En juillet 2019, Fannie a rencontré Marco Scotuzzi, co-réalisateur, avec Andrea Brusa, du court métrage Magic Alps. Magic Alps sera présenté ici, sur le site du Petit Septième, dans le cadre d’Italie tout court ! du 6 au 8 septembre 2019. Un café avec Marco Scotuzzi a été l’occasion de discuter de son travail de réalisateur, du processus de création du film, de politique italienne et de ses projets à venir. Voici des grands extraits de cette discussion.
Vous pouvez écouter l’entrevue en italien / Potete ascoltare la versione in italiano
Fannie: C’est très gentil de t’être déplacé pour cette rencontre. Tu venais à Rome pour le travail?
Marco: Alors, je suis réalisateur, mais je ne fais pas seulement des courts métrages parce que je n’arriverais pas à gagner ma vie. Je travaille principalement dans le milieu de la publicité. Et avec Andrea Brusa, mon coréalisateur, et Andrea Italia, notre producteur, nous avons parti une petite entreprise il y a quelques années pour faire des courts métrages que nous produirions nous-mêmes. Les premiers était complètement autoproduits; les deux autres nous avons réussi à trouver aussi un peu d’aide externe. Cependant, moi, je suis aussi, depuis 5 ans… J’ai étudié en interprétation il y a 15 ans et, depuis 4 ans, je gère une école de théâtre à Milan où j’enseigne l’interprétation. Et donc, je fais des séminaires et des cours à travers l’Italie. Je suis très fier parce que c’est un aspect complémentaire au travail de réalisateur. Quand nous faisons des courts métrages, Andrea s’occupe davantage de la scénarisation et de l’aspect visuel et, ensemble, nous gérons l’interprétation des acteurs.
Fannie: Comment le travail et les connaissances du milieu théâtral influencent-ils ton travail de réalisateur?
Marco: À mon avis, c’est fondamental que les acteurs étudient un peu la réalisation et que le réalisateur étudie un peu l’interprétation, parce que ce ne sont pas deux professions séparées. Les acteurs et le réalisateur sont confrontés aux mêmes questions. Comment faire pour créer un meilleur personnage? Pour l’acteur, c’est utile de connaître un peu de technique pour comprendre les demandes du réalisateur. Un acteur qui n’a aucune idée de comment fonctionne le montage, de comment fonctionne le cinéma… Au théâtre à la limite ça peut fonctionner, mais au cinéma il y a des temps à respecter. À l’inverse, un réalisateur qui n’a jamais étudié l’interprétation, parle aux acteurs avec des adjectifs : « fais-moi cette scène agité ». Mais si on parle à un acteur avec des adjectifs, on obtiendra des clichés. On obtient de bien meilleurs résultats si on explique à l’acteur ce qui est arrivé avant et donc si on ne parle pas seulement avec des adjectifs. Donc, ce sont deux vases communicants.
Fannie: Donc, ça fait 5 ans que tu travailles avec Andrea Brusa?
Marco: Avec Andrea Brusa, en ce qui concerne les projets narratifs, oui. Pour les projets publicitaires, je travaille seul. Pour les projets narratifs, je n’ai fait que des courts métrages jusqu’à maintenant, 7 au total.
Fannie: 7, vraiment! Parce que j’ai fait quelques recherches et je n’en ai trouvé qu’un autre…
Marco: Respiro?
Fannie: Oui, Respiro!
Marco: C’est que les premiers n’étaient pas très bons! (Rires) Alors, Respiro oui, Magic Alps, et j’en ai fini un récemment qui s’appelle Muro bianco. Nous avons fini le montage il y a deux mois. Nous allons l’inscrire aux festivals prochainement. Andrea a aussi commencé l’écriture d’un long métrage, mais notre système d’autoproduction ne fonctionne pas pour un long métrage, parce que ça coûte trop cher, alors nous sommes en train de chercher des fonds.
Fannie: J’ai vu que Respiro traite aussi de l’immigration récente en Europe. Comment avez-vous décidé de traiter de ce thème ?
Marco: Alors, ça nous intéresse de parler de l’actualité. Puis, en Italie, c’est un enjeu particulièrement sensible parce que l’Italie a une position géographique importante de ce point de vue: c’est le dernier pays de l’Europe avant l’Afrique. Et, souvent, ce problème, cet enjeu, est abordé à la télévision ou dans les médias de manière très blanche ou noire. Tu es pour ou tu es contre. Au contraire, c’est beaucoup plus complexe que ça.
Donc, d’une part il y a l’actualité qui nous intéressait: de raconter en profondeur une petite histoire, que ce soit pour Respiro ou pour Magic Alps. D’autre part, ça nous intéressait de raconter l’histoire de personnes, des histoires cachées, peu connues, de personnes qui font des choix plus grands qu’elles-mêmes. Et leur rapport avec ces choix nous fait découvrir des choses nouvelles ou différentes sur eux. Face à ces choix, ces personnes sont capables de très grandes choses. Et, dans le phénomène de l’immigration, il y a souvent des personnes qui sont prêtes à tout pour changer leur vie, que ce soit négatif ou positif. Dans Magic Alps, le protagoniste, le directeur du centre d’accueil, une personne qui semble très froide, fait preuve de solidarité humaine lorsqu’il rencontre cet immigrant avec sa chèvre, en essayant de détourner les lois un peu.
Fannie: Alors, c’est le fait d’entendre parler de l’histoire de cet immigrant avec sa chèvre qui vous a donné l’idée d’en faire un film ou vous cherchiez déjà ce type d’histoires?
Marco: D’abord, nous cherchions des histoires dans lesquelles des personnes ordinaires sont confrontées à des choses plus grandes qu’elles-mêmes. Puis, nous avons trouvé l’histoire de cette chèvre, qui est vraiment arrivée en Italie en 2011, un fait divers qui était pas mal passé sous silence. Je ne veux pas donner le punch, mais la fin de la vraie histoire est tragique. Donc, toute l’histoire relatée dans le film est vraie, mais la fin est de notre invention. C’était une façon de finir de manière plus douce.
Fannie: Comment avez-vous procédé pour la scénarisation? Avez-vous fait des recherches pour savoir comment se déroulaient les rapports entre les immigrants et les autorités italiennes?
Marco: Oui oui oui! Parce que le protagoniste, qui s’appelle Hassan [Hassan El Aouni], est un gars qui a étudié à l’école de théâtre où j’enseigne. Et je suis très content de ça parce qu’il a été très bon. Et l’autre personnage, le directeur du centre, c’est Giovanni Storti, un acteur très reconnu en Italie, un acteur comique qui fait partie du trio Aldo, Giovanni et Giacomo. Un trio très populaire en Italie. Donc, avec lui qui joue depuis 30 ans, nous avons mis Hassan, qui a étudié le théâtre et joue depuis seulement un an. Et il a été très bon. Et Hassan, dans la vie, travaille justement pour le centre d’accueil des immigrants de Milan comme éducateur. Il est Marocain et Italien. Il travaille donc pour les immigrants qui arrivent en Italie et il connaît tellement d’histoires. Et sa femme, Zena [Zena abram], qui est Syrienne, est le personnage principal de Respiro. Et elle travaille aussi pour le centre d’accueil des immigrants de Milan. Donc, c’est un couple qui connaît bien les rapports entre les immigrants et les autorités italiennes. Et aussi les pratiques des immigrants pour détourner un peu l’attention des autorités.
Fannie: Alors, le scénario est écrit d’abord en italien et ensuite traduit en arabe et en anglais ou… ? C’est comment de tourner dans trois langues à la fois ?
Marco: Le scénario est en italien et puis, Hassan, qui connaît bien l’arabe, et sa femme Zena, nous ont aidés à bien le traduire. C’est en arabe quand le protagoniste s’adresse à sa chèvre parce que c’est leur langue.
Fannie: Ça aide beaucoup d’avoir dans votre groupe des personnes qui parlent à la fois italien et arabe…
Marco: Oui, c’est fondamental! Et puis, il y a plusieurs dialectes… Le protagoniste de Magic Alps est Afghan. Et, en Afghanistan, on parle le farsi, une langue un peu différente. Au final, on a décidé de le faire en arabe, parce que c’est une langue plus internationale.
Fannie: Et ce n’est pas un problème de ne pas comprendre ce que les artistes disent au moment de les diriger?
Marco: Je ne peux pas savoir s’ils ont dit la bonne chose! (rires) En réalité, oui. Parce que quand on l’a fait voir à différentes personnes arabes, ils nous ont dit que c’était bel et bien les bonnes. Cependant, comme je le dis souvent au théâtre, c’est beaucoup plus important « comment on dit» une réplique plutôt que « ce qu’on dit ». Par exemple « comment ça va? », il y a 50 manières de le dire. Il faut être beaucoup plus attentif à l’usage de la voix, au mouvement du corps, au regard, plutôt qu’à la réplique elle-même.
Fannie: Et dans Muro Bianco et votre prochain long métrage, quelles seront les thématiques abordées?
Marco: Muro Bianco est un court métrage, le dernier que nous avons fait. Il raconte l’histoire de la première école élémentaire italienne où on a trouvé de l’amiante dans les murs. Et donc, les enfants devaient s’y rendre avec des masques et des habits d’astronaute presque parce qu’ils ne pouvaient interagir avec les murs. Et l’État italien, plutôt que de changer les enfants d’école, ont créé un périmètre de sécurité dans les classes… Et, je ne vous donne pas le punch, mais les gens, qui n’avaient pas des bons rapports avant, collaborent et développent de la solidarité pour aider les enfants. Encore une fois, l’idée est de montrer que les gens sont amenés à faire des choses plus grandes qu’elles-mêmes devant un problème plus grand.
Et le long métrage, qui s’intitulera Le voci sole [Les voix seules], raconte l’histoire d’une opératrice d’appels érotiques, qui n’a pas de famille ni d’amis et qui travaille seulement avec sa voix. On raconte les 12 heures de cette personne avant qu’elle ne subisse une intervention chirurgicale à la langue qui lui fera perdre l’usage de la parole et l’oblige à choisir une voix digitale.
Fannie: Comment avez-vous eu cette idée ?
Marco: Je dois dire qu’Andrea est vraiment génial pour trouver des histoires fantastiques à raconter ! On a fait une tonne de recherches, dans les émissions de télé notamment… Il y a une émission en Italie qui s’appelle Le Iene, sur l’actualité, qui propose des trucs parfois vraiment intéressants.
Fannie: Alors cette histoire est aussi inspirée d’un fait vécu ?
Marco: Pas autant que Magic Alps, parce que presque tout dans Magic Alps était basé sur le réel. Mais nous avons vu quelques histoires qui nous ont permis d’imaginer celle-là. Il n’y a pas une histoire vraie à l’origine de ce film.
Fannie: Pourquoi le titre de Magic Alps est-il en anglais ?
Marco: On s’est longtemps posé la question. En fait, puisque ça touche des peuples du Moyen Orient, de l’Afghanistan, où il y a beaucoup de bergers qui n’ont pas nécessairement la télé, on s’est dit que le mot « Alps » serait probablement plus familier, qu’il serait déjà venu à leurs oreilles, davantage que « Alpi ». Ça nous plaisait que le protagoniste puisse penser rejoindre, à l’étranger, un lieu qui lui rappelle sa maison. Et qu’affrontant un long voyage, où il connaît peu de mots en anglais qui lui permettent de communiquer avec les différents intervenants, on se disait que de connaître le lieu de la destination en anglais était plausible, davantage qu’en italien. L’anglais est une langue plus universelle. Et cette discussion arrive en grande partie dû au fait que je travaille avec Andrea. C’est très productif. On réfléchit avec deux têtes. C’est très stimulant.
Fannie: C’est toujours mieux de réfléchir à deux !
Marco: Oui, à moins d’être un génie ! Andrea et moi, nous ne sommes pas deux génies! (Rires) Comme Xavier Dolan par exemple… Il fait la musique, la scénarisation, la réalisation. Il a un talent fou! Son dernier film, La mia vita insieme a John F. Donovan (The Death and Life of John F. Donovan), ne m’a pas beaucoup plu, des belles choses, mais pas le meilleur. Mais bon, il fait tout !
Fannie: Je ne l’ai pas vu encore! [Au moment de l’entrevue, en juillet 2019] Et c’est vrai il fait tant de choses et tant de films à la fois.
Marco: Oui, et il est si jeune. Il n’a pas 30 ans! Un petit génie! À ce compte, Andrea et moi on est vieux à 36 ans! (Rires)
Fannie: Donc les films de Dolan sont traduits en italien?
Marco: Oui. Je pense depuis Mommy.
Fannie: Ça t’a plu?
Marco: Oui, beaucoup. Aussi Juste la fin du monde, magnifique!
Fannie: Il y a d’autres réalisateurs qui t’influencent ou dont tu aimes beaucoup le travail?
Marco: Oui, parce qu’Andrea et moi on a étudié en cinéma. J’ai fait ma thèse sur Jim Jarmusch, un réalisateur qui me plaît beaucoup parce qu’il arrive à parler de drames avec légèreté. C’est un peu ce qu’on a essayé de faire avec Magic Alps. Son oeuvre est un peu plus lourde, mais quand même. C’est quelque chose qui m’inspire beaucoup.
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Pour voir comment l’histoire de ce réfugié afghan et de sa chèvre est traitée avec sensibilité et douceur par Marco Scotuzzi et Andrea Brusa, regardez Magic Alps, diffusé ici, sur Le Petit Septième, dans le cadre d’Italie tout court!, du 4 au 6 octobre.
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