Kirill Serebrennikov est sans contexte l’un des réalisateurs contemporains les plus importants venant de Russie. Il possède une carrière très prolifique avec, évidemment, des films, mais aussi des pièces de théâtre, des ballets, des opéras, des clips musicaux et des séries télé. Il a aussi beaucoup œuvré pour la culture dans son pays, étant notamment directeur artistique du Théâtre Gogol de Moscou. En tant que cinéaste, il est derrière plusieurs films acclamés comme The Student, Leto (à voir absolument), La fièvre de Petrov ou La Femme de Tchaïkovski, tous sélectionnés au Festival de Cannes.
Mais Serebrennikov est aussi connu pour sa critique contre le gouvernement russe, supportant les droits LGBTQ au pays et contre l’Invasion de la Crimée en 2014. À un point qu’en 2017, il est faussement accusé de détournement de fonds et est assigné à résidence. En guise de soutien, le Festival de Cannes mettait une place en son nom à la projection de son film. Sa peine s’est terminée en 2022, ce qui lui a donné l’occasion de réaliser son premier film en anglais, Limonov: The Ballad.
Le réalisateur s’attaque ici à un gros morceau, un biopic sur Édouard Limonov, un écrivain et poète russe à la vie bien remplie, immigrant à New York où il deviendra sans-abri puis domestique, fera une carrière artistique en France et retournera en Russie où il dirigera le Parti National-Bolchévique, un groupe politique extrémiste. Il finira par aller en prison, puis soutiendra le régime de Poutine lors de l’Invasion de la Crimée.
Un sujet de base très intéressant pour le réalisateur dont la philosophie est contraire à son personnage principal. Le film, d’ailleurs, adapte le roman Limonov d’Emmanuel Carrère, qui fait même un petit caméo lors d’une scène. Une bonne partie du long-métrage se concentre sur la vie new-yorkaise de l’artiste, avec ses difficultés d’être publié, ses problèmes avec sa femme de l’époque et les difficultés de s’adapter au mode de vie américain capitaliste, surtout quand il vient de l’Union soviétique.
Le film brille sur plusieurs aspects, notamment avec son acteur principal. Ben Wishaw (Q des derniers James Bond) offre une des interprétations de sa vie dans le rôle-titre, incarnant parfaitement cet homme qui se permet tous les excès et au comportement imprévisible.
Mais c’est la mise en scène de Serebrennikov qui fait en sorte que le film mérite d’être vu. Il fait ici preuve de grande créativité avec sa caméra, jouant avec le ratio et les images d’archives et utilisant toutes sortes de transitions. Cela représente bien l’esprit dissident, voire punk, d’Édouard Limonov. Le film contient aussi de magnifiques séquences en plans-séquences. L’une qui rappelle les séquences musicales de Leto et une autre où Limonov se promène dans un New York en ruines, traversant les années 80 représentées par des séquences d’archives, le tout sur une chanson des Sex Pistols. Un grand moment de cinéma qui aurait mérité le Prix de la mise en scène à Cannes et, ainsi, un premier prix pour le cinéaste.
Cependant, avec toutes ces prouesses de réalisation, on peut penser que le film se base plus sur la forme que sur le fond. Serebrennikov a en effet du mal à cerner la figure d’Édouard Limonov. Le film nous le présente longtemps comme un artiste incompris, puis contre quelqu’un de profondément nihiliste quand il trouve le succès, puis très rapidement comme un leader politique aux ambitions extrémistes, la partie qui nous intéresse le plus, mais arrive à la fin. Le film ne nous donne pas vraiment les pistes pour comprendre cette figure, où il aurait mal tourné et qu’est-ce qui aurait pu le mettre dans une autre voie. C’est sûrement volontaire de nous faire comprendre que la personnalité de l’homme est indiscernable, mais c’est dommage qu’un réalisateur reconnu pour ses propos politiques ne s’y intéresse pas, surtout quand il parle de quelqu’un avec des avis contraires aux siennes. La dernière scène nous propose quand même une piste intéressante, transformant la sortie héroïque de Limonov en une sorte d’acte des médias.
Limonov : The Ballad reste un film très intéressant. Même si son propos laisse perplexe, on peut être charmé par le reste du film, notamment la réalisation de Kirill Serebrennikov, dont les films méritent de sortir plus des sentiers des festivals afin de toucher un public plus large.
Limonov : the balad est présenté au FNC les 17 et 19 octobre 2024.
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