« It’s not finished yet. »
[C’est pas encore fini.]
Dans un film noir sur l’enfant-soldat urbain, un homme d’âge moyen, Akilla Brown, capture un garçon jamaïcain de quinze ans, Sheppard, à la suite d’un vol à main armée. Au cours d’une nuit exténuante, Akilla est confronté à un cycle de violence générationnelle dont il pensait avoir échappé.
Gagnant de plusieurs Canadian Screen Award (Cinématographie, Montage sonore et Mixage sonore, et Distribution et scénario original), Akilla’s Escape est un film élégant et poétique, du réalisateur canadien Charles Officer, qui décrit les survivances de la communauté des gangs jamaïcains qui se propagent en divers lieux et à travers les générations. À travers l’histoire d’un homme qui a essayé de s’échapper et qui essaie maintenant d’aider un garçon à s’échapper, le terme « évasion » commencera à avoir un sens ironique dans le film. Et une répétition du passé jouera un rôle important dans le récit, où les lignes du temps de 2020 à Toronto et de la Jamaïque des années 1990 sont décrites parallèlement.
Pour exposer les problèmes essentiels de la communauté des gangs jamaïcains, le réalisateur essaie une combinaison intéressante de deux éléments sans rapport dans le film. Lors de l’ouverture, par exemple, les conditions sociales en Jamaïque sont présentées à travers des articles de journaux sur les gangs et les scènes politiques, sur fond de musique reggae. Cette combinaison de problèmes sérieux et de musique légère peut donner un sentiment étrange au public.
Ce genre de combinaison est en fait lié à un motif important du film, le motif d’un garçon dans un gang. Dans les deux cas – Akilla et Sheppard –, il s’agit d’un monde qui met la vie des enfants dans la culture des gangs. Comme la mère d’Akilla qui a dit « C’est un garçon » pour empêcher son mari d’essayer de faire de leur fils un homme dans l’armée de garnison, les gens disent aussi « C’est juste un enfant » à Sheppard. Ce qui fait réfléchir, c’est que l’évasion d’Akilla n’a été possible qu’en gagnant de l’argent en tant que membre du gang, en tuant son père (de manière directe) et en laissant sa chère mère derrière. Mais maintenant, Akilla se rend compte qu’après avoir rencontré Sheppard, son évasion n’est pas terminée et il commence à comprendre le vrai sens de l’évasion.
Ce qui est important, c’est que l’évasion était un moyen de protéger sa mère, et plus tard, ce schéma se répète également dans le cas de la tante de Sheppard, Feyi.
Il est intéressant de noter que ces deux personnages féminins affichent une autre paire de répétitions, outre Akilla et Sheppard. La phrase adressée à Feyi « Tu dois partir » fait référence à ce qu’Akilla a dit un jour à sa mère « Nous devons partir ». Il en est de même lorsqu’Akilla a dit « Je reviens bientôt » à sa mère hospitalisée, ce qu’il a répété à Feyi lorsqu’il sort pour récupérer Sheppard. Puis Feyi, qui remplace la mère d’Akilla, devient un personnage important dans son histoire d’évasion, et tous les soutiens qu’il fournit à Feyi peuvent être interprétés comme la rédemption ou une seconde chance pour lui. Il montre, au figuré, que sa fuite ne sera jamais achevée sans sauver sa mère. A la fin du film, quand Feyi se réveille, le matin, pour trouver un billet, la fuite d’Akilla est enfin accomplie…
Il y a un autre élément intéressant qui se répète pendant le film; il s’agit des trois livres dans l’appartement d’Akilla au début du film : Notes of Native Son de James Baldwin, L’Iliade d’Homère et L’Art de la guerre de Sun Tzu. Au fur et à mesure que le film avance, vous vous rendrez compte que le livre de Sun Tzu vient probablement du père d’Akilla, et le livre de Baldwin est celui qu’Akilla a ramassé dans le train en quittant la Jamaïque. Les deux livres décrivent des valeurs humaines et sociales fortement liées à la société jamaïcaine. À savoir, la condition complexe d’être noir en Amérique, et les compétences politiques dans la société postcoloniale.
D’un autre côté, alors qu’on ne sait toujours pas comment le livre d’Homère est entré dans la vie d’Akilla, il est possible de penser que le troisième livre doit être un symbole de quelque chose qu’il a acquis pour lui-même. Par exemple, cette célèbre épopée grecque raconte une tragédie, mais en même temps, ne décrit-elle pas aussi une seconde chance pour un homme en colère, Achille, qui a laissé mourir son meilleur ami ? De ce point de vue, la vie d’Akilla, ou sa fuite, peut être considérée comme une répétition de l’épopée.
Contrairement à de nombreux autres films policiers, de gangs ou de drogue, ce film contemplatif met l’accent sur la compassion et la seconde chance comme thème. Le succès du film doit autant à la distribution qu’à la technique. Surtout Thamela Mpumlwana, qui joue deux rôles différents (Young Akilla et Sheppard) et qui donne une performance exceptionnelle. Mais certains pourraient avoir l’impression qu’Akilla’s Escape repose trop sur des allusions et des métaphores.
Note : 9/10
Bande-annonce
Titre original : Akilla’s Escape
Durée : 90 minutes
Année : 2020
Pays : Canada/États-Unis
Réalisateur : Charles Officier
Scénario : Charles Officier
Akilla’s Escape est disponible sur le site de Level Film.
Traduit de l’anglais par François Grondin
© 2023 Le petit septième