Le réputé documentariste John Walker explore une nouvelle fois le thème des deux solitudes en nous faisant partager son grand regret d’avoir dû quitter Montréal et le Québec pendant les années 70. Cette décennie qui a marqué le début de l’exode de centaines de milliers de Québécois anglophones, exode qui s’est poursuivi jusqu’aux années 90. Encore aujourd’hui, de jeunes Anglo-Québécois s’interrogent sur la possibilité réelle pour eux de vivre à Montréal malgré leur bilinguisme et leur sentiment d’appartenance bien réel. C’est le cas de Christina, membre de l’équipe de production. Montréalaise de naissance, Québécoise de corps et de cœur, elle cherche sa place dans ce Québec pluriel.
Au début du documentaire Québec My Country Mon pays, Walker évoque ses racines écossaises, irlandaises transplantées au Québec depuis plus de 200 ans. Une présence longtemps marquée par l’insouciance des communautés anglophones, souvent unilingues, et
l’inconscience de ses privilèges, au milieu de la majorité francophone. Le début des années 60 marque la fin de cette insouciance. Les attentats du FLQ dans Westmount, la création du Parti Québécois, la crise d’octobre puis l’élection d’un gouvernement péquiste en 1976 et le premier référendum en 1980 sonneront la fin de la récréation. Les anglophones du Québec se sentent désormais minoritaires. Et orphelins du pays du Québec.
Walker nous raconte l’histoire de sa famille. L’histoire de ceux qui partent mais aussi de ceux qui choisissent de revenir. Parce que Toronto, ce n’est pas la maison. Toronto, c’est l’étranger pour John Walker. Et pour sa sœur Johanna qui revient, après quelques mois à peine, à l’aube de ses 18 ans, et épouse son amoureux d’adolescence. 40 ans plus tard, les enfants, petits-enfants, belles-filles, gendres et compagnie, de toute langue, couleur et origines se sentent bien, chez eux, à Montréal.
John Walker rencontre des intellectuels québécois pour tenter de comprendre pourquoi ce fossé, ces deux solitudes : Louise Pelletier, Jacques Godbout, Yolande Perreault, la veuve du grand Pierre Perrault, qui a eu une influence déterminante sur John Walker, Denys Arcand. Le réalisateur « oscarisé » a les paroles les plus dures pour un homme qui cherche à réconcilier son amour du Québec et son exil : les Québécois francophones se foutaient complètement de voir partir les anglophones. Il n’y avait pas de lien entre les communautés. Le FLQ avait un côté romantique et la loi des mesures de guerre était perçue comme nettement exagérée.
Dans la région d’origine de John Walker, celle de Lachute, ses anciens voisins anglophones, des fermiers qui ont choisi de rester, racontent leur quotidien et leur état d’âme. À l’écart de la majorité mais chez eux. Ce qui ne sera pas le cas pour leurs enfants instruits.
Tout dans la caméra de Katerine Giguère est magnifique : la lumière, les cadrages, les paysages, l’atmosphère et la beauté qui s’en dégage. Pas facile pourtant de travailler avec un réalisateur d’abord connu et reconnu comme photographe et directeur photo. L’usage que fait Walker des archives photos est très réussi.
Québec My Country Mon pays baigne dans une atmosphère de nostalgie et le réalisateur réussit à nous faire ressentir son sentiment de perte. La scène du retour à Montréal de sa mère veuve et malade, après ses années d’exil, est assez bouleversante. Est-ce que le film réussira à convaincre les Québécois francophones que leurs compatriotes anglophones sont des victimes? Grand retour aux deux solitudes.
Note : 8/10
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