La Pietà - une

[Fantasia] La Pietà — Nous

« Je serai toujours là. »

LA PIEDAD - affiche

Lili (Ángelina Molina) et Mateo (Manel Llunell), une mère et son fils, entretiennent une profonde relation de dépendance mutuelle. Ils se livrent à leur réalité étouffante jusqu’à ce que l’un d’eux soit diagnostiqué d’une maladie mortelle. La simple idée de séparation les amène à développer leur version la plus sombre et la plus toxique d’eux-mêmes.

Avec La pietà, Eduardo Casanova offre un un film dans lequel il ose jouer avec les parallèles entre une relation mère-fils toxique et le régime nord-coréen, offrant à la légendaire Ángela Molina une performance emblématique en tant que mère toxique.

Une esthétique marquante

Une des premières choses qui frappe lorsqu’on regarde La pietà, c’est l’utilisation du rose. Le réalisateur expliquait qu’il s’agirait d’une de ces choses ancrées en lui par sa mère. Je disais donc que tout ce qui fait partie de l’univers de la mère et du fils est en rose. Les murs de la maison sont roses, le téléphone est rose les vêtements qu’ils portent sont roses. Ce rose bonbon contraste fortement avec la relation dictatoriale de la mère. 

La piedad - Esthétique marquante
Lili (Ángelina Molina) et Mateo (Manel Llunell)

Les plans ouvertement composés et les couleurs hyperréalistes évoquent d’ailleurs un monde de fantaisies gomme balloune élaboré, dans le style des comédies musicales de la MGM et des telenovelas. Mais il ne faut pas se laisser leurrer. L’univers que nous présente Casanova est hautement toxique, grotesque et effrayant.

Lorsqu’on ajoute à cela les teintes bleues/grises qui composent le reste du film — tout ce qui se passe à l’extérieur du duo familial —, on se retrouve dans un monde en deux teintes. Un monde effrayant dans lequel la liberté devient un concept qui n’existe pas. Après le film, le réalisateur expliquait, d’ailleurs, qu’il ne croit pas que la réalité existe réellement. Nous sommes tous sous un certain contrôle, pris à l’intérieur de ces faux choix composant une sorte de dictature invisible. Une vision qui mérite qu’on y réfléchisse un peu. 

Contrôle

La Pietà parle de pouvoir, et de soumission à l’extrême; de dictature. En mettant en parallèle une relation mère-fils et le régime de la Corée du Nord, Casanova développe une histoire sur la capacité et le besoin que les humains puissent avoir de contrôler leur propre création, d’autres personnes et même un pays tout entier. 

Dans son univers rose, Lili ne laisse presque jamais son fils s’exprimer seul. Elle répond toujours pour lui en utilisant le nous. Des scènes surréelles sont offertes au spectateur alors que le duo rencontre une psychologue. Cette dernière tente en vain de parler avec Mateo. Mais, à chaque question, la mère répond au nous. Et la discussion se termine lorsqu’elle dit : « nous n’aurons plus besoin de vos services ».

La piedad - contrôle

La relation de codépendance se développe de façon tordue lorsque la maladie frappe, puisque le cancer affaiblit au point d’avoir besoin physiquement de l’autre. De l’autre côté, il y a cet univers bleu/gris de l’ex-mari de Libertad, qui vit avec sa nouvelle femme. Une autre relation toxique, dans laquelle le pouvoir cherche à se développer. La nouvelle épouse aimerait bien trouver la bonne façon de contrôler quelqu’un. Mais ce n’est pas si facile. 

Et le troisième univers que le réalisateur nous offre est celui de la Corée du Nord et de Kim Jong Il. Bien qu’on ne comprenne pas vraiment l’utilité de ces séquences au début, à mesure que le film avance, on comprend la corrélation. D’une certaine façon, le pouvoir d’un dictateur tient sur une certaine dépendance affective qu’il réussit à donner à ceux qu’il soumet. Ici, un couple avec deux enfants vit dans cet univers fou, mais réaliste. Ils sont libres de choisir entre se nourrir et mourir empoisonnés ou se laisser mourir de faim…

Un peu plus…

Revenons au côté visuel du film. Avant le début de la projection, le présentateur disait qu’il s’agissait d’un film comme on n’en avait jamais vu. Et il expliquait que cette phrase est beaucoup trop souvent utilisée de façon fausse, mais que cette fois-ci, c’était vrai. Disons simplement que c’est certainement vrai pour 99% des gens. 

Je crois qu’on peut dire sans se tromper que ce film offre des images choquantes. Ce n’est pas tout les jours qu’on voit, en contre-plongée, une femme uriner, avec un plan clair de l’urine qui sort de là où ça provient. Ou encore un accouchement avec un gros plan sur la vulve de la femme. Tout ça montré dans cette même esthétique ultra léchée dans lequel rien n’est laissé au hasard. Une des techniques utilisées par Casanova pour montrer le contrôle, c’est justement un contrôle dictatorial sur la composition des plans. Tout est symétrique, ajusté au carré. 

La piedad - un peu plus

Je terminerais en disant que sous ses allures de conte de fées sur cauchemardesque, La pietà joue avec une direction artistique excessive tout en explorant la prise de pouvoir d’une mère devenue folle. Avec son humour noir et le dégoût provoqué, ce long métrage pousse à l’extrême le stéréotype de la mère autoritaire en brouillant la frontière entre Libertad (dont le nom signifie ironiquement liberté) et la dictature nord-coréenne. Cette allusion finit par s’infiltrer dans la réalité du film, brouillant encore davantage la frontière entre le réel et l’irréel.

Une histoire universelle sur la façon de nous séparer de nos racines : tout abandonner pour évoluer ou pour nous sauver, même en sachant que la part la plus sombre de nous que nous laissons derrière nous reste avec nous, dans notre ADN. Mais pouvons-nous réellement nous sauver?

La pietà est présenté au festival Fantasia les 21 et 25 juillet 2022. Notez qu’il s’agit probablement de votre dernière chance de voir le film dans sa version originale, car Netflix a acheté les droits (il sera donc disponible sur la plateforme). Mais ils ont aussi exigé de censurer le film. Alors, vous devez aller le voir à Fantasia.

Bande-annonce

Fiche technique

Titre original
La piedad
Durée
84 minutes
Année
2022
Pays
Espagne / Argentine
Réalisateur
Eduardo Casanova
Scénario
Eduardo Casanova
Note
9 /10

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Fiche technique

Titre original
La piedad
Durée
84 minutes
Année
2022
Pays
Espagne / Argentine
Réalisateur
Eduardo Casanova
Scénario
Eduardo Casanova
Note
9 /10

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