« Notre vie a changé, il faut être très prudentes. »

Le cinéma peut être une arme politique puissante, et les cinéastes iraniens l’ont bien compris. Dans un pays où le contrôle de l’information par l’État est très sévère, le cinéma est devenu le parfait support pour réaliser des critiques sociales du pays. Elles sont d’autant plus fortes que la plupart de ces films font le tour des festivals internationaux, avec des cinéastes comme Abbas Kiarostami, Jafar Panahi ou encore Asghar Fahardi qui ont créé une belle réputation à travers le monde. Cependant, malgré ce succès, le gouvernement n’apprécie guère le fait qu’ils parlent des problèmes de leur pays. Asghar Fahardi a subi de nombreuses pressions de la censure et s’est vu interrogé de nombreuses fois. Jafar Panahi voit tous ses films interdits à la projection dans son pays, a été emprisonné plusieurs fois, a fait la grève de la faim pour protester et s’est vu interdire de sortir du pays et de réaliser des films pendant 20 ans, ce qui ne l’empêche pas de tourner clandestinement.

Et puis, il y a le cas Mohammad Rasoulof. Ce dernier a réalisé des films comme Les manuscrits ne brûlent pas, qui traitent de meurtres d’écrivains et journaliste iraniens, Un homme intègre, qui parle de corruption, ou bien Le diable n’existe pas, Ours d’or à Berlin ayant pour sujet la peine de mort et le libre arbitre. Évidemment, avec des sujets comme ça, il a du mal avec les autorités. Il a notamment été condamné à la prison en 2010 avec Jafar Panahi pour « actes et propagande hostiles à la République islamique d’Iran », et il a reçu une autre condamnation le 8 mai 2024 pour « collusion contre la sécurité nationale », où il risquait huit ans de prison. Il s’est cependant enfui en France, pouvant assister à la projection de son dernier film, Les Graines du figuier sauvage, au Festival de Cannes, où il a obtenu un Prix spécial du Jury.

S’attaquer à la politique

Et il propose ici un autre brûlot politique, racontant l’histoire d’Imam, un père de famille qui se voit promu enquêteur au tribunal révolutionnaire de Téhéran. Un nouveau statut qui permettrait à lui, sa femme et ses deux filles adolescentes une meilleure vie. Cependant, il découvrira bien vite que ce métier n’est pas aussi idyllique qu’il pensait, et qu’il pourrait même être dangereux pour lui et sa famille. De plus, ses filles se voient impliquées dans le mouvement Femmes, Vie, Liberté lorsque des manifestations contre le port du hijab commencent dans tout le pays, ce qui complique la situation familiale.

Le réalisateur démontre non seulement l’oppression faite sur les femmes en Iran, mais aussi comment l’idéologie du pays peut mettre à mal les valeurs de sa population. Ici, le nouveau poste du père qui promettait une meilleure vie à la famille est en réalité un cadeau empoisonné, une chaîne qui retient les idéaux du père et qui enferme sa famille dans une vie imposée par les croyances de leur nation. Les adolescentes en quête d’identité voient leurs opinions, relations et même comportements fortement contrôlés pour ne pas se mettre en danger par le système qui leur promettait du bonheur, tout en créant un fossé entre elles et leurs parents aux pensées plus traditionnelles.

Tensions

Rasoulof montre aussi de plein front les tensions dans son pays, surtout concernant les manifestations du film basées sur de véritables émeutes suivant la mort de Mahsa Jîna Amini, arrêtée pour « port de vêtements inappropriés » et morte trois jours après avoir été battue par des policiers. Le film met en opposition les médias traditionnels du pays, censurés et divulguant de fausses informations, et les médias sociaux, un abri pour la nouvelle génération pour partager des images remplies de vérité. Le réalisateur a d’ailleurs la bonne idée de monter de véritables captations vidéo des manifestations, que ce soit les actions de protestation ou bien les répressions policières qui suivirent.

La dernière partie transforme complètement le film en un drame familial, quand une situation mettant à mal la situation du père a lieu. Rasoulof met en scène la séparation entre le père, aveuglé par des principes qui lui font justifier des actions questionnables, et le reste de sa famille, trois femmes qu’il aime, mais qu’il finit par opprimer. Cette dernière partie est quand même la plus faible du film, surtout avec des choix scénaristiques ou de mise en scène qui contrastent avec le reste du film.

Les Graines du figuier sauvage est non seulement un excellent thriller et drame familial, c’est aussi un long-métrage important, que ce soit pour son message politique, pour l’histoire entourant son réalisateur ou juste par le fait que ce film existe.

Les Graines du figuier sauvage est présenté au FNC les 13 et 19 octobre 2024.

Bande-annonce