Là_d_où_l_on_vient - Une

[FNC] Là d’où l’on vient – Sait-on jamais qui on est, sommes-nous bien sûr d’être?  

Aïcha vit dans un village reculé du nord de la Tunisie avec son mari Brahim et Adam, son adorable fils de 8 ans. 

Là d'où l'on vient - Affiche

La famille est bouleversée par le départ des fils aînés, Mehdi et Amine, qui ont fugué vers l’étreinte violente de la guerre. Lorsque Mehdi revient de manière inattendue avec une femme mystérieuse, une force destructrice survient et menace de consumer tout le village. Aïcha est alors déchirée entre son amour maternel et son besoin de vérité. 

Ce cadre familial intimiste sert de toile de fond à une exploration plus large des enjeux sociétaux contemporains.

Un microcosme villageois face aux défis du monde moderne

Atmosphérique, pesant, mystique, étouffant. C’est les sensations prédominantes accompagnant le visionnement de Là d’où l’on vient. Le premier film de Meryam Joobeur ne laisse guère indifférent au vu des multiples thématiques abordées et la manière dont elles sont imbriquées. 

Fort de son passage durant les Berlinale lors duquel il concourait en compétition officielle, Là d’où l’on vient suit la même lignée que Brotherhood, le précédent court métrage de Meryam Joobeur. L’histoire, de par son esquisse d’une famille rurale tunisienne à travers les yeux de la mère Aïcha meurtrie par le départ abrupt de ses deux fils aînés, explore non pas les causes de leur départ, mais plutôt leurs conséquences.

Là d'où l'on vient - Un microcosme villageois

Le film concentre son énergie à explorer les aspérités humaines et surtout féminines de « la perte » d’un membre de la famille. La caméra suit le regard de son personnage, décortique ses gestes, l’enferme dans une prison mentale malgré la grandeur des paysages qui se dressent devant elle. Cette approche aperçue dans Brotherhood est largement renforcée dans le film.

Meryam Joobeur propose un voyage sensible et sensoriel aux confins de l’âme humaine. Mais le voyage, bien que poétique et dessiné sous une lumière bleutée, s’avère âpre. Non pas par les images montrées, mais plutôt par la complexité des sujets traités. C’est sur ce point que le film pèche un peu. Invitant à la réflexion, Là d’où l’on vient possède diverses couches de lecture qui se confondent au point d’être abordées parfois de manière disparate.

Les relations familiales, le deuil, l’enfance, les figures paternelle et maternelle, la religion, l’émancipation : la passion de la réalisatrice pour les dynamiques familiales transpire de l’écran. Peut-être beaucoup trop pour un seul film, peut-être au point que la sensation d’étouffement flirte avec l’ennui.

« […] Après tout, la société est essentiellement une grande famille. Si nous pouvons surmonter les problèmes de communication et d’idéologie au sein de nos propres familles, peut-être pourrions-nous appliquer les mêmes principes à une échelle plus grande et plus complexe. Les défis que nous rencontrons au niveau micro se manifestent souvent au niveau macro […] »   

Meryam Joobeur

Si la complexité des thèmes abordés peut parfois sembler écrasante, c’est précisément dans cette richesse que le film puise sa force pour orchestrer le retour déstabilisant de Mehdi.

La mélodie dissonante du retour

Malgré tout, le film maintient la cohérence de sa trame scénaristique et fait ressortir l’enjeu essentiel du film, à savoir le sentiment d’appartenance. Le cœur du film est bien notre propre rapport personnel à notre vie et à notre famille. Pour qui vit-on? Comment se construit le sentiment d’appartenance? Quel sens donner à notre existence? 

Là d'où l'on vient - La mélodie dissonante

La question est bien entendu complexe, mais le microcosme familial que propose la réalisatrice s’inscrit élégamment dans la nuance bien loin des clichés classiques de la famille maghrébine. La mise en scène, au-delà de son approche étouffante, garde une posture contemplative. Déconstruit les différents points de vue de chaque membre de la famille pour y ressortir la blessure commune. 

« J’étais curieuse des blessures familiales et personnelles qui pourraient attirer quelqu’un vers une idéologie extrême. » 

Si le film maintient intentionnellement cette approche nébuleuse, c’est pour la renforcer avec une dimension mystique. Cette dernière donne une tout autre tournure au film avec le retour de Mehdi (le fils aîné), se transformant en un thriller psychologique où rêve et réalité s’entremêlent. Où les aspérités de chacun se confondent avec la réalité de l’autre. Le film donne à sa tragédie un tel côté poétique que son drame et sa violence en sont plus percutants.  

Cette dimension mystique qui s’installe avec le retour de Mehdi ne fait qu’accentuer la confrontation brutale entre les aspirations individuelles et les attentes familiales, révélant ainsi les blessures profondes qui sous-tendent les choix de chacun.

Les récifs tranchants de la mémoire 

« […] Bien que les frères rejoignent l’État islamique, mon intention était de l’aborder d’une manière plus universelle, soulignant que cela ne se limite pas à l’extrémisme islamique, mais est indicatif du fondamentalisme en général. J’étais curieuse des blessures familiales et personnelles qui pourraient attirer quelqu’un vers une idéologie extrême […] » 

En confrontant les rêves et la réalité de chaque personnage, surtout pour Aïcha, le film fait jaillir son désir de communauté. Voulant à tout prix croire que sa famille est et sera toujours la même, Aïcha cache son fils aîné à la police dans un élan de déni. Cette sorte de recherche de la sécurité dans un contexte de peur pousse chaque personnage à intérioriser ses véritables sentiments.

Là d'où l'on vient - Les récifs tranchants

Cette intériorisation des sentiments a des conséquences : le non-dit finit par inonder la mémoire. Le film explore ainsi comment les secrets et les émotions refoulées peuvent affecter profondément les dynamiques familiales et la perception de la réalité de chaque personnage.

C’est dans ce jeu complexe entre mémoire et oubli, entre désir de préserver l’unité familiale et besoin de vérité, que le film trouve sa résonance la plus profonde.

L’écume des souvenirs sur le rivage de l’oubli

Dépouillé de son décor, mais riche de ses personnages, Là d’où l’on vient paraît comme une suite directe à Brotherhood. Ayant des allures de conte mystique, le film invite le spectateur à comprendre ses personnages à observer plutôt que de regarder. Meryam Joobeur, pour son premier long métrage, esquisse un style de réalisation qui mérite encore d’être peaufiné pour en faire ressortir tout son potentiel. 

Au final, Là d’où l’on vient ne se contente pas d’explorer une histoire familiale particulière, mais nous invite à une réflexion plus large sur nos propres racines et notre quête d’identité.

Là d’où l’on vient est présenté au Festival Fantasia, les 11 et 12 octobre 2024.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Mé El Aïn ( ماء العين)
Durée
118 minutes
Année
2024
Pays
Québec / France / Tunisie
Réalisateur
Meryam Joobeur
Scénario
Meryam Joobeur
Note
7 /10

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Fiche technique

Titre original
Mé El Aïn ( ماء العين)
Durée
118 minutes
Année
2024
Pays
Québec / France / Tunisie
Réalisateur
Meryam Joobeur
Scénario
Meryam Joobeur
Note
7 /10

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