« Pour devenir riche, faut commencer par avoir l’air riche. »
Une des grandes qualités du cinéaste Maxime Giroux est la variété qui caractérise sa filmographie. D’un long-métrage à l’autre, il est capable de changer complètement de style, de registre et d’ambiance, tout en gardant une certaine cohérence en ce qui a trait aux personnages. Ainsi a-t-il commencé sa carrière avec un drame naturaliste plutôt sombre (Demain, 2008), puis a enchainé avec un film adolescent réaliste-magique, avec Jo pour Jonathan (2010), pour ensuite se tourner vers la comédie sentimentale aux accents philosophiques avec Félix et Meira (2014) et finalement porter à l’écran un scénario historique, avec des éléments à la fois burlesques et horrifiques, dans La grande noirceur (2018), un film qui évoque aussi l’œuvre de David Lynch. Mais peu importe quel type de film il tourne, Giroux s’intéresse toujours à des histoires mettant en scène des personnages a priori antipathiques, qu’il s’attarde à rendre sympathiques. Un jeune délinquant dans Jo pour Jonathan, un mari juif orthodoxe autoritaire dans Félix et Meira, etc. Et le cinéaste reprend le même procédé dans son nouveau film, Norbourg.
Quatre ans après son dernier long-métrage, Giroux revient cette fois avec un « thriller financier » enlevant, dans la veine de Wall Street (1987) d’Oliver Stone. Le scénario, signé Simon Lavoie, s’intéresse aux tenants et aboutissants du scandale Norbourg, la pire affaire de fraude dans l’histoire du Québec. Durant la première moitié de la décennie 2000, Norbourg était une firme d’investissements créée par Vincent Lacroix, qui a notamment été chargé de gérer des fonds de placement par Desjardins et même par la Caisse de Dépôts! Il va sans dire que confier des fonds publics à une société aussi nébuleuse, avec des taux de croissance suspects, allait certainement mal finir.
Ainsi, Vincent Lacroix — interprété par François Arnaud — avec l’aide de son bras droit Éric Asselin — interprété par Vincent-Guillaume Otis — a détourné des dizaines de millions de dollars, qu’il a ensuite perdus, ruinant ainsi des milliers de petits épargnants. Le scénario, un peu technique par endroits, s’attache à décrire l’ascension fulgurante de la firme, détaillant avec précision tous les procédés illicites utilisés par cette dernière, pour ensuite montrer sa chute spectaculaire. Suivant la structure du film de gangsters, l’intrigue suit un protagoniste non-initié au monde du crime, Asselin, qui y est vite mené par un bandit charismatique. Une tension finit bien vite par s’installer entre les deux, qui mènent à la trahison.
Notons tout de même que le novice qu’est Asselin est représenté comme particulièrement retors, tant et si bien que l’on en vient à se demander s’il ne serait pas le vrai cerveau de l’organisation, une possibilité que le film évoque. Dans ce contexte, Lacroix, derrière ses allures de golden-boy impitoyable, serait en fait une victime d’Asselin. Ainsi, Giroux est fidèle à son habitude, continue à nous rendre un peu plus agréables cet homme profondément abject. Mais, le film n’oublie pas les vraies victimes, alors qu’une intrigue parallèle relate l’histoire d’un malheureux retraité — joué par Guy Thauvette — ayant investit tout l’héritage de sa petite fille dans Norbourg et s’étant retrouvé floué. Le film rappelle également que Lacroix n’a fait que trois ans de prison et qu’Asselin n’a subi qu’une faillite personnelle, des années après la révélation du scandale.
Ainsi, le scénario de Lavoie soulève la question de la trop grande tolérance du système de justice envers les bandits à cravate. D’ailleurs, à un moment du film, la Commission des valeurs mobilières commence à resserrer l’étau sur Norbourg, pour ensuite voir son enquête être ralentie par des procédures administratives. Un seul plan sur une coupure de journal vient indiquer la raison de ce soudain changement d’orientation à la Commission : « Libéral et majoritaire », en référence à l’élection de Charest en 2003. De même, le film insinue que Norbourg aurait financé des candidats libéraux fédéraux.
Sur le plan visuel, la direction photo de Sarah Mishara — qui est, rappelons-le, une des meilleures directrices photo de l’histoire du cinéma québécois — privilégie des teintes froides et un éclairage très ombragé. Les protagonistes se retrouvent toujours plongés dans la pénombre, découpés par des lumières ocre ou blanchâtre. De plus, Mishara multiplie les prises de vue en grand angle, donnant l’impression que les personnages sont perdus au milieu d’espaces trop grands. La direction artistique, pour sa part, inclut de grands espaces à bureaux hypermodernes, mais vides, et des lieux extérieurs à l’architecture dépouillée, comme les alentours du Stade olympique. Tout cela créé un sentiment de vide et d’austérité visuelle. Par moment, les images du film rappellent des peintures d’Edward Hopper. Même les moments « festifs », comme une soirée du Nouvel An chez Norbourg, sont illuminés par des éclairages blafards qui leur confèrent une certaine froideur. À ce propos, durant cette fête du Nouvel An, une mascotte est présente, mais le réalisateur ne la montre que par des inserts, ce qui rend la présence de ce personnage cartoonesque encore plus singulière.
Après Mafia Inc. de PODZ, Vivre à 100 milles à l’heure de Louis Bélanger et Arsenault & fils de Rafaël Ouellet, Giroux est un autre cinéaste de la génération X qui réalise un film de gangsters « à la Scorsese » au Québec. Il est probable que tous ces cinéastes aient en commun d’avoir grandi en regardant les films du maitre italo-américain. Il faut dire que dans le cas de Giroux, l’hommage fonctionne. Si elle continue d’emmener des films réussis comme Mafia Inc. et Norbourg, on espère que cette mode se poursuivra dans les années à venir.
Bande-annonce
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