-cultures de l’underground montréalais.
F.G. Un milieu qui est quand même au cœur de ton œuvre en général.
P.C. C’est ça. J’ai évolué beaucoup dans tout ce qui est underground, donc c’est un environnement que je connais. Et c’est inspiré de ces années là quand j’étais photographe de l’underground dans le milieu du punk rock, du rockabilly, du fétiche, du burlesque. Donc tout ça, c’est un amalgame d’émotions. Et c’est sûr que des filles de Montréal, celle qui est toxique c’est Yaz, qui n’est pas une Québécoise de souche. Mais Désirée c’est quand même une fille assez centrée, assez groundée, et la poète, Sophia, c’est celle qui amène Ramy à se découvrir et à suivre sa vocation de poète.
Donc c’est certain qu’il y a un mélange de toutes ces filles-là. Mais je sens que le public québécois n’est pas prêt à un film sur la diversité dont le regard n’est pas le leur. Ça va bousculer les choses, mais ça va aussi ouvrir la porte à d’autres cinéastes de la diversité à s’exprimer. Parce qu’en fin de compte, c’est une histoire authentique. On m’a demandé « pourquoi t’as fait le film en anglais alors que c’est à Montréal, au Québec. Ben parce que le personnage principal ne parle pas français.
F.G. T’es en train de voler une de mes questions. Ah ah ah. Mais je vais saisir la balle au bond.
F.G. Le film a été tourné en 2021, mais actuellement, il y a un gros enjeu en lien avec la place de l’anglais et le nombre d’étudiants qui viennent étudier ici en anglais. Du coup, je me questionnais un peu à savoir comment le film allait passer à cause de ça.
P.C. Ben, écoute, il y a de la diversité à Montréal, il y a des étudiants étrangers. C’est une réalité qui existe. Et les personnages francophones parlent en français. Quand il rencontre Nahéma Ricci, qui joue Sophia, elle lui parle en français. Je ne détourne pas l’authenticité de chacun des personnages dans leur culture d’origine. Ce qui fait que ça devient anglophone c’est parce que le personnage central, dont c’est le point de vue et la perspective, il ne comprend pas le français.
Quand Martin Dubreuil, le sage au bord du fleuve lui parle en français, il dit : « I’m sorry, I don’t understand French. » Donc c’est sûr que ça devient anglophone par défaut. Mais ce n’est pas parce que j’impose l’anglais aux personnages. Je les laisse vivre dans leur langue naturelle.
F.G. Le personnage de Phénix, on l’aime pas. Il est snob, en fait. Il est le seul qui refuse, en quelque sorte, de parler à Ramy en anglais. Et c’est aussi le personnage qui ressort un peu comme le méchant de l’histoire. Est-ce que c’est un choix délibéré que ce personnage-là qui refuse de lui parler en anglais serait moins agréable, ou si c’est un peu un hasard?
P.C. Non, ce n’est même pas un choix conscient. C’est un travail avec l’acteur. C’est un poète francophone. Je voulais mettre Ramy face à ce poète-là, qui est très talentueux, qui s’exprime dans sa langue. Et il ne comprend pas sa langue, mais il le trouve très bon. Donc, non, c’était pas pour le rendre méchant parce qu’il parle français. Pas du tout.
F.G. C’est plus dans ses échanges avec Ramy. J’avais l’impression qu’il y avait une sorte de fermeture de la part de Phénix. Un peu comme s’il disait : parle en français sinon vas-t-en! Je trouve que c’est un peu le ressenti qu’il donne.
P.C. Ah, ok. C’est intéressant en fait d’avoir ce feedback-là.
F.G. En fait, il a l’air d’être un peu comme un opposant pendant une partie du film.
P.C. En fait, Phénix c’est un poète à part entière, puis il était offusqué que Ramy lui dise « j’ai beaucoup aimé ta poésie » alors qu’il ne comprend pas le français. Il lui répond : « tu aimes ma poésie que t’as pas comprise, j’aurais pu être en train de réciter ma liste d’épicerie ». Il le prend un peu pour un con dans le fond. Parce que c’est vrai que Ramy il est naïf, et il est intimidé par ce grand poète.
F.G. Je vais dévier un peu, sur quelque chose que j’ai lu. Vous dites « quand je fais un film, j’ai aussi en tête le côté marketing.
P.C. Oui, c’est vrai.
F.G. Est-ce que c’est au niveau de l’écriture ou si caster Nahéma Ricci dans un petit rôle ça fait un peu partie de cette idée là?
P.C. C’est sûr que de caster Nahéma Ricci… Je venais juste de la découvrir dans Antigone. Et Nahéma avait auditionnée tant pour Désirée et Yaz, mais ce n’était pas ni une ni l’autre, et j’adore cette actrice. Donc j’ai parlé à son agent. Je lui ai dit « Écoute, est-ce qu’elle serait prête à faire le rôle d’une des Montréal Girls, qui est la poète qui fait chavirer l’histoire? » Elle lui en a parlé et elle a dit oui tout de suite. Donc, il y avait ce désir commun de travailler ensemble.
Et c’est sûr que pour le marketing ça aide. Pour moi c’est une façon de découvrir le travail avec une artiste ou un artiste que j’aime, et en même temps ça fait monter mon casting.
F.G. Donc, si on parle un peu de cette notion de marketing qui est inclus directement dans l’histoire, est-ce que tu peux développer un peu là-dessus?
P.C. Pour moi, tout ce qui est marketing, c’est pas juste marchander et aller chercher de l’argent. Pour moi c’est le lien entre l’artiste et le public. Et je ne veux pas que cette connexion entre l’artiste et le public soit aux dépens des attachés de presse et des distributeurs. Je veux le contrôle. Je veux pouvoir communiquer avec le public à ma façon. Et c’est pour ça que j’aide d’autres cinéastes à les promouvoir. Parce que j’adore ce travail.
Tout est une question de contexte. Quand tu présentes une œuvre avec le contexte authentique, de comment l’artiste a créé cette œuvre, tu peux changer de perspective. Et le public peut le voir à travers le regard de l’artiste. Parce que si je ne parle pas de mon film, le public québécois va me descendre. Ils vont dire « c’est anglophone, les filles de Montréal sont pas comme ça, c’est toxique… » C’est tout ça. Parce que je l’ai vécu.
F.G. Ben. Il y a effectivement un risque.
P.C. Il y a un énorme risque, parce qu’ils n’ont pas le contexte dans lequel le film a été fait avec beaucoup d’authenticité par rapport à ce que j’ai vraiment vécu. Par rapport à un regard, à une perspective différente, de quelqu’un qui n’est pas d’ici. Quelqu’un de la diversité. Quelqu’un qui vit dans une société où il est constamment rabaissé. Où on se sent diminué, peu importe ce qu’on est.
F.G. Est-ce qu’encore aujourd’hui, c’est encore aussi présent?
P.C. Ah complètement. Écoute, j’ai des amis producteurs qui ont gagnés des pris à l’international, des réalisateurs noirs… On a eu un colloque, ça s’appelle La coalition média, et ça m’a tellement touché que j’avais des larmes aux yeux, parce que la réalité noire n’est pas ma réalité. Moi je suis de la diversité latine. Je vis moins cette oppression, mais écoute, la femme noire et l’homme noir me racontaient que eux, juste sortir dans la rue, c’est un danger.
F.G. Ici, à Montréal?
P.C. À Montréal, au Québec. En tant que réalisateur. La femme noire, qui est réalisatrice, qui a gagné des prix que je ne nommerai pas, elle a dit « moi si je suis à une table, on n’écoute pas ce que j’ai à dire. Ça me prend un producteur blanc pour que ça passe. Et ça doit venir de sa bouche. Parce que sinon, on n’a pas le financement. »
Et je me dis que c’est tellement vrai. Donc, ce film-là remplit vraiment un espace pour qu’on cohabite dans des perspectives différentes. C’est pour ça que le marketing pour moi est important. Parce que sinon, le film marche super bien à l’international, et au Québec ça a été tout un enjeu pour le sortir. Parce que l’espace pour les communautés de la diversité, les films en anglais… Il n’y en a pas d’espace.
Donc, c’est vraiment un enjeu qui existe, et sans ce marketing, sans cette communication, pour que les gens comprennent la perspective et le contexte, il n’y a pas de communication. Il y a juste une observation, un jugement par rapport à notre perception des choses.
F.G. Moi, en fait, j’habite à Montréal. Et j’avais vraiment l’impression que c’est pas un film à Montréal. J’ai l’impression que c’est un film dans le Mile-End.
P.C. Oui.
F.G. C’est comme… Une bulle à part…
P.C. Oui, c’est une bulle à part. Moi, J’habite dans le Mile-End et le Plateau depuis toujours, et, écoute, les seules fois que je sors du Mile-End ou du Plateau, c’est pour aller à l’aéroport. Donc c’est devenu comme mon univers. Donc, c’est sûr que jamais je prétends que le film représente tout le Montréal. C’est vraiment ma perception, c’est inspiré de ma vie. C’est quet-ce que moi j’ai vécu, comment je le perçois. Les lieux que j’aime : l’Esco, le Quai des brumes. C’est les vrais lieux qu’on nomme parce que c’est là que j’ai évolué comme artiste de l’underground. C’est un reflet de qui je suis. Et je ne prétends pas représenter toute la société québécoise. C’est un film très personnel.
F.G. Donc, le milieu où se passe tout ça, bon, le cousin qui joue du vieux punk-rock, c’est un peu le milieu qui t’a vu grandir en tant qu’artiste.
P.C. Oui, exactement.
On parle des thèmes
F.G. J’ai quand même hâte de voir comment le film va être reçu puisqu’il est un film de la diversité.
P.C. J’aime les choix esthétiques par exemple, comment on a filmé les angles de Montréal : les écureuils dans le parc, les couleurs… C’est des détails qu’un étranger va observer par curiosité, émerveillement, découverte. Et que nous on prend pour acquis. Pour moi c’est important. Le directeur photo incroyable, Alexandre Bussière, je lui ai dit mets toi tout le temps dans la tête de Ramy qui vient juste d’arriver, là. Qu’est-ce qu’il remarque? Lui, il vient d’un pays musulman, super strick, conservateur, et il ne parle pas français. Il voit des filles, et son cousin est dans l’underground. C’est encore plus un choc parce que là les filles sont ouvertes, elles sont avenantes, elles sont belles, sexy. Chez lui, c’est des jeunes filles voilées jusque-là pis tu ne touches pas aux filles.
F.G. On ne dit pas précisément d’où il vient.
P.C. Non, on ne le dit pas par choix. On ne dit pas, non plus, de quelle religion il est. Je ne voulais pas pointer du doigt une religion en particulier. C’est vraiment une expérience culturelle plutôt que religieuse.
F.G. Je pense pas que c’est important de toute façon. Parce que peu importe la religion, ou même pas de religion, c’est plus l’idée du conservatisme.
P.C. Donc, dans ce contexte-là, le regard des filles, imagine si un Québécois voit ce que Ramy voit, ce serait une autre expérience. Mais comme on le voit de son point de vue, ça amplifie encore plus les personnages comme étant toxiques ou manipulatrices, ou sensuels… Tout est amplifié parce que c’est la perspective qui change.
F.G. Oui et même Désirée, pendant un bon bout, on la trouve toxique. Au début, dans la scène des deux filles avec Ramy, rapidement on la met dans la même case que Yaz.
P.C. Et ce qui est drôle, c’est que Hakim Brahimi venait d’avoir 22 ans quand on a commencé à tourner le film, et il était vierge. Il vient d’une famille hyper conservatrice, musulmane, il vit encore chez ses parents…
F.G. Ok. Donc il fit réellement avec son personnage, là?
P.C. Le casting est tellement authentique. Il étudie en ingénierie. Tout fittait tellement. Et tout ce qui lui est arrivé dans le film est en train de lui arriver quasiment, là…
Et quand il voit les deux filles s’embrasser, c’est la première fois de sa vie qu’il voyait deux filles s’embrasser, live, avec 2 caméras. Ça fait que la réaction qu’on a de lui qui regarde, elle est naturelle.
F.G. Ext-ce qu’il y avait de ton côté une sorte d’inquiétude dû à sa situation, de dire que tu ne voulais pas le faire basculer d’un bord ou de l’autre?
P.C. Il était au courant que mon intention était d’avoir un casting le plus proche des personnages. Et Hakim et moi on a travaillé 1 an en amont pour le préparer.
…
F.G. Il y a d’autres projets à venir?
P.C. Il y en a trios en chantier. J’en ai un au Québec, sur une histoire vrai sur un réfugier de l’Angola; un autre qui est un film de genre un peu thriller psychologique/horreur/paranormal, et à Cannes on a signé avec un producteur exécutif américain. Mais ça va être un film canadien avec des acteurs internationaux. Un qui s’appelle Spiral.
F.G. Il y a un dernier truc dont j’aimerais qu’on parle. Je ne veux pas qu’on vende le punch… La fin semble un peu… Comme « trop ».
P.C. Oui, je comprends. C’est une courbe qui a évolué rapidement.
F.G. Oui, c’est ça.
P.C. Mais à cet âge-là, tu te rebelles vite. Surtout quand tes parents ne sont pas dans le même pays que toi. Le jeune cherche une appartenance. Je l’ai observé dans les milieux où j’étais et ça va très vite. Et je dois ajouter que l’histoire de Ramy, fondamentalement, c’est mon histoire. Certains détails ont été changés, mais c’est mon histoire.
F.G. On n’ira pas plus loin sur le sujet, parce que j’aimerais bien que les lecteurs aillent voir le film sans savoir comment il finit.
…
F.G. Patricia, merci d’avoir du temps pour jaser avec moi.
P.C. Merci de prendre le temps de me rencontrer.
Bande-annonce
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