[Festival Ciné-Vert] Douce France | Sol souverain

« Sur la terre, nous apprenons à cultiver notre nourriture. »
Une pancarte dans Sol souverain aux abords de Dawson City

Ciné Vert, le festival montréalais consacré aux films documentaires sur l’environnement, a lancé sa 3e édition et se déroule en ligne jusqu’au 24 avril 2021. Au mois de janvier dernier, j’avais eu la chance de voir le très beau film burkinabé Pas d’or pour Kalsaka de Michel K. Zongo, programmé par Ciné Vert et diffusé sur Tënk.ca, la plateforme propulsant le documentaire de création à travers le Canada.

Une fois que tu sais - affichePour cette 3e édition, ce sont 9 longs métrages et 5 courts métrages présentés gratuitement en ligne et accompagnés par des discussions avec les cinéastes et des spécialistes des enjeux environnementaux. La programmation des longs métrages est présentée à nouveau sur Tënk.ca.

Une fois que tu sais, du Français Emmanuel Cappellin, a été diffusé en première canadienne au début du festival, j’espère que vous ne l’avez pas raté! Il a reçu le Prix du meilleur long métrage documentaire au Festival International du Film d’Éducation qui se tient à Évreux en France. Le comité de sélection de ce festival – dont je fais partie – avait alors été touché par la vision profondément humaniste et sensible du réalisateur assumant difficilement son rôle de jeune père alors que le monde autour de lui s’écroule en raison du changement climatique et de l’épuisement des ressources. 

Rassurez-vous, d’autres documentaires programmés par Ciné Vert sont encore visibles sur la plateforme Tënk ! Parmi eux : un film canadien, Sol souverain de David Curtis, fruit d’une coproduction entre Jackleg Films et l’ONF, et un film français, Douce France de Geoffrey Couanon, présenté en première canadienne. Bons films !

Sol souverain – Terre hostile

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À l’extrémité de la forêt boréale canadienne, à l’extérieur de la petite ville subarctique de Dawson City, au Yukon, une poignée d’agriculteurs et d’agricultrices cultivent tout; des choux de Bruxelles recouverts de neige aux pommes. Avec acharnement et savoir-faire, ils et elles ont réussi à aménager de petites parcelles de terre fertile, dans une étendue de nature sauvage.

Dès les premières secondes, le cinéaste David Curtis expose la problématique centrale de son film : 

« À Dawson City, moins de 10% de la nourriture locale est d’origine locale ».

Ce chiffre implacable limite immédiatement la portée du travail des cultivateurs qu’il a rencontrés pour son film et qui tentent de faire sortir de cette terre hostile des trésors naturels. Dans le même temps, ce chiffre ne fait que rappeler les conditions climatiques extrêmes dans ce coin du Yukon, situé à 560 kilomètres au sud du cercle polaire arctique. Cela explique bien entendu l’importation nécessaire des denrées alimentaires pour nourrir la population locale, friande de surcroît de fruits et de légumes exotiques tout au long de l’année, comme l’annoncera un épicier de la ville. 

Pourquoi s’en priver, certains diront, à l’heure de la mondialisation? Ce gérant de superette évoquera aussi le hiatus qui existe entre les besoins diversifiés des habitants et les producteurs locaux qui ne peuvent offrir qu’un choix très limité de produits.

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Dawson City n’est plus vraiment coupée du monde, comme elle l’était au cours de la ruée vers l’or lorsque les films hollywoodiens étaient envoyés alors en aller simple (sans retour possible) vers les cinémas de la ville pour satisfaire les besoins en divertissement des milliers de chercheurs d’or. Le surprenant documentaire Dawson City : Le Temps suspendu de Bill Morrison (USA, 2016) évoquait le cycle de vie (et de mort) d’une collection de films nitrate projetés sur les écrans de cette ville perdue du Yukon avant de tomber dans l’oubli, d’être enterrée puis redécouverte des dizaines d’années plus tard par un conducteur de pelleteuse faisant surgir de terre des centaines de bobines de film miraculeusement conservées. 

De la terre, il en est question tout au long de Sol souterrain. Et de miracle également à la vue des produits qui parviennent à sortir de terre. Un verger sous serre annonce l’arrivée prochaine de pommes aux couleurs prometteuses grâce aux bons soins d’un couple extrêmement attentif. D’autres cultivent du brocoli, du chou, ou récoltent le délicieux nectar des bouleaux. Ce genre d’exploits dans le Klondike paraît étrange, surnaturel, presque contre nature. 

La richesse du film repose sur la rencontre sensible entre des habitants impliqués de près comme de loin dans l’agriculture et le réalisateur David Curtis qui s’emploie à montrer comment ils s’adaptent dans un milieu rude, sinon hostile, avec courage, persévérance, patience et passion.

On pourrait cependant reprocher au film son manque de poésie et sa réalisation prenant parfois des contours trop consensuels. Pourtant, la caméra inspirée du directeur photo John Price avec ses plans larges et ses plans de drone rend compte de la petitesse de l’être humain dans l’immensité des paysages, réduisant alors le travail de la terre et l’énergie déployée presque en poussières. Explorer davantage l’incarnation de Mère Nature et sa portée suggestive et dramatique aurait été un moyen subtil pour structurer un regard sur ce bout de terre imperturbable face à l’action de ces hommes et de ces femmes qui résistent, qui se débattent et s’enlisent.

Note : 6,5/10

Bande-annonce

Sol souverain, David Curtis, offert par l’Office national du film du Canada

Fiche technique : 

Titre original : Sol souverain / Sovereign Soil
Durée : 91 minutes
Année : 2019
Pays : Canada
Réalisateur : David Curtis
Scénario : David Curtis
Sortie : En ligne sur Tënk.ca du 19 au 22 avril 2021

Douce France – Changer le monde

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Douce France, du nom de la célèbre chanson de Charles Trenet, est un film qui fait un bien fou et qui ravive l’espoir en ces temps embrumés et maussades. Le réalisateur Geoffrey Couanon nous embarque dans une enquête citoyenne menée par des jeunes de banlieue sur un gigantesque projet contesté de parc de loisirs et de commerces qui implique d’urbaniser les terres agricoles proches de leur quartier, dans le nord de Paris. 

Mais a-t-on le pouvoir d’agir sur son territoire quand on a 17 ans? Drôles et intrépides, ces lycéens et lycéennes prennent très au sérieux le projet soigneusement préparé en classe et partent à la rencontre d’habitants, de commerçants, de promoteurs immobiliers, d’agriculteurs et même d’élus de l’Assemblée nationale afin de peser le pour et le contre de ce projet pharaonique appelé EuropaCity (aujourd’hui définitivement abandonné). 

C’est un film tout en progression, toute en transformation : les apprentis enquêteurs élaborent leurs pensées au fil de l’enquête à mesure qu’ils maîtrisent de plus en plus leur sujet et découvrent la complexité du projet qui créerait beaucoup d’emplois, mais pas forcément en s’appuyant sur les classes populaires environnantes (à l’exception des tâches subalternes). La disparation des terres agricoles fertiles pour construire un nouveau complexe commercial avec parc de neige et aquatique est évaluée à 3 milliards d’euros, cependant, on l’apprendra, rien dans ce projet n’est consacré à l’éducation des jeunes : un comble dans des territoires touchés par la pauvreté et un taux de chômage extrêmement élevé.  

La rencontre avec des cultivateurs, contraints de céder leurs champs si le projet est validé, est déterminante en ce qu’elle parvient à changer l’image de l’agriculture que peuvent avoir les jeunes ayant grandi dans des villes nouvelles bétonnées. Toucher la terre, faire connaissance avec des métiers jusque-là inconnus et écouter la parole des militants au sujet des circuits courts et des liens entretenus avec les communautés, voici un vrai projet d’éducation du regard sur le monde. De rencontres avec des politiciens ayant vendu leur âme au capitalisme aux entretiens sur le vif avec des commerçants et des riverains voyant d’un bel œil leurs affaires fructifier, ou leur logement prendre de la valeur, chacun y voit son propre intérêt : une belle métaphore de la société d’aujourd’hui qui réduit trop souvent l’individu à un simple consommateur avec l’implantation dans son lieu de vie de zones déshumanisées remplies de commerces et de loisirs.

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Geoffrey Couanon a la belle idée d’utiliser en voix off les points de vue des jeunes enquêteurs et de ne pas intervenir directement : après tout, quelle parole vaut mieux qu’une autre dans ce capharnaüm immobilier et politique? Douce France fait le pari sur les jeunes générations qui prennent leur avenir en main, en faisant de l’esprit collectif, de l’inclusion sociale, des valeurs du vivre-ensemble et du débat d’idées, des conditions indispensables pour accompagner la transformation sociale et écologique de nos territoires.

Car comme le dit une des lycéennes dans le film :

« Si eux ne font rien, qui va faire quelque chose? »

Note : 8/10

Bande-annonce

Fiche technique : 

Titre original : Douce France
Durée : 96 minutes
Année : 2020
Pays : France
Réalisateur : Geoffrey Couanon
Scénario : Geoffrey Couanon
Sortie : En ligne sur Tënk.ca du 21 au 24 avril 2021

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