« Je ne te voulais pas. Ta mère m’a payé. Tu comprends ça? »
Version sinistre du conte classique de Cendrillon, dans lequel on suit Elvira (Lea Myren) alors qu’elle se prépare à gagner l’affection du prince à tout prix. Dans un royaume où la beauté est un métier cruel, Elvira rivalisera avec la belle et enchanteresse Agnès (Thea-Sofie Loch Næse) pour devenir la reine du bal.
Avec The ugly stepsister (Den stygge stesøsteren), Emilie Blichfeldt offre une réinterprétation macabre et actuelle du conte Cendrillon. Un film qui dérange et qui frappe…
Le parcours d’Elvira met en lumière l’angoisse d’adhérer à des normes physiques inaccessibles. La réalisatrice s’inspire de l’approche de David Cronenberg pour ce genre : les transformations corporelles servent de métaphores aux défauts, aux dilemmes et aux peurs intérieures de ses personnages, voire de commentaire politique sur l’impact de la société sur l’individu.
La réalisatrice frappe fort avec la thématique de la recherche du corps « parfait ». L’histoire s’inspire évidemment de Cendrillon, en particulier de la version des frères Grimm, beaucoup plus macabre que celle de Disney. C’est Elvira, une des « méchantes » belles-sœurs de Cendrillon qui est au cœur de ce désir de beauté.
Pour y parvenir, tout sera tenté. Du simple régime, à la mutilation corporelle, en passant par la chirurgie et l’ingestion de substances nocives. Bien que le film soit situé dans le « il était une fois » quelque part probablement dans les années 1800, le film s’inspire autant de cette époque que de l’ère moderne. Ce choix souligne à quel point les thèmes du film, bien que résonnants avec les enjeux actuels, sont véritablement intemporels, ancrés dans des traditions culturelles qui continuent de façonner notre vision de la beauté et de l’identité.
Les scènes de mutilations et de chirurgie sont marquantes comme elles doivent l’être afin de frapper l’imaginaire du spectateur. On les utilise non seulement pour créer un film qui effraie, mais aussi pour critiquer notre société qui met une pression énorme sur les femmes afin d’obtenir une apparence qui leur permettra de se faire une place dans le monde.
Là où ce film prend toute son originalité et sa force, c’est dans le fait qu’il ne place pas Cendrillon est les belles-sœurs en totale opposition comme le fait Disney ou encore les Frères Grimm en donnant un rôle de gentille versus méchante aux personnages. Blichfeldt opte plutôt pour un réalisme magique et donne des personnalités plus complètes et complexes à ses jeunes personnages.
Ainsi, Cendrillon n’est pas seulement un idéal; c’est une fille aux secrets inconnus de Grimm, Perrault ou Disney. Mais la réalisatrice ne renverse pas pour autant le récit pour faire de la demi-sœur l’héroïne ou de Cendrillon la méchante. Elle garde l’idée d’une Cendrillon plutôt bonne, mais en donnant une personnalité à la demi-sœur qui provoque empathie, inconfort et réflexion chez le spectateur.
Walt Disney, s’inspirant de la version française de Charles Perrault, a consolidé l’idée que beauté intérieure et beauté extérieure sont intrinsèquement liées : la gentillesse est le propre du beau, tandis que la laideur est synonyme de cruauté. On se moque des demi-sœurs pour leurs grands nez, leurs grands pieds et leur croyance illusoire de pouvoir gagner les faveurs du prince. Mais cette vision ne colle pas à la réalité, et c’est pourquoi Blichfeldt a pris un meilleur chemin.
« Enfant, je partageais ce point de vue. Je rêvais d’être Cendrillon, riant de leur maladresse. Mais relire Grimm à l’âge adulte, notamment la scène où l’une des demi-sœurs se coupe les orteils pour enfiler la pantoufle de verre, a changé mon point de vue. Pour la première fois, j’ai compris son désespoir. Les moqueries et les rires froids à ses dépens me semblaient injustes. Moi aussi, j’ai rêvé d’être choisie – que ce soit par un prince ou simplement par un petit ami – et j’ai ressenti la douleur de ne pas correspondre à des critères impossibles. Malgré tous mes efforts pour me conformer, je n’ai jamais pu me mettre à la place de Cendrillon, car je suis aussi une demi-sœur. »
Et ne pas donner un rôle complètement méchant n’est pas fréquent dans le cinéma d’horreur. On choisit souvent la facilité. Ici, on choisit plutôt de donner vie à un personnage vrai.
L’esthétique du film s’inspire fortement du cinéma de contes de fées d’Europe de l’Est des années 1960 et 1970, célébré pour son réalisme brut, ses décors gothiques, ses effets spéciaux et son éclairage naturel. Ces films trouvent un équilibre unique entre réel et irréel, créant un réalisme étrange et enchanté. On peut le voir dans le choix des décors, et des lieux où se déroule l’histoire.
Le résultat est un film qui joue sur les silhouettes emblématiques de Disney pour Cendrillon et les demi-sœurs, liant ces créations au milieu/fin des années 1800, lorsque la chirurgie esthétique commençait à émerger dans la pratique médicale. Imaginez, vous faire refaire le nez sans les produits pour vous endormir et sans les scalpels modernes. Juste ça, c’est effrayant.
Vraiment un film qui vaut le détour!
Bande-annonce
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