「なかなか11歳でこういう文章を書けること 言えないんです ただですね こういうタイトルなんですか『みなしごになってみたい』。」
[Ce n’est pas facile d’écrire quelque chose comme ça à l’âge de 11 ans, mais le titre est : Je voudrais être orpheline.]
Banlieue de Tokyo, 1987. Keiji (Lily Franky), le père de Fuki (Yui Suzuki), 11 ans, lutte contre une maladie incurable et multiplie les séjours à l’hôpital. Sa mère, Utako (Hikari Ishida), est constamment stressée par les soins qu’elle doit prodiguer à Keiji tout en travaillant à temps plein. Laissée seule avec son imagination débordante, Fuki est fascinée par la télépathie et s’enfonce toujours plus profondément dans son propre monde imaginaire…
Avec Renoir (ルノワール), Chie Hayakawa exprime les fluctuations émotionnelles naturelles d’une jeune enfant et, à travers les interactions entre la famille de la fille et les personnages qui l’entourent, tente soulève la question de savoir si l’on peut vraiment comprendre la douleur d’autrui.
Un des thèmes souvent abordés dans le cinéma japonais est la solitude. Dans Renoir, chaque membre de la famille centrale de est habité par des sentiments de peur, de désolation et d’irritation. Mais ils ne se comprennent pas, sont incapables de se parler et finissent par se sentir extrêmement seuls. Et comme le réconfort ne peut être trouvé au sein de la famille, chacun cherche une source extérieure de compagnie.
Le père, qui est sur le point de succomber à un cancer, cherche son réconfort dans des médecines que l’hôpital ne lui offre pas. Et comme la mort est proche, il suppose qu’il peut bien gaspiller son argent pour tenter quelque chose puisque, de toute façon, il ne sera plus là pour le dépenser. Sa femme, elle, trouve le réconfort dans un groupe d’aide auquel elle est d’abord forcée de participer. C’est l’animateur du groupe qui lui procurera un certain réconfort, malgré qu’il soit déjà marié.
Pour Fuki, ce réconfort se trouve d’abord dans son imaginaire. On pourrait la qualifier de quelque peu lunatique, toujours à imaginer toutes sortes de choses, ce qui ne semble pas plaire beaucoup aux gens qui l’entourent. Dans le Japon des années 1980, disons que ce n’était pas un trait de caractère très respectable, même pour une enfant de 11 ans. Ces rêvasseries rendent le début du film un peu dur à suivre d’ailleurs. Disons que pendant les 30 premières minutes, il faut rester attentif sinon on risque de s’y perdre. Mais, qui dit enfant rêveur, dit parfois aussi prendre des décisions qui pourraient s’avérer dangereuses. Et comme Fuki se retrouve souvent seule, sans parents pour s’occuper d’elle, elle laisse non seulement son imagination, mais son besoin d’affection la mener dans des situations risquées. C’est encore plus vrai lorsque l’école se termine et que sa seule bonne amie déménage dans une autre ville.
La manière dont Hayakawa dépeint les 3 membres de la famille offre au spectateur un chemin vers sa propre solitude intérieure. Non, on ne se retrouve pas à pleurer pendant 120 minutes. Mais le visionnement est accompagné d’une sorte de mélancolie qui nous rappelle nos propres moments de solitude. Pourquoi ça résonne autant?
« Now that I’m nearing the age of my parents when I was a growing child, I can vividly relate to the solitude the father must have felt, unable to open up his heart to his family, and the solitude the mother must have felt, suffering from her inability to control her emotions. I feel I’ve now gained the capacity to look sympathetically at my younger life haunted by anxiety and loneliness, and to illustrate with compassion our human imperfections and erratic behavior. »
[Maintenant que j’approche de l’âge de mes parents lorsque j’étais enfant, je peux parfaitement comprendre la solitude que le père a dû ressentir, incapable d’ouvrir son cœur à sa famille, et celle de la mère, souffrant de son incapacité à contrôler ses émotions. Je sens que j’ai désormais acquis la capacité de porter un regard empathique sur ma jeunesse, hantée par l’anxiété et la solitude, et d’illustrer avec compassion nos imperfections humaines et nos comportements erratiques.]
Oui, on comprend les choses autrement à mesure qu’on prend de l’âge et de l’expérience de vie.
Le personnage principal de cette œuvre est une fille de 5e année qui rend régulièrement visite à son père hospitalisé et éprouve divers sentiments à son égard alors qu’il se dirige vers la mort. Comment réagit-on à ce genre de lente mort lorsqu’on est un enfant?
Encore là, c’est dans sa propre enfance que la réalisatrice a trouvé son inspiration.
« Dans ma jeunesse, je n’ai pas pu traiter mon père avec gentillesse alors qu’il souffrait d’un cancer. J’étais assise à ses côtés tandis qu’il craignait la mort et que son corps était rongé par la douleur, me demandant quelle émission j’allais regarder ce soir-là. Lorsqu’on lui a annoncé le peu de temps qu’il lui restait à vivre, j’ai imaginé que les gens seraient gentils avec moi, car j’avais perdu mon père. Même s’il était à l’article de la mort, j’étais absorbée par le fait d’être l’héroïne de ma propre pièce tragique. »
Bien que ce genre de façon d’agir nous donne envie d’en vouloir à la fillette, lorsqu’on regarde l’œuvre de Hayakawa, on ne peut que comprendre que Fuki n’est finalement qu’une enfant qui ne comprend pas toutes les implications de la vie. À 11 ans, elle ne peut pas comprendre ce qui se cache derrière la mort de son père. Elle ne peut pas comprendre pourquoi sa mère se rapproche tant d’un autre homme. Elle ne peut même pas comprendre pourquoi elle prend des risques dangereux pour rencontrer un pur inconnu. La solitude rend parfois nos décisions illogiques, insensées.
Encore là, la réalisatrice trouve le ton juste pour faire passer les sentiments de sa jeune héroïne. Jeune actrice qui, d’ailleurs, est bourrée de talent. Sa performance est parfaitement juste.
Tout comme elle l’avait fait dans le magnifique Plan 75, la réalisatrice offre une œuvre touchante, douce-amère et remplie de réalisme. Elle dépeint des situations tragiques sans tomber dans le mélodrame tout en donnant une belle profondeur à ses personnages. Elle parvient à donner une véracité à tous ses personnages, peu importe leur âge.
Quant au titre du film, il fait simplement référence à une œuvre qui marque la jeune fille (œuvre qui l’avait elle-même marqué dans sa jeunesse) : « La Petite Irène » de Pierre-Auguste Renoir. Un joli tableau d’ailleurs.
Ainsi, avec Renoir, Chie Hayakawa dépeint un voyage poétique et fascinant sur la résilience, le pouvoir de guérison de l’imagination et la difficulté d’une famille traumatisée à se connecter.
Renoir est présenté au TIFF les 6 et 11 septembre 2025.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième