Top 5 2024 Solenne - Une

Top 5 de Solenne : Un balancier frénétique entre le sublime et le dérisoire

2024. Une année où le cinéma a oscillé entre la grâce et le chaos, le sublime et le dérisoire. Chaque film était une porte ouverte sur l’inattendu, oscillant entre l’éblouissant et l’amer, le poignant et l’absurde. Ce fut une année où les émotions se sont mêlées, brouillant les frontières entre le génie et l’imperfection.

D’habitude, établir un classement s’impose naturellement. Pas cette fois. Cette année, les lignes se sont effacées, et chaque expérience cinématographique a pris un sens unique. À la place d’un top traditionnel, je vous propose deux facettes : cinq films qui m’ont marquée profondément, et cinq déceptions qui, malgré leurs failles, m’ont poussée à réfléchir autant qu’à ressentir.

2024 n’a pas été une année comme les autres. C’était une renaissance pour le cinéma, un puits d’audace et de renouveau. Les récits se sont risqués sur des terrains inconnus, les voix se sont fait entendre avec une intensité rare. Cette année a rappelé à quel point le cinéma est vivant, qu’il peut encore surprendre, déranger, émouvoir – et surtout, se réinventer.

Cette sélection est bien plus qu’un simple journal de bord. C’est une ode à une année où le grand écran a rayonné comme un phare, éclairant nos doutes, sublimant nos espoirs. 2024 a été la preuve vibrante que le cinéma, dans toute sa dualité, reste une force qui traverse le temps.

Partie I : le meilleur

1. THE SUBSTANCE – CORALIE FARGEAT 

Dans The Substance, Coralie Fargeat nous plonge dans la chute d’Elisabeth Sparkle, une actrice autrefois vénérée, aujourd’hui reléguée aux marges par une industrie obsédée par la jeunesse. Cherchant désespérément à se réinventer, elle s’abandonne à une drogue clandestine capable de créer une version plus jeune d’elle-même : Sue.

The Substance - Entre fascination et répulsion

Ce renouveau, d’abord salvateur, se transforme vite en cauchemar. Les effets secondaires s’insinuent, brouillant les contours de son identité et révélant les dangers de cette quête désespérée de perfection. Dans ce ballet de métamorphoses, le film explore les obsessions contemporaines pour l’apparence et le contrôle, transformant le corps en véritable champ de bataille.

Un des meilleurs body-horreurs de ces dernières années, The Substance transcende les frontières du genre. À la croisée de Frankenstein, Dr Jekyll and Mr Hyde et Society, il dissèque avec une précision troublante les liens entre ambition, transformation et aliénation.

Avec une esthétique oppressante et une héroïne magnétique, Coralie Fargeat signe un film qui dérange autant qu’il fascine. Ses images, puissantes et déroutantes, hantent longtemps après la fin.

Retrouvez ma critique analytique complète ici.

Bande-annonce  

2. MEMOIR OF A SNAIL – ADAM ELLIOT 

Max et Mary, ça vous dit quelque chose? Si ce n’est pas le cas, il est temps de plonger dans l’univers singulier d’Adam Elliot. Cette année, il revient avec Memoir of a Snail, une œuvre délicatement tissée d’humour noir et de mélancolie, qui confirme son talent unique à raconter des histoires d’une humanité désarmante.

À travers le regard de Grace Pudel, une jeune fille passionnée de lecture et collectionneuse d’escargots, le film explore les cicatrices laissées par la perte et les méandres du chemin vers la reconstruction. Lorsque la mort de son père l’arrache à son frère jumeau Gilbert, Grace est projetée dans une famille d’accueil à l’autre bout de l’Australie.

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Photos : Métrople films distribution

Dans un univers de stop-motion à la fois brut et poétique, Adam Elliot fait de chaque détail un vecteur d’émotion. Les escargots de Grace, petites métaphores de temps et de résilience, deviennent le fil conducteur d’un récit où chaque geste et chaque mot résonnent avec une douceur poignante.

Entre éclats d’humour absurde et instants de pure tendresse, Memoir of a Snail capture la beauté fragile qui persiste, même dans les moments les plus sombres. Une œuvre lumineuse et authentique, qui nous rappelle que, malgré tout, il est possible d’avancer – doucement, au rythme que la vie nous dicte. Mais au fond, qu’est-ce que la résilience, sinon une façon de réinventer le temps qui nous est donné?

Bande-annonce  

3. CIVIL WAR – ALEXANDRE GARLAND

Un film de guerre dans mon top 5? Je ne l’aurais jamais cru. La bande-annonce ne m’avait pas convaincue, et je n’étais pas spécialement curieuse. Mais parfois, les plus grandes œuvres se cachent là où on les attend le moins. Civil War d’Alex Garland est de celles qui bouleversent, transcendent son genre pour devenir un miroir puissant de notre époque.

Dans ce récit dystopique, Garland imagine une Amérique fracturée où les tensions sociales et culturelles éclatent en une guerre civile terriblement plausible. Mais Civil War dépasse largement le cadre du film de guerre classique. Il s’enracine dans l’intimité, disséquant les liens familiaux, les choix individuels, et la manière insidieuse dont les idéologies s’infiltrent dans le quotidien.

Civil War - Images METROPOLITAN FILM & VIDEO
Crédit photo : METROPOLITAN FILM & VIDEO

La photographie, signée Rob Hardy, joue un rôle central, presque organique. Chaque cadre, brut, mais minutieusement composé, capte la froideur des paysages ravagés et l’intensité des regards. Les tons désaturés traduisent l’épuisement d’un monde en ruines, tandis que des éclats de lumière isolés révèlent de fugaces moments d’humanité. Hardy manie l’ombre et la texture avec une rare maîtrise, conférant au film une dimension presque tactile, où chaque image déborde d’émotion et de tension.

Garland nous plonge dans un univers oppressant, où la mise en scène immersive nous fait ressentir le poids de chaque décision, de chaque perte. Les performances, d’une intensité déchirante, insufflent une humanité troublante aux personnages. Kirsten Dunst, en particulier, signe un retour mémorable, rappelant pourquoi elle est une actrice incontournable.

Brutal, poignant, et incroyablement pertinent, Civil War n’est pas qu’un film. C’est une expérience viscérale, une réflexion brutale sur nos propres divisions, et un avertissement silencieux sur ce qui pourrait advenir. Et si le cinéma avait, encore une fois, le pouvoir de nous faire regarder là où nous préférons détourner les yeux?

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4. THE ZONE OF INTEREST  – JONATHAN GLAZER

Quoi? Un autre film de guerre? Solenne, qu’est-ce qui t’arrive? Pourtant, The Zone of Interest de Jonathan Glazer transcende les cadres traditionnels du genre pour livrer une expérience cinématographique unique et glaçante. Ce n’est pas seulement un film sur la guerre, mais une exploration effroyable de la banalité du mal, vue à travers les yeux de ceux qui l’ont orchestrée.

Inspiré du roman éponyme de Martin Amis, le film suit le quotidien presque absurde de Rudolf Höss, commandant du camp de concentration d’Auschwitz, et de sa famille, vivant juste à côté du camp. La proximité entre leur vie bourgeoise parfaitement ordonnée et les horreurs inimaginables qui se déroulent derrière les murs d’Auschwitz créent un contraste insoutenable. Glazer ne montre pas directement les atrocités : elles se devinent, se ressentent dans chaque détail, dans chaque silence, dans chaque regard détourné.

Zone of interest - ENTRACT FILMS
Crédit photo : ENTRACT FILMS

La photographie, signée Łukasz Żal (Cold War), joue un rôle central dans cette mise en tension. La caméra fixe et distante, souvent cadrée comme un tableau, capte l’horreur de manière indirecte, laissant le hors-champ devenir le véritable terrain de l’effroi. Les couleurs douces et la lumière naturelle donnent un aspect presque idyllique à la maison des Höss, renforçant l’horreur de ce contraste avec ce qui se passe à quelques mètres.

Sur le plan technique, Glazer repousse les limites de l’immersion. Le tournage a fait un usage intensif de caméras dissimulées et de plans ultra-réalistes, donnant au film une qualité quasi-documentaire. Les choix de cadrage, souvent oppressants, et l’utilisation du son – des murmures étouffés, des bruits lointains, presque subliminaux – plongent le spectateur dans une réalité où l’inhumain devient terriblement ordinaire.

En revisitant le sujet à travers le point de vue des bourreaux, The Zone of Interest brise les conventions du film sur l’Holocauste. Glazer évite tout pathos ou sensationnalisme, optant pour une froideur clinique qui amplifie la violence morale du récit. C’est une œuvre qui oblige à réfléchir : comment des hommes et des femmes peuvent-ils vivre aussi près de l’horreur et continuer à dîner en famille, à jardiner, à aimer?

Avec une audace rare et une précision implacable, Jonathan Glazer nous confronte à l’indicible, non pas en le montrant directement, mais en exposant les mécanismes humains qui permettent à de telles atrocités d’exister. The Zone of Interest n’est pas seulement un rappel des horreurs du passé : c’est un avertissement sur la fragilité de l’humanité face à ses propres ombres.

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5. UNE LANGUE UNIVERSELLE – MATTHEW RANKIN

Un film québécois dans mon top 5? Absolument. Chaque année, je veille à inclure une œuvre d’ici, non par principe, mais parce que le cinéma québécois regorge de pépites audacieuses et uniques. Cette année, c’est Une langue universelle (Universal Language) de Matthew Rankin qui s’est imposé, une œuvre audacieuse, décalée et profondément marquante.

Pour revoir sa mère malade, Matthew, un jeune homme introverti, quitte Montréal pour retourner dans sa ville natale, Winnipeg. Mais à son arrivée, il découvre un Winnipeg méconnaissable, où tout le monde parle désormais persan. Dans cette métropole isolée et étrange, l’espace-temps semble déséquilibré, et Matthew se retrouve perdu dans une réalité où la langue, loin d’unir, accentue son isolement.

Une langue universelle - photos de METEORE FILMS
Crédit photos : METEORE FILMS

Dès les premières scènes, cette œuvre frappe par son esthétique singulière. Fidèle à son style, Matthew Rankin mélange le surréalisme à des éléments rétro-futuristes, transformant Winnipeg en un espace à la fois familier et totalement déroutant. Les décors bricolés, les couleurs saturées et les textures granuleuses donnent au film une dimension onirique, où chaque détail visuel amplifie l’étrangeté du récit.

La photographie joue un rôle clé dans l’immersion. Les cadres, souvent asymétriques, et la lumière subtilement contrastée traduisent l’état d’esprit désorienté de Matthew. La caméra, parfois flottante, parfois oppressante, renforce cette impression d’un monde en déséquilibre. Chaque plan semble conçu pour troubler, questionner et émerveiller à la fois.

Au-delà de sa forme visuelle, Universal Language propose une réflexion pertinente sur l’isolement, la communication et les barrières culturelles. En plaçant son personnage principal dans un univers où il ne comprend plus la langue, Rankin explore les défis de se connecter aux autres dans un monde qui semble étranger.

Le film, à la croisée de la comédie absurde et du drame existentiel, pose une question profonde : comment se redéfinir lorsque les mots eux-mêmes deviennent un obstacle?

Un incontournable québécois

Avec Universal Language, Matthew Rankin livre une œuvre brillante et unique, qui mélange audace, humour, étrangeté et introspection. Ce n’est pas seulement un film québécois marquant, c’est une expérience cinématographique qui repousse les limites du genre et des attentes. Et si, parfois, l’incompréhension était la clé pour se reconnecter à soi-même?

Bande-annonce  

***

Et voilà, un top 5 du meilleur est bouclé… ou presque.

Il me manque un film, et pas des moindres : Nosferatu. Celui que j’attends depuis deux ans. Je n’ai pas encore eu l’occasion de le voir, mais une chose est sûre : je ne serai pas déçue!

Dans cette relecture tant attendue, Robert Eggers revisite le mythe immortel de Nosferatu avec une intensité hypnotique. Fidèle à son style singulier, il mêle atmosphères gothiques, textures brumeuses et une maîtrise visuelle sans pareille.

Les premières critiques parlent d’une œuvre magistrale, où Eggers redéfinit les codes du cinéma de monstres. Entre l’horreur subtile et les performances inoubliables, Nosferatu promet d’être bien plus qu’un simple hommage : une plongée viscérale dans les ténèbres de l’âme humaine et la fascination éternelle pour l’étrange. Je sais déjà que ce film aurait eu sa place dans ce top. 😉

Ceux qui valent également un petit coup d’œil :

Chapitre II : comme les plus grandes déceptions

1. NAPOLEON – RIDLEY SCOTT

Le dernier film de Ridley Scott, Napoléon, divise. D’un côté, il fascine par son ampleur visuelle, de l’autre, il frustre par ses faiblesses narratives et historiques.

Napolean - Sony pictures
Gracieuseté de Sony pictures

Le récit suit l’ascension fulgurante de Napoléon Bonaparte, son génie militaire, sa quête de pouvoir, et sa relation tumultueuse avec Joséphine. À travers des batailles épiques et des moments plus intimes, le film tente de capturer l’essence de l’homme derrière l’Empereur, mais se heurte à une narration trop fragmentée pour vraiment convaincre.

Malgré l’ampleur de son sujet, Napoléon peine à rendre justice à la complexité de son personnage principal. La narration enchaîne les épisodes marquants de sa vie sans véritable lien, rendant difficile une immersion émotionnelle. Ses motivations, son génie stratégique, et ses dilemmes personnels sont à peine effleurés, laissant un sentiment d’inachevé.

Les libertés prises avec la réalité historique n’aident pas. Certaines batailles sont visuellement impressionnantes, mais embellies au point de sacrifier leur crédibilité, tandis que des événements fictifs viennent brouiller les repères des spectateurs familiers avec l’Histoire. Ces choix, bien qu’artistiquement assumés, ont déçu les amateurs d’Histoire et les spectateurs avertis.

Côté performances, Vanessa Kirby, dans le rôle de Joséphine, se heurte à un scénario qui réduit son personnage à une figure secondaire, creusant encore plus les failles émotionnelles du récit.

Pourtant, visuellement, Ridley Scott reste fidèle à sa réputation de maître du cinéma épique. Les scènes de bataille, magistralement chorégraphiées, et la reconstitution historique méticuleuse transportent le spectateur dans l’époque de l’Empereur. Chaque plan est pensé pour impressionner, et la direction artistique est un véritable tour de force.

Malgré tout, le film ne parvient pas à atteindre la grandeur espérée. Napoléon est une œuvre ambitieuse, portée par des acteurs talentueux et un savoir-faire visuel indéniable, mais elle laisse un goût d’inachevé. On admire la forme, mais on reste en quête d’un fond à la hauteur de son sujet. Une belle déception. 

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2. MEGALOPOLIS – FRANCIS FORD COPPOLA

Megalopolis, le projet passion de Francis Ford Coppola, arrive auréolé d’une anticipation immense. Pourtant, ce qui promettait d’être un chef-d’œuvre visionnaire se révèle être une œuvre chaotique et mal équilibrée, laissant un goût amer d’occasion manquée.

Le film raconte l’histoire de l’architecte Serge Catalan, un idéaliste qui rêve de reconstruire New York comme une cité utopique après une catastrophe majeure. Il s’oppose à des forces conservatrices représentées par le maire de la ville, déclenchant un conflit entre modernité et tradition. Le synopsis laissait espérer un drame philosophique et sociopolitique à la hauteur des grandes fresques du réalisateur, mais la narration peine à donner vie à cette ambition.

Megalopolis - Julia Cicero (Nathalie Emmanuel) et Cesar Catilina (Adam Driver) Crédit photo : Courtoisie de Lionsgate
Julia Cicero (Nathalie Emmanuel) et Cesar Catilina (Adam Driver) Crédit photo : Courtoisie de Lionsgate

Le scénario est l’une des principales faiblesses de Megalopolis. Fragmenté et surchargé, il s’étire entre des idées grandioses et des sous-intrigues inutiles, rendant difficile toute immersion. Les dialogues, parfois trop explicatifs ou prétentieux, ne parviennent pas à rendre crédible le conflit central. Le spectateur se retrouve face à des personnages qui semblent davantage des archétypes que des êtres humains, leurs motivations restant floues ou peu convaincantes.

Visuellement, Coppola s’aventure dans un territoire hybride mêlant des décors futuristes à des techniques de tournage innovantes, mais le résultat est inégal. Certaines séquences impressionnent par leur ambition esthétique, mais d’autres sombrent dans une surcharge visuelle, frôlant parfois le kitsch. Les effets spéciaux, pourtant cruciaux pour une œuvre de cette envergure, paraissent datés et contrastent violemment avec les prétentions visionnaires du film.

Le casting, pourtant prestigieux, n’est pas exempt de critiques. Si certains acteurs livrent des performances solides, d’autres semblent à la dérive, mal dirigés ou écrasés par des dialogues lourds et des arcs narratifs mal définis. Ces prestations inégales ajoutent à la sensation de désordre qui imprègne le film.

Megalopolis
Francis Ford Coppola Adam Driver | Crédit photo : Phil Laruso

Megalopolis est clairement un projet personnel pour Coppola, un film où il cherche à poser des questions profondes sur la société, l’utopie et l’humanité. Mais son ambition se heurte à une exécution laborieuse, manquant de rigueur et de clarté. Ce qui aurait pu être une œuvre magistrale devient une fresque confuse, trop préoccupée par sa propre grandeur pour offrir une expérience véritablement captivante. Coppola, légende incontestée du cinéma, livre ici une œuvre qui, malgré ses éclats de génie, laisse perplexe et désireux de quelque chose de plus cohérent.

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3. LA BÊTE – BERTRAND BONELLO

Avec La Bête, Bertrand Bonello s’aventure une fois de plus sur un terrain ambitieux, entre expérimentation formelle et exploration philosophique. Inspiré librement de The Beast in the Jungle de Henry James, le film promettait une réflexion dense sur le désir, le destin et le passage du temps. Mais cette ambition, au lieu d’être exaltante, se révèle souvent étouffante, laissant le spectateur à la fois perplexe et frustré.

L’intrigue se déroule dans un futur proche où l’intelligence artificielle domine, et suit Gabrielle (Léa Seydoux), qui décide de purger ses émotions pour échapper à un avenir chaotique. Ce processus la ramène à des vies antérieures, où elle croise Louis (George MacKay), son alter ego masculin, et explore une série de récits fragmentés. Si l’idée de mêler science-fiction et introspection existentielle semble riche, son exécution pèche par excès.

LA BETE - Visuel 2 © Carole Bethuel
© Carole Bethuel

Le principal défaut de La Bête réside dans sa narration, qui souffre d’un morcellement excessif. En sautant entre différentes époques et genres, le film s’éparpille, peinant à maintenir une cohérence émotionnelle ou narrative. Chaque segment semble déconnecté du précédent, et malgré les efforts des acteurs, les personnages manquent de profondeur, empêchant toute réelle empathie.

Léa Seydoux et George MacKay livrent des performances solides, mais elles sont noyées dans un récit qui ne leur donne pas suffisamment de matière pour briller. Leurs interactions, bien qu’intenses par moments, manquent de spontanéité et s’alourdissent sous le poids d’un symbolisme omniprésent.

Sur le plan visuel, Bonello montre une fois de plus sa maîtrise esthétique. Les décors futuristes et les images élégantes captivent par instants, mais cet éclat formel finit par se heurter à une froideur émotionnelle. Le film semble trop préoccupé par son apparence pour se connecter réellement à son sujet ou à son spectateur.

La Bête est indéniablement ambitieux, mais cette ambition devient son principal écueil. Le film cherche à poser des questions profondes sur le libre arbitre, l’identité et la mémoire, mais sa structure éclatée et sa distance émotionnelle rendent ces réflexions difficiles à suivre. Ce qui aurait pu être une œuvre audacieuse et perturbante devient une expérience laborieuse, frustrante par ses choix de forme et sa froideur. Un beau geste artistique, mais qui manque cruellement de souffle.

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4.      KINDS OF KINDNESS – YORGOS LANTHIMOS

Après l’intensité et l’audace de The Poor Creature, le nouveau film de Yorgos Lanthimos, Kinds of Kindness, était attendu avec une ferveur presque messianique. À peine un an après son précédent succès, Lanthimos semblait prêt à offrir une nouvelle exploration des complexités humaines. Pourtant, ce qui promettait d’être une œuvre ambitieuse et nuancée s’effondre sous le poids de ses propres aspirations. Mon enthousiasme initial s’est lentement dissipé, laissant place à une déception de plus en plus marquée.

Le film est structuré en trois segments distincts, explorant chacun un aspect de la bonté humaine. Un homme lutte pour reprendre le contrôle d’une vie où les choix semblent lui échapper. Un policier confronté au retour inexplicable de sa femme, disparue en mer, découvre qu’elle est désormais une personne différente. Une femme, quant à elle, est en quête d’un individu doté d’un pouvoir extraordinaire, destiné à devenir un chef spirituel prodigieux.

Emma Stone |Photo par Atsushi Nishijima - Courtoisie de Searchlight Pictures. © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved
Emma Stone |Photo par Atsushi Nishijima – Courtoisie de Searchlight Pictures. © 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved

Si l’idée d’explorer la bonté humaine dans toute sa complexité semblait prometteuse, cette structure fragmentée, bien qu’ambitieuse, s’avère mal articulée. Les trois segments manquent de cohésion et de résonance, donnant une impression de récits isolés qui peinent à s’unir pour former un tout. Le spectateur est laissé à distance, incapable de s’investir pleinement dans une narration qui semble plus préoccupée par ses concepts que par ses personnages. L’un des principaux écueils réside justement dans ces personnages. Plutôt que de construire des figures humaines engageantes, Lanthimos s’appuie sur des archétypes qui servent davantage d’illustrations conceptuelles. Les dialogues, souvent surchargés et explicatifs, alourdissent l’ensemble. Malgré l’engagement des acteurs – Emma Stone, Jesse Plemons et Willem Dafoe livrent des performances sincères –, leurs personnages restent froids et peu accessibles, privant le film de la profondeur émotionnelle nécessaire.

Visuellement, Kinds of Kindness porte la signature esthétique de Lanthimos. Les cadrages précis, les tons désaturés et les décors stylisés témoignent de son savoir-faire. Mais cette sophistication visuelle semble ici déconnectée du propos, manquant de la vitalité et de l’impact sensoriel de ses œuvres précédentes. La mise en scène, trop rigide, crée une distance froide qui empêche le spectateur de plonger dans l’expérience.

Au final, Kinds of Kindness laisse une impression d’inachevé. Ce qui aurait pu être une réflexion puissante et nuancée sur la bonté humaine devient une œuvre trop conceptuelle et dépourvue de l’âme nécessaire pour captiver. En sortant de la salle, une question reste en suspens : et si, au lieu de se perdre dans une structure éclatée, le film avait choisi de se concentrer sur un seul récit, avec toute l’humanité et la vulnérabilité qu’il mérite? Peut-être aurait-il alors trouvé sa véritable force.

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5. LONGLEGS – OZ PERKINGS

Osgood “Oz” Perkins s’était fait un nom avec ses précédents films, explorant les profondeurs du malaise psychologique et de l’horreur atmosphérique. Avec Longlegs, porté par Nicolas Cage et Maika Monroe, il semblait prêt à repousser les limites du genre. Mais ce qui promettait de révolutionner le thriller horrifique se révèle une œuvre déséquilibrée, où les ambitions conceptuelles échouent à compenser les lacunes narratives.

L’histoire suit Lee Harker (Maika Monroe), une agente du FBI novice, traquant Longlegs (Nicolas Cage), un tueur en série opérant selon un modus operandi teinté de connotations sataniques. Mais ce qui semble être une enquête classique se mue en une confrontation étrange, où Lee découvre une connexion troublante entre sa propre psyché et celle du meurtrier.

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Courtoisie de NEON Pictures

Dès les premières minutes, Longlegs instaure une atmosphère oppressante. La scène d’ouverture, qui voit une petite fille s’approcher d’une voiture mystérieuse à la lisière de la forêt, est un modèle de tension maîtrisée. Perkins excelle dans la mise en place d’une ambiance lugubre, renforcée par une direction artistique soignée et une photographie immersive signée Andres Arochi. Les jeux de lumière, entre ombres menaçantes et éclats presque surnaturels, confèrent une qualité presque hypnotique à chaque plan.

Cependant, cette virtuosité visuelle ne suffit pas à masquer le principal défaut du film : son scénario. Malgré une prémisse intrigante, l’intrigue se dilue rapidement dans des détours inutiles et des arcs narratifs mal définis. La connexion entre Lee Harker et Longlegs, censée être le cœur du récit, reste superficielle et mal exploitée. Les motivations du tueur demeurent floues, et les révélations censées apporter des réponses tombent à plat, privant l’histoire de toute véritable profondeur émotionnelle ou psychologique.

Les thématiques abordées, notamment la dualité du bien et du mal ou la confrontation avec ses propres démons, restent à l’état d’ébauches. Perkins, connu pour son habileté à mêler introspection et horreur, peine ici à insuffler la nuance et la subtilité nécessaires pour approfondir ces réflexions.

En fin de compte, Longlegs illustre les défis de concilier ambition esthétique et narration cohérente. Le film séduit par sa mise en scène et son atmosphère, mais ces qualités ne suffisent pas à compenser une intrigue superficielle et des personnages sous-exploités.

Ce  n’est pas non plus un film à oublier, mais il est loin de marquer le genre comme il le promettait. 

Retrouvez ma critique analytique complète ici.

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