Chaque fois qu’on me demande de couvrir des films d’animation, ce qui m’arrive rarement, ma réaction initiale est la même : je reste sceptique et sans attentes envers un genre cinématographique auquel je ne porte habituellement presqu’aucune attention. Or, chaque fois, je suis carrément éblouie par ces films injustement méprisés : par leur richesse stylistique et surtout par leur excellence technique. Et ceci va de même pour les films qui sont présentés dans la critique qui suit.
Il s’agit des quatre films sélectionnés par l’ONF pour représenter le Canada au prestigieux Festival international du film d’animation d’Annecy, festival qui, en raison de la situation mondiale actuelle, sera diffusé en ligne – donc aussi au Québec – entre le 15 et le 30 juin. Les quatre courts métrages produits au Canada – une coproduction avec l’Allemagne et trois productions québécoises, dont Physique de la tristesse avait déjà fait l’objet d’une de nos critiques auparavant – illustrent à merveille la force du genre animé. Autant ils sont divers par leur approche technique, autant ils peuvent être subsumés sous un même thème central : la remise en question de la foi en une instance supérieure – un Dieu, une terre mère, un cosmos.
Du lourd, donc, en ces jours du début de l’été.
Vous avez deviné juste : c’est Altötting – le nom d’une ville bavaroise – qui est le fruit d’une coproduction entre l’ONF et l’animateur allemand Andreas Hykade qui, a de plus, dans ce film, collaboré avec la Portugaise Regina Pessoa, prodige de la gravure, technique à la base du film. Dans Altötting, créé en animation 2D, Hykade fusionne deux approches techniques établies dans ses films précédents : un minimalisme radical et un style plus complexe.
Ces deux styles soulignent avec brio l’opposition émotionnelle créée par l’intrigue : À Altötting, un jeune garçon tombe amoureux de la Vierge Marie à l’intérieur d’une chapelle où sa mère l’emmène pour faire ses prières. Si la chapelle et la routine du couvent sont exprimées par le recours à un monde en noir et blanc résigné et silencieux, peuplé par des bonhommes allumettes rigides et dépourvus de tous détails, la rencontre avec la sainte coïncide avec l’apparition d’un monde doux, souple et lumineux, un monde dont l’opulence est mise en relief par l’air Ave Maria. Comment mieux exprimer l’effet de l’amour – tantôt lumière vivifiante, tantôt éblouissement trompeur, jusqu’à ce qu’il disparaisse ? La découverte du secret de la beauté éternelle de sa madone ramènera l’amoureux à la triste réalité.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Altötting n’est donc pas l’éloge du culte de Marie, mais la remise en question de la foi naïve face à un monde brutal auquel on est confronté à l’âge adulte. Film aux éléments autobiographiques – Altötting étant la ville de naissance du cinéaste dont la mère estdécédée durant la réalisation du projet –, ses images retentissent en nous.
Tout comme Altötting, la dernière création de Jean-François Lévesque, Moi, Barnabé, questionne la foi en Dieu en prenant pour exemple un prêtre hanté par des doutes qu’il tente de faire taire dans l’alcool. « J’ai voulu revisiter les croyances, la spiritualité dont j’ai hérité par mon éducation. Je suis né dans une famille catholique et, un jour, je me suis fermé à cet aspect, comme le font beaucoup d’adolescents », relate le cinéaste. Pourtant, comparativement à Altötting , l’approche technique est tout à fait différente. Moi, Barnabé, une animation traditionnelle 2D, est un mélange entre la technique image par image et le recours à des marionnettes – mais quelles marionnettes, je vous dis, car elles sont d’un raffinement incroyable ! À ce propos, ne manquez pas le making-of du film qui vous permet d’observer l’artiste en action :
Quoique beaucoup moins évident que dans Altötting, Moi, Barnabé établit un contraste fin entre le catholicisme patriarcal représenté par ses institutions et ses objets de foi (l’église, le catéchisme) et un « rapport à la Terre mère », comme le formule le réalisateur. Il s’agit d’un lien profond avec la nature auquel Barnabé cogite le lendemain d’une tempête cauchemardesque lors de laquelle un coq horrifiant – aussi déstabilisant que les fantômes que Scrooge rencontre dans le fameux Conte de Noël de Charles Dickens – venait hanter le prêtre. Illusions en état d’ivresse ou signes célestes pour mettre à l’épreuve la croyance de Barnabé ? Si, au début, on observe le clerc alcoolisé grimper sur le clocher de son église – symbole de l’hubris, peut-être ? –, la fin nous le présente tout en bas, allongé sur le dos dans l’herbe – endroit parlant d’un nouveau commencement en toute modestie. C’est clair comme le jour : cet animateur est d’un talent stupéfiant.
Pour terminer, L’abeille et l’orchidée, le quatrième « invité » canadien au festival d’Annecy est le plus court dans notre listing. Or, son objectif n’est rien d’autre que de proposer une expérience immersive de réalité virtuelle censée rendre palpable l’idée de Darwin selon laquelle seulement les êtres vivants capables d’improviser au mieux survivront aux ennemis et aux changements environnementaux. Note importante pour le spectateur : selon ses producteurs, la technique dans L’abeille et l’orchidée, qui utilise l’animation image par image, des marionnettes de pâte à modeler et un système 3D hautement complexe, ne jouerait à plein qu’en position debout. Position qui est également, ajoutons-le, la position idéale pour une standing ovation…
Voyage nostalgique dans la patrie, confrontation à la part sombre en nous, remise en question de la propre foi et réorientation identitaire… Dans Physique de la tristesse, Altötting, Moi, Barnabé et L’abeille et l’orchidée le Canada porte un regard profondément penseur sur son passé, individuel et collectif, marqué par le catholicisme et la quête identitaire d’un pays multiethnique. Tant au niveau esthétique qu’au niveau thématique, il s’agit d’une sélection digne d’Annecy.
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