« Ugly things can be beautiful. »
[Les choses laides peuvent être belles.]
Créateur d’une absolue liberté, David Lynch a construit son œuvre comme une énigme à déchiffrer entre rêve et réalité. Réalisateur culte dès ses premiers films (Eraserhead, Elephant Man, Blue Velvet), Lynch bouleverse à jamais l’univers de la télévision avec sa série Twin Peaks, avant de s’attaquer aux mensonges d’Hollywood dans Mulholland Drive. Retraçant la vie du cinéaste le plus influent de sa génération, ce documentaire explore le sens caché d’une filmographie implacablement cohérente et plonge sous la surface sombre et grouillante de l’American Dream.
« Il est impossible de raconter la vie d’une personne. Le mieux que l’on puisse espérer, c’est de capturer le « Rosebud », le mystère de chacun […] ». Cette citation de David Lynch inaugure le début de ce documentaire consacré au grand créateur, sur fond de rideaux rouges, l’un des symboles puissants de sa filmographie puissante et labyrinthique.
Le décès de David Lynch le 16 janvier dernier a entraîné une vague importante de réactions au sein des médias, et ce, particulièrement en Amérique du Nord et en Europe. En effet, si son œuvre est plus ou moins appréciée par le public du fait de ses aspects complexes, voire franchement obscurs, elle ne laisse personne indifférent. Au sein de ce documentaire, Stéphane Ghez aborde la filmographie de David Lynch par le biais des symboles qui la parcourent, et invite de nombreux proches de cet artiste multiforme à témoigner.
Kyle MacLachlan, l’un de ses acteurs fétiches, ouvre le bal et évoque ses souvenirs, assis dans un diner devant une tasse de café, « a damn good coffee! ». De la gourmandise du personnage de Dale Cooper qu’il interprétait dans la série Twin Peaks, au goût de David Lynch pour les formes et les textures, il n’y a qu’un pas. Laura Dern évoque ensuite son attrait pour les années 50, « a deep connection to the childhood », qui seront notamment retranscrites au sein de son œuvre culte sortie en 1986, Blue Velvet. La première épouse du cinéaste, Peggy Reavey, se souvient de ses premières impressions lors de leur rencontre au sein de la Pennsylvania Academy of Fine Art. « Charming and talented », il se destinait initialement à la peinture, activité qu’il a poursuivie tout au long de sa carrière, en plus de la pratique de la musique et de la photographie, sans compter de multiples autres activités créatives.
Viennent ensuite les souvenirs de l’élaboration d‘Eraserhead, son premier long-métrage tourné en noir et blanc alors qu’il était encore étudiant, et sorti sur les écrans en 1977. Les différents intervenants mettent par ailleurs en exergue la capacité que ce cinéaste avait de développer des relations de confiance sur la durée : que ce soit avec des actrices et des acteurs, des compositeurs, ou des membres de l’équipe technique.
S’il existe un cinéaste capable de retranscrire la puissance des rêves et de l’inconscient au cinéma, il s’agit bien de David Lynch. Certes, Luis Buñuel et Alfred Hitchcock en ont repris certains motifs au cours de leur carrière, surfant sur la vague du surréalisme, mais sans aller aussi loin que lui, en ce qui concerne la représentation formelle. Il est surtout parvenu à bousculer les codes dramaturgiques classiques.
En effet, et en particulier au sein de Lost Highway (1997), Mulholland Drive (2001) et Inland Empire (2006), nous plongeons dans un univers où la « noirceur du monde », d’après les mots du réalisateur, est dévoilée sans concessions. Par ailleurs, en tant que spectateurs, la confusion entre rêve et réalité se brouille. Que signifie cette disparition dans Lost Highway? Est-ce une vision rêvée de l’héroïne au sein de Mulholland Drive? Enfin, où se situe la réalité dans Inland Empire?
Pacôme Thiellement, spécialiste de Twin Peaks, analyse l’œuvre de David Lynch et, plus spécifiquement, cette série. Selon lui, elle dévoilerait « notre situation dans le monde sous la forme d’une énigme ». Nous savions ce grand créateur peu enclin à dévoiler les mystères de ses œuvres. A l’inverse, il semblait particulièrement aimer distiller au compte-gouttes divers symboles, et parfois nous perdre… Mais ne serait-ce pas là l’une des manifestations de l’inconscient?
David Lynch, une énigme à Hollywood est présenté au Festival International du Film sur l’Art, le 19 mars 2025.
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