The End - Une

The End — Ne pas se faire passer un savon

« Maybe that’s the answer of Life… Being forgiven? Make mistakes and being forgiven. »
[Peut-être que c’est ça la réponse de la vie… Être pardonné ? Faire des erreurs et être pardonné.]

The End - Poster

Après plusieurs décennies à vivre dans un bunker au fond d’une mine de sel, une famille rencontre une étrangère.

La solitude ou être seul?

Ce 9 décembre au matin, j’ai pu profiter d’un moment que j’apprécie de plus en plus à chaque fois; aller voir un film seul dans une salle de cinéma presque vide sans crainte de laisser libre cours à mes émotions. Pas que je sois une pipelette, mais plutôt qu’il m’est plus facile de me perdre en moi-même si je sais que je ne risque pas de déranger mon voisin immédiat avec des gloussements ou — plus souvent qu’autrement — des sanglots. Imaginez-vous donc que les hommes sont sensibles, et non, j’ai pas appris à l’être dans les dernières années. C’est sûr que c’est devenu à la mode d’être un homme sensible, ou en tout cas, dire l’être; j’étais sensible avant que ça soit « cool ». De nos jours, tout le monde est tellement proche de ses émotions, c’est à se demander comment ça se fait que la famine ne soit pas déjà enrayée et que la pauvreté ainsi que la richesse ne soient pas choses du passé?

The End - George MacKay - Felix Dickinson_courtesyElevationPictures
Le fils (George MacKay) | Courtoisie Elevation Pictures

The End est un film réalisé par Joshua Oppenheimer (oui, j’ai cherché et, malheureusement, je n’ai pas pu savoir s’il avait un lien avec son célèbre homonyme) et coécrit avec Rasmus Heisterberg, deux hommes qui savent certainement dédramatiser le pire que l’humanité a à offrir. Bien entendu, le fait que cela soit une comédie musicale doit vous sembler la raison la plus évidente, et pourtant (pourtant) c’est plutôt la manière candide avec laquelle les personnages interagissent qui me sauta aux yeux. De quoi parle-t-on? La fin,dans toute sa simplicité et sa complexité; comment tout cela — notre histoire — se termine alors que l’espoir d’un avenir pour notre espèce s’éteint dans un dernier coucher de soleil. De qui parle-t-on? Personne, et pourtant, de tout le monde aussi; les personnages n’étant pas nommés durant le film contribuent sans aucun doute à souligner cette unicité universelle.

C’est sans trop de difficulté que je me laissai aller à apprécier la voix harmonieuse de George Mackay; j’eus même un levé de sourcil approbateur au ton mélodieux du toujours surprenant Michael Shannon. Un bémol aux premières notes poussées par Tilda Swinton qui me firent douter qu’elle soit en chair et en os tellement les sons avaient un timbre synthétique et modifié. L’heureuse petite famille recroquevillée au fond d’un bunker est soutenue par leur major d’homme, leur chef cuisinier et leur médecin; mais leur paix à tous ultimement troublée par l’arrivée de ce qui semble être la dernière survivante du monde extérieur. Le personnage interprété par Moses Ingram (AKA Inquisitor Reva de la série Obiwan) amène avec elle la vérité inconfortable et malaisante qui les amoncelle dans les profondeurs de cette montagne qu’iels appelleront maintenant tous leur maison. 

Et pourtant

Les décors sont froids et teintés de bleus, de gris, de blancs et de verts; quant à celles et ceux qui y déambulent, iels essaient tant bien que mal de contraster par la chaleur sincère qu’iels partagent les uns pour les autres. Le fils de cette famille est le seul individu dans cette histoire qui n’a pas connu l’humanité autrement que par l’entremise des autres; un véritable prisonnier de cette caverne platonicienne. Convaincu que les histoires que se racontent sa famille et ses amis sont la vérité et que la bonté chez l’humain est indéniable. Toutefois, le fils maintenant un homme adulte bien plus perspicace, et donc, mêlé au chaos que crée la nouvelle arrivante, commence à tranquillement percevoir le grand portrait; et s’iels étaient tous responsables d’atrocités diverses? Pourrait-il toujours les aimer malgré cela? 

The End - Tilda Swinton - Felix Dickinson - Et pourtant
La mère (Tilda Swinton) | Courtoisie Elevation Pictures

« Personne n’est parfait », nous dit-on. Est-ce que cela signifie que l’on doit tout accepter de celles et ceux que nous aimons; et est-ce légitime de demander à ce qu’on nous aime inconditionnellement? Nous mentons-nous à nous-mêmes lorsque nous acceptons qu’iels nous mentent pour se donner l’envie de rester; leur donner le désir de rester à leur tour? Y a-t-il des conséquences évitables à ce que nous avons pu faire ou accepter par amour ou pour être aimé en retour? J’énonce ceci tout haut parce qu’il n’y a pas que les personnages du film The End qui devraient se poser ces questions, car elles sont, à mon avis, indispensables à la poursuite de l’humanité si on veut trouver l’harmonie avant qu’il ne soit trop tard.

Je ne suis pas en train de dire qu’une comédie musicale puisse détenir les réponses à certaines de ces questions fondamentales à l’être humain, et pourtant, il est impossible de ne pas être heurté par le jeu puissant qui s’exécute dans ce huis clos moderne. Peut-être qu’on a légèrement abusé du « paysage » qu’offrent les murs blancs de la montagne lors des prestations vocales, mais c’était beau quand même. J’ai toujours été décontenancé par les changements de lieux inopinés dans ce genre d’œuvres où le lyrisme des chansons l’emporte sur la réalité. Cependant, ici, j’ai eu un plaisir fou à me déplacer dans ce magnifique décor. À cet effet, une maquette de leur maison de fortune se retrouve dans plusieurs scènes évoquant de façon réflexive comment le lieu dans lequel se déroule ce film est fabriqué en studio.

Du sel sur la plaie

Le plus dommage serait sûrement que l’œuvre de monsieur Oppenheimer laisse peu de place à une fin heureuse, pas qu’elle ne le soit pas, mais n’allez pas croire que la trame narrative vous amènera à la rencontre de peuples perdus et de civilisations reconstruites. Tout ce que vous verrez se situera à l’intérieur de cette montagne de sel nous rappelant qu’une prison, aussi grande soit-elle, reste une prison. Lorsque le générique de fin se mit à défiler, j’avoue être resté avec une expression semblable à celle de madame Ingram. Je ne sais pas si c’est comme ça qu’on l’a dirigée, mais elle m’a semblé désintéressée à la plupart des interactions avec ses pairs (Moses personne ne vous oblige à faire ce métier si ça ne vous enchante pas).

The end - Du sel sur la plaie - Moses Ingram - Felix Dickinson_courtesyElevationPictures
La fille (Moses Ingram) | Courtoisie Elevation Pictures

Ce que je trouve navrant de ce nihilisme assumé chez le réalisateur, c’est cette notion classique — ce déterminisme cliché — que tout est déjà décidé d’avance; les riches s’en sortiront et les pauvres s’entredéchireront pour les dernières miettes éparpillées jusqu’à leur ultime extinction. Avons-nous déjà si peu foi en notre survie ou en notre bonne volonté? J’ai l’impression que c’est ce que les plus puissants aimeraient non seulement nous faire croire, mais aussi se faire croire que tout se passerait ainsi. La monarchie en France – pour ne mentionner qu’elle – aura appris à la dure qu’en cas de crise les têtes dirigeantes ont tendance à rouler. Je ne peux m’empêcher de croire que ce n’est pas un peu l’idée derrière cette création. 

Confronté à une vision que l’on ne peut endurer, saurons-nous nous jurer de ne pas la laisser se réaliser? J’avoue essayer de travailler à accomplir un peu cela à travers mes écrits. Une chose pourtant en sortant de la salle, j’avais plus que jamais la certitude que le monde devenait, peut-être, réceptif à écouter; pour se permettre de changer. Il ne faut pas abandonner. Sachons garder une oreille attentive aux signes positifs autour de nous, même si quand je tends l’ouïe je crois entendre une voix sinistre dans les airs, sauf que cette fois ce n’est pas Saruman, mais Morrison.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
The end
Durée
148 minutes
Année
2024
Pays
États-Unis
Réalisateur
Joshua Oppenheimer
Scénario
Joshua Oppenheimer et Rasmus Heisterberg
Note
9 /10

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Fiche technique

Titre original
The end
Durée
148 minutes
Année
2024
Pays
États-Unis
Réalisateur
Joshua Oppenheimer
Scénario
Joshua Oppenheimer et Rasmus Heisterberg
Note
9 /10

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