« Je veux aimer et être aimée. »
Surqualifiée et surexploitée, Rita (Zoe Salanda) use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle, aider par le chef de cartel Manitas à se retirer des affaires et réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être.
Ce n’est pas le semblant de critique que je suis qui vous écrit ces lignes. C’est plutôt un grand gamin qui vient de se prendre une baffe cinématographique comme rarement prise.
Jacques Audiard a tapé fort avec Emilia Pérez. Autant pour la polémique suscitée par le film que par cette œuvre qu’il a pondue. Emilia Pérez n’est pas un film, c’est une sorte d’expérience, un torrent d’émotions ravageant les yeux des spectateurs (et surtout les miens) par sa maîtrise des codes du 7e art.
Logique, diraient les plus cinéphiles au vu des récompenses glanées par ses 2h de film que je vous encourage vivement à aller découvrir.
À la sortie de la séance, un seul mot m’est venu à l’esprit : Waw! Un Waw que mon esprit étriqué n’arrive pas à ôter. De la performance exceptionnelle de Zoe Saldana au sourire en or de Karla Sofía Gascón, Jacques Audiard manie sa mise en scène comme s’il a retrouvé un second souffle après le très mitigé Les Olympiades (2021). Cette fois-ci il est tout seul à la barre d’un scénario tellement simple qu’il amplifie sa force de percussion et prend dès les premières secondes le spectateur à la gorge comme une proie qu’il trimbale tout au long de la trame.
En effet, la magnitude du scénario se mesure à la malice que Jacques Audiard accorde aux traitements des thématiques aussi brûlantes qu’un brasier. Esclavage moderne, amour interdit, faux-semblants, vrais-semblants, le concept de bonheur, le sens de la féminité, les questions de genre, la manipulation, la quête de sens. Le tout pris dans une enclave de corruption mexicaine institutionnalisée où l’argent n’a pas d’odeur, mais achète facilement la dignité des gens (capitalisme, a love story).
La mise en scène feuillette ces sujets un par un sans perdre de cohérence. Via sa caméra à l’épaule dure sur l’homme toujours proche de l’action, se penchant sur les personnages pour mieux les dévisager et dévoiler leur contradiction. Une signature spécifique à Jacques Audiard (du moins à ma connaissance). Voguant entre les scènes intimistes et les moments introspectifs, la réalisation y ajoute son grain de créativité avec les séquences musicales au tempo soyeux.
Les scènes musicales, justement! Celles-ci puisent leur source dans les tendances des clips de musique actuels (YouTube est votre ami). Cet emboîtement marche à merveille, l’enchaînement musique de film plus morceau de musique est efficace prenant quasi tout le temps par surprise le spectateur.
Alors oui, le film a quelques défauts, mais le parfait n’existe pas et de toute façon ses défauts ne font que peaufiner un spectacle où les 5 sens prennent leur dose d’émerveillement. Une admiration couplée à des interprétations du trio féminin qui me force à dire que Selena Gomez est une bonne actrice (RIP mon ego). Les lignes de dialogues s’échangent et fusent comme du papier à musique dans lesquelles la blague décalée et parfois potache trouve son éclosion.
Je pourrais continuer dans les superlatifs encore longtemps. Mais, Jacques Audiard soulève une question symptomatique de notre contexte actuel. Notre capacité à être émerveillé ainsi que notre capacité d’attention.
Rien ne sert de vous rappeler une part des ravages que les médias sociaux ont amenés. L’une d’elles est bien entendue notre capacité de focalisation. C’est bien simple, le film use de tous les codes cinématographiques et musicaux pour garder le spectateur en haleine. D’un point de vue purement analytique, les scènes musicales remplacent les moments de calme du film. Au lieu des sempiternelles envolées lyriques et de la théâtralité des scènes charnières, le réalisateur s’échine à faire encore plus monter le dynamisme du film pour éviter aux gens d’ouvrir le téléphone pour voir l’heure.
Aussi, vu d’un prisme objectif, l’histoire générale du film à sa lecture peut sembler banale. De ce fait, Audiard souligne une chose. Ce n’est pas le fait de raconter une histoire qui est important, mais plutôt COMMENT la raconter. Comment user de ses faiblesses pour en faire une force. Un film est avant tout un spectacle et force est de constater que toutes les histoires du monde ont été racontées… Que reste-t-il aux cinéastes pour impressionner l’auditoire? La manière! On ne pointe pas du doigt le moment où le spectateur dit « Waw » mais lui montre le chemin.
Il ne s’agit pas d’être provocateur ou de jouer au plus réaliste, mais plutôt de pouvoir générer habilement cette suspension d’incrédulité. Cette suspension, qui est devenue capricieuse tant les spectateurs sont abreuvés en continu de « CONTENUS ». Au final, quelle est la différence entre un contenu et un film?
Je vous laisse méditer là-dessus.
Emilia Pérez est présenté au FNC les 15 et 17 octobre 2024.
Bande-annonce
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