« Ce sont de mauvais hommes. Des hommes comme ça, il faut les tuer. »
Ce film raconte l’histoire de Xalko, village natal de Sami Mermer. L’un des rares villages kurdes situés au cœur de l’Anatolie centrale en Turquie. Aujourd’hui déserté par ses hommes qui ont tous émigré en Europe ou en Amérique, Xalko existe encore grâce à celles et ceux qui gardent le fort tout en espérant le retour de leurs maris et de leurs pères absents, qui parfois ne reviennent jamais ou alors que pour quelques jours seulement en été.
Ce documentaire observe la vie qui se poursuit à Xalko et questionne l’avenir de ce village menacé par l’exode. Ultimement, Xalko pose un regard insolite sur la migration du point de vue de ceux qui restent.
Dans ce long métrage documentaire, les réalisateurs, Sami Mermer et Hind Benchekroun, s’intéressent à l’envers de la migration. En posant son regard sur son village natal, Sami Mermer révèle les visages des autres – de ceux qui subissent le départ des êtres chers. Dans Xalko, ces visages sont féminins, ce sont les voix des femmes que Mermer fait entendre.
Fidèle à ses thèmes favoris, le réalisateur explore de nouveau la question de la migration dans son dernier documentaire. Cette fois, pour ce faire, il retourne à ses propres racines : Xalko, village kurde de son enfance. Alors que dans ses précédents documentaires – La boîte de Lanzo (2006) et Callshop Istanbul (2016) – Mermer s’intéresse au phénomène de la migration à travers l’expérience d’étrangers, le présent long métrage présente une incursion personnelle dans l’histoire du documentariste. En effet, ce sont des membres de sa famille qui sont l’objet du film. Xalko raconte les nombreux départs vécus par les femmes de la famille Mermer. Les hommes ayant quitté le village dans l’espoir d’une vie meilleure ailleurs, les femmes deviennent responsables de leur propre destinée. Certes, lorsqu’il est question de migration, l’intérêt est porté sur les raisons ayant poussé au départ ainsi qu’au sort réservé à ceux qui sont partis. Toutefois, Mermer et Benchekroun, dans leur documentaire épuré et modeste, donnent la parole aux autres – à ceux pour qui le temps s’est arrêté en attendant le retour de l’être aimé.
Les hommes du village partis pour subvenir aux besoins de leur famille, les femmes n’ont d’autres choix que de reprendre les rênes de la maisonnée. Ce sont elles qui s’occupent des enfants, de la maison, des animaux, de l’argent… « [A]utant d’activités qui sont traditionnellement réservées aux hommes », comme le mentionne Sami Mermer.
Bien que souvent, les maris et les pères quittent en espérant un futur opulent pour les leurs, l’Europe est un idéal qui se transforme rapidement en un ailleurs dangereux, un lieu de perdition. C’est ainsi que nombreux maris s’en étant allés vers les frontières européennes dans l’espoir de mieux pour leur femme et leurs enfants se retrouvent plutôt mariés de nouveau, élevant une nouvelle famille au détriment de celle qu’ils ont quittée.
La route n’est pas sans embûches puisque des vies sont perdues; c’est les larmes aux yeux que le spectateur assiste – impuissant – à l’émouvant, mais fort sobre, témoignage d’un villageois dont le frère meurt dans ses bras alors que les deux tentaient de traverser les frontières.
Amertume, colère et incompréhension teintent les relations entre les femmes de Xalko et leurs hommes. C’est en suivant le quotidien de nombreuses femmes – Tante Elif, Daime, Zeynep, Ayse, Figen… – que les documentaristes montrent les relations conflictuelles. Pour le réalisateur, les hommes exilés sont nombreux : « Disséminés dans la diaspora mondiale, ils reviennent parfois l’été, le temps d’un mariage, d’une naissance ou de funérailles. D’autres ne reviennent jamais, mais sont espérés en silence. » Sans narration superflue – Mermer ne se permettant que quelques questions afin de relancer les conversations –, le documentaire laisse plutôt toute la place aux protagonistes. Ce sont leurs pensées – sans filtre – auxquelles le spectateur fait face. Le ressentiment palpable à travers les quelques échanges entre l’Oncle Köse qui revient au village pour quelques jours et sa femme Daime, complètement détachée de cet homme qu’elle ne connaît pas, illustre le fossé creusé par le temps. Le mépris de Daime est tel qu’elle va même jusqu’à souhaiter sa propre mort avant celle de son mari.
L’inconnu qui revient, c’est cet homme qui est parti alors que sa fille n’était que bébé. Cet inconnu, c’est l’homme qui ne revient qu’aux dix ans. Cet inconnu, c’est ce mari parti en emportant la jeunesse de sa femme. Pourtant, cet inconnu souffre aussi énormément. Dépossédé de sa terre d’origine, il demeure étranger dans son nouveau pays. L’ailleurs n’est pas ce que l’un s’imagine.
Le documentaire accuse un rythme assez lent, passant d’une scène du quotidien à une autre. Ces longueurs rappellent le quotidien du village où le temps semble s’être figé, où certaines semblent emprisonnées par une routine imposée. Dans ce lieu où les événements se déroulent dans une lenteur déboussolante, quelques femmes s’opposent à la fatalité d’une vie « modeste ». Les femmes de Xalko tiennent le fort : puissantes, résilientes, amoureuses… Elles gardent espoir car, après tout, il est aussi possible de rêver de mieux sans toutefois parler d’ailleurs.
Note : 8/10
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