« Il te pousse et toi tu dis qu’il est gentil? »
Hantée par un passé auquel elle espérait échapper, Halima, enceinte, autorise à contrecœur son partenaire Sylvain à l’accompagner dans la recherche de sa famille éloignée à l’étranger.
Basé sur une histoire vraie, le long-métrage La femme cachée du réalisateur québécois d’origine algérienne Bachir Bensaddek montre à quel point les traumatismes transgénérationnels peuvent hanter une femme.
Quand on observe Halima (Nailia Harzoune) batifoler dans la neige avec sa fille Léa (Athéna Henry) avec, en arrière-plan, le stade olympique de Montréal, on la croirait heureuse et insouciante, profitant de cette belle journée d’hiver dans cette ville qu’elle s’est mise à appeler la sienne.
Peu après ces images initiales, filmées dans la nature avec un sentiment de liberté, le film se déroule majoritairement à l’intérieur des lieux et on apprend : sous la façade de la mère comblée se cache une femme emprisonnée par son passé.
Enceinte de son deuxième bébé, Halima passe beaucoup de temps au lit à cause des fatigues dues à la grossesse. Mais elle se cache aussi sous la couverture parce qu’elle a peur, peur du sexe du bébé, peur qu’elle ne mette au monde un garçon. Lorsque son doute s’avère juste, son conjoint Sylvain (Antoine Bertrand) est étonné par sa réaction troublée. N’aimeraient-ils pas le nouveau-né, peu importe son sexe? Pourquoi Halima se comporte-t-elle soudain si différemment?
Lorsqu’ensuite son épouse le réveille au beau milieu de la nuit et lui avoue qu’elle n’est pas orpheline, comme elle l’avait toujours prétendu, mais qu’elle a une famille nombreuse à Marseille qu’elle compte visiter bientôt, Sylvain se croit dans un mauvais film. Il refuse de la laisser partir seule en France.
Arrivée dans son village natal, le corps d’Halima se crispe de plus en plus en se rapprochant de la maison de ses parents qu’elle n’a pas vus depuis des années. Elle se retrouve devant la même porte qui la hante dans ses cauchemars. Présentant Halima la plupart du temps de tout près, par des gros plans, Bensaddek filme cette scène avec un plan moyen et un objectif grand angle ce qui intensifie la tension et l’attraction que ce lieu exerce sur la fille. Lorsque le père ouvre la porte, il laisse Halima entrer sans rien dire, sans aucun signe de joie ou d’émotion autre que la sévérité qu’on lit dans son visage.
La mère, en revanche, l’accueille chaleureusement et verse des larmes de joie. On apprend que seul un de ses cinq enfants, son fils Malik, lui rend visite régulièrement, et ceci, pour piller le frigo, tandis que ses autres enfants, les filles tout comme son autre fils Rachid, ont rompu tout contact avec eux. Tout est austère dans cet appartement parental marqué par la pauvreté de deux immigrés algériens – les pièces sont peu meublées, il n’y pas presque pas de décoration, la lumière est éteinte la plupart du temps, la cuisine manque de nourriture et on peut se douter qu’à ce couple vieilli il manque également de gestes de tendresse. « La boule d’amour », exclamée par la jeune famille montréalaise au tout début du film, y manque cruellement. Par des retours en arrière qui nous amènent dans la jeunesse d’Halima, le spectateur ne pourra s’empêcher de soupçonner qu’un drame horrible a dû se produire ici, plus précisément entre Halima et son frère Rachid dont elle a pris la fuite pour commencer une nouvelle vie à l’étranger.
Sachant qu’elle devra affronter ses démons intérieurs avant la naissance de son fils, un autre homme potentiellement malfaisant dans une lignée d’hommes abusifs, Halima se met à la recherche de son ancien agresseur Rachid avec l’aide de sa sœur Kaina, la seule personne de sa famille avec qui elle a gardé un contact vague depuis sa fuite au Canada. Leurs enfants s’entendent rapidement très bien alors que des non-dits flottent entre les sœurs. Kaina, tout comme Nasserine, qu’Halima retrouve dans la bibliothèque universitaire grâce à un ami d’enfance à l’épicerie du coin, ne comprennent pas pourquoi leur sœur est revenue sur la terre brûlée de leur enfance. Selon elles, elle n’aurait jamais dû revenir. Ce sera surtout la plus grande sœur, Nasserine, devenue académique et ayant fait des recherches sur le passé de leurs parents, soit l’origine du mal dans leur famille, qui insiste sur le fait qu’Halima ferait mieux de se distancier du secret familial et du traumatisme transgénérationnel :
« — Halima, on est les fruits pourris de deux arbres pourris. Toi, moi, Kaina, Malik et Rachid. C’est pour ça que je n’ai jamais voulu avoir d’enfants. »
« — Moi, j’ai des enfants. J’ai une petite fille et ce n’est pas un fruit pourri. »
Halima trouvera-t-elle Rachid, et si oui, pourquoi – pour se venger ou pour lui pardonner? Et arrivera-t-elle à se réconcilier avec son futur fils? A-t-on droit à des enfants quand on provient de « deux arbres pourris »? Des pousses saines peuvent-elles naître d’un tronc malade?
La femme cachée pose des questions douloureuses dans lesquelles certains spectateurs pourront se retrouver. Cette réflexion, le jeu convaincant des acteurs et l’habileté technique du réalisateur constituent à mon avis les points forts du film. Allez découvrir certaines réponses en salle cette fin de semaine.
La femme cachée est présenté au Festival Cinefranco le 2 novembre 2024.
Bande-annonce
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