Anticipant, faute de moyens, une expulsion de son Ehpad après la mort de son fils et unique soutien, Émilie, septuagénaire rebelle à la vie cabossée, décide de se lancer dans une cavale vengeresse contre tous ceux qui lui ont fait du mal. Au cours de sa folle épopée, la justicière des bourgs périphériques, qui tranche dans le vif pour redresser les torts, est rejointe par Linda, douce femme de ménage avec qui elle a tissé des liens à la maison de retraite. Laquelle, n’ayant pas plus à perdre qu’Émilie, décide à son tour d’entrer en guerre contre ceux qui l’ont humiliée. Bientôt, le duo est mollement traqué par un binôme de flics, un homme et une femme à la dérive…
Gustave Kervern et Benoit Delépine ont réalisé de nombreuses comédies douces-amères à quatre mains, à la suite de leur (long) passage à la télévision avec l’émission Groland diffusée à partir de septembre 92 sur Canal +. Cette fois, Gustave Kervern réalise seul ce nouveau long-métrage pour Arte, à la télévision. Actuellement programmé dans le cadre du Festival Cinemania, il s’est vu attribuer le prix de la meilleure réalisation au Festival de la Fiction de La Rochelle en Septembre dernier.
Revanche sociale
Yolande Moreau, fidèle du duo grolandais et actrice notamment dans Louise-Michel (2008) et Mammuth (2010), interprète ici Émilie, femme de 70 ans aux origines modestes résidant en EHPAD dans le nord de la France. Venant de perdre son fils « peu doué pour le bonheur », le film débute par l’enterrement de celui-ci.
Cet événement revêt déjà un aspect à la fois absurde et amer, de par l’attitude négligente de l’ex-belle-fille d’Émilie (Marie Gillain) et de ses enfants. Celle-ci s’est depuis acoquinée avec un homme on ne peut plus vulgaire et obsédé par l’argent, Tony, interprété par Jonathan Cohen. Le retour d’Émilie à l’EHPAD rappelle à la septuagénaire son manque de moyens financiers : en effet, la directrice lui indique avec un certain manque de délicatesse que son fils étant décédé, il ne pourra plus l’aider à payer sa chambre en résidence. Après un échange avec Lynda (Laure Calamy), sympathique employée agente de propreté, elle prépare sa valise et décide de partir sur les routes. Elle va alors à la recherche de celles et ceux qui ont usé de leurs positions pour lui faire du mal, tout au long de sa vie.
La liste
Sa première victime est Cédric, ancien camarade de collège, qui l’avait humiliée de façon gratuite alors qu’elle était jeune adolescente.
Ayant élaboré une liste de personnes à qui rendre visite afin de régler ses comptes, Émilie raye progressivement les noms de ceux-ci de son papier. C’est alors que s’ajoutent à l’intrigue deux policiers, à la suite d’une plainte de Cédric, interprétés de façon très juste par Anna Mouglalis et Raphaël Quenard. Ces deux bras cassés alcooliques et paumés tentent tant bien que mal de suivre mollement l’affaire. Émilie est de son côté très en forme, étant accompagnée depuis peu par Lynda, son amie employée de l’EHPAD. Nous retrouvons ici les thèmes chers à l’univers de Gustave Kervern : le road-movie social, la fracture sociétale, l’humiliation des plus démunis, les paysages urbains désolés, ou encore les personnages iconoclastes et inclassables. Ce nouveau long-métrage n’est d’ailleurs pas sans rappeler Mammuth, qui montrait Gérard Depardieu à bord de sa moto, parcourant les routes de France à la recherche de documents manquants pour le calcul de sa retraite.
Gustave Kervern fait de nouveau preuve d’audace avec ce nouveau long-métrage, son talent étant de parvenir à créer des personnages tour à tour attachants et borderline. « Faire justice soi-même » semble être un cri du cœur, lorsque la société nous écrase de multiples façons.
Je ne me laisserai plus faire est présenté au Festival Cinemania les 11 et 12 novembre 2024.
