« Non, ils ne l’auraient pas crû. »
Dans l’Allégorie de la caverne, Platon se demande : que se passerait-il si l’un des prisonniers parvenait à se libérer de ses chaînes et à s’échapper de la caverne? Et si ce prisonnier était Jay (Naïm El Kaldaoui), un petit garçon de 7 ans?
Avec Allégorie citadine, Alice Rohrwacher et JR proposent un puissant film sous forme d’allégorie poussant le spectateur à réfléchir à ce qu’est la liberté et, aussi, au sens de celle-ci.
Basé sur le concept de la caverne platonicienne, Allégorie citadine amène le spectateur à se questionner sur la perception de la réalité. Mais le tout est amené à travers le regard d’un enfant de 7 ans.
Mais qu’est-ce que cette théorie de Platon? Le mythe imagine une humanité qui vit enchaînée, le regard tourné vers le fond d’une caverne et qui observe des ombres se déplacer sur les murs en pensant qu’il s’agit de la réalité. D’une certaine façon, c’est un peu le concept du biais visuel. Comme on ne voit qu’une partie du tout, et qu’on ne voit les choses qu’en fonction de nos propres connaissances, on se retrouve parfois à imaginer des choses comme étant une vérité absolue alors qu’en fait, il s’agit d’une illusion.
Pour illustrer ce concept d’illusion, les cinéastes utilisent une multitude de techniques. Tout d’abord, en utilisant un enfant afin de le mettre en opposition avec sa mère, on se retrouve d’emblée avec deux visions du monde : celle de l’enfant qui est plus prône à laisser son imagination embarquer sur la réalité, et celle de la mère, qui vit dans un monde beaucoup plus réel. Entre les deux, on insère le metteur en scène (Leos Carax) qui, en tant qu’artiste et adulte, se permet de laisser l’illusion envahir son univers de façon contrôlée.
Il y a, ensuite, l’utilisation des ombres qui illustrent de façon directe la théorie de Platon. Mais ici, il s’agit de celles des danseuses. Il y a aussi l’utilisation de l’animation pour intégrer l’enfant sur le mur de la ville, lui permettant littéralement de se fondre dans le décor.
Puis, il y a cette utilisation sublime permettant de mixer grotte et décor de cinéma…
Fidèle à elle-même, Rohrwacher utilise le surréel et l’intègre à une réalité brute, créant une sorte de réalisme surréel. C’est une technique qu’elle utilise (ici avec JR) afin de mettre de l’emphase sur des concepts plus théoriques, pouvant ainsi les intégrer à un contexte réel. Dans Les meraviglie, par exemple, elle intégrait un tournage de cinéma dans un lieu qui devait être banal pour les enfants, mais qui devenait soudainement magique. Dans La chimera, elle utilisait le film de genre à la Indiana Jones pour montrer l’appartenance au passé et ce que les objets peuvent représenter dans un contexte historique.
Le duo a, dans Allégorie citadine, énormément travaillé sur l’image et la signification de celle-ci. Depuis 2 ou 3 ans, notre relation à l’image est en mouvance et ce film arrive à un bon moment pour se questionner.
La deuxième partie du film met de l’avant le jeune garçon dans la réalité de la ville, mais tout en se permettant de garder l’imaginaire de l’enfant comme faisant partie de cette réalité. Ainsi, il déambule dans les rues avoisinantes au théâtre pour se retrouver à littéralement déchirer les murs pour donner aux spectateurs une vision sublime d’une grotte. Oui, la fameuse grotte de l’illusion de Platon.
Mais cette grotte, qui apparaît sur un mur lorsque le garçon découvre qu’un papier peint recouvre ce mur et le déchire, est-elle la vraie réalité, ou l’illusion en soi? Cette scène de découverte est simplement magistrale. Non seulement elle est d’une beauté cinématographique incroyable, mais elle est aussi forte d’un point de vue de l’allégorie.
Veut-on nous dire que les murs nous empêchent d’apprécier la beauté qu’ils cachent? Comme toute œuvre forte, la réponse n’est pas réellement donnée. Il en tient plutôt à chaque spectateur d’y réfléchir et de trouver sa propre réponse.
Avec Allégorie citadine, Alice Rohrwacher et JR offrent un film qui peut se regarder autant pour simplement relaxer, en le voyant au premier degré, ou une œuvre menant à une réflexion philosophique sur la réalité.
Comme nous vivons dans un monde qui mélange de plus en plus le vrai et le faux, le physique et le numérique, le réel et l’illusion, ce genre de film permet de prendre conscience qu’il y a une, ou plutôt, des réflexions à avoir. Ces réflexions sont tout autant pour la société que pour les individus.
Au final, ces deux artistes offrent un film à voir absolument.
Bande-annonce
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