THE SUBSTANCE

The Substance – Une critique viscérale des standards de beauté et de l’immortalité

« Pretty girls should always smile. »
[Les jolies filles devraient toujours sourir.]

La substance - Affiche

The substance, dernier long-métrage de Coralie Fargeat (Revenge), s’impose comme une œuvre percutante et audacieuse, naviguant entre satire sociale et horreur corporelle. Ce film, inspiré de récits classiques tels que Frankenstein, Le Portrait de Dorian Gray, Dr Jekyll and Mr Hyde, et le film Sunset Boulevard de Billy Wilder (1950), Fargeat propose une réflexion contemporaine sur la quête de la jeunesse éternelle, le culte du corps et les dérives de l’industrie hollywoodienne.

Le film suit Elizabeth Sparkle (interprétée avec brio par Demi Moore), une ancienne star d’Hollywood dont la carrière s’éteint sous le poids de son âge. Le désespoir d’Elizabeth face à la perte de son statut public la conduit à adopter The substance, un mystérieux produit qui lui offre une nouvelle jeunesse et une chance de se réinventer sous les traits de Sue (Margaret Qualley), son double plus jeune, plus séduisant et prêt à conquérir les plateaux télévisés. Ce qui commence comme un rêve devient rapidement un cauchemar, où la distinction entre réalité et artifice, entre l’être et le paraître, s’efface dangereusement.

Avez-vous déjà rêvé d’une version améliorée de vous-même?

Le body horror comme catharsis et critique sociale

Coralie Fargeat s’inscrit pleinement dans la tradition du body horror, un genre particulièrement efficace pour traiter des angoisses liées au corps et à l’identité. Dans The Substance, les transformations physiques d’Elizabeth, devenant progressivement Sue, ne sont pas seulement dérangeantes visuellement. Elles symbolisent la violence systémique subie par les femmes, contraintes de se conformer aux attentes irréalistes de l’industrie du divertissement. Ces mutations corporelles reflètent un processus de mutilation psychologique et émotionnelle, illustrant la manière dont la société exige des femmes qu’elles sacrifient leur intégrité pour rester jeunes et désirables.

« À seulement 40 ans, on m’a amenée à croire que ma vie était finie, j’étais totalement convaincue que passé un certain âge, je ne vaudrais plus rien. »

Coralie Fargeat
THE SUBSTANCE

Les scènes de transformation, brutales et souvent insoutenables, évoquent directement Society de Brian Yuzna, où le corps devient une métaphore du consumérisme et de la déshumanisation. De la même manière, The substance montre comment les femmes à Hollywood sont littéralement « consommées » par les normes de beauté et les exigences du succès. Fargeat parvient ainsi à transformer l’horreur corporelle en une réflexion sociale : les femmes doivent se remodeler, s’effacer dans un idéal inaccessible pour préserver leur place dans l’industrie.

« Je ne connais aucune femme qui n’entretienne pas de relation compliquée avec son corps, qui n’a pas connu un trouble de l’alimentation à un moment de sa vie, qui n’a jamais violemment détesté son corps ainsi qu’elle-même parce qu’elle ne ressemblait pas aux dictats imposés par la société, » s’indigne Fargeat.

Cette utilisation du corps comme un instrument de critique rappelle également les œuvres de David Cronenberg, où la métamorphose et la fragmentation de l’identité à travers la chair sont des thèmes récurrents. Chaque injection du produit The Substance entraîne Elizabeth/Sue vers une désintégration physique et psychologique. Ces transformations multiples révèlent une perte progressive de soi, où le corps devient le champ de bataille d’une quête de perfection destructrice. Comme chez Cronenberg, la chair dans le film de Fargeat n’est pas simplement un spectacle visuel, mais le miroir de nos angoisses existentielles. 

Comme dans Carrie de Brian De Palma ou Shining de Stanley Kubrick, Fargeat fait de l’horreur un outil de réflexion, où l’effroi dépasse le simple choc visuel pour devenir le véhicule de thèmes plus larges. Elle s’empare ainsi des peurs collectives liées à la dégradation du corps et à la perte d’identité, tout en questionnant les normes de beauté qui façonnent et aliènent les individus dans un contexte médiatique saturé.

La transformation d’Elizabeth en Sue fait également écho à la dualité intérieure explorée dans Dr Jekyll and Mr Hyde. D’un côté, Elizabeth est une femme vieillissante et marginalisée par l’industrie, tandis que Sue incarne la version rajeunie et séduisante, conforme à l’idéal toxique de beauté. Ce dédoublement reflète le conflit interne d’Elizabeth, un peu comme celui du Dr Jekyll, dont l’alter ego Hyde finit par devenir un monstre incontrôlable. Sue, en cherchant à contourner les règles pour échapper à la condition humaine, finit par devenir son propre ennemi.

Cette obsession de transcender les limites de la condition humaine rappelle également Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Comme Dorian, Sue cherche à préserver une apparence éternelle, mais perd progressivement contact avec sa véritable identité. Ce désir de perfection entraîne une dégradation morale et psychologique, exacerbée par la violence qu’elle exerce sur elle-même et les autres. Fargeat revisite ici la thématique du pacte faustien, en exposant les dangers d’une quête de jeunesse éternelle dictée par une société obsédée par l’apparence.

Le film soulève une question essentielle : que devient l’individu lorsque son corps, vecteur de son identité, est réduit à un simple produit de consommation? 

The Substance - Critique industrie hollywoodienne 2

À travers ce film, elle lance également un cri d’alarme : « il est grand temps de briser ces carcans, car comment est-il possible que de telles injonctions persistent encore en 2024? »

La critique de l’industrie hollywoodienne : un miroir déformant

Au-delà de l’horreur physique, The Substance aborde avec acuité les standards irréalistes imposés aux femmes dans le monde du spectacle. Le choix de Demi Moore pour incarner Elizabeth, une actrice en quête désespérée de jeunesse éternelle, est à la fois pertinent et symbolique. Moore, qui a elle-même fait face à des critiques pour son recours à la chirurgie esthétique, incarne avec une grande vulnérabilité la pression incessante de l’industrie à maintenir une image de jeunesse et de perfection. Le film met ainsi en lumière l’invisibilisation des femmes à Hollywood à mesure qu’elles vieillissent, une thématique rarement explorée avec une telle frontalité.

Le personnage de Harvey, producteur sexiste et manipulateur joué par Dennis Quaid, incarne quant à lui une représentation délibérément caricaturale du male gaze omniprésent à Hollywood. Ce personnage sans vergogne, à l’aise avec sa propre vulgarité, exploite sans remords les femmes autour de lui. Par ce biais, Fargeat illustre de manière incisive le patriarcat ancré dans l’industrie, où la valeur des actrices est constamment liée à leur apparence et à leur conformité à des standards de beauté dictés par des regards masculins. Harvey est le visage de ce système, un symptôme d’une industrie qui objectifie et consomme les corps féminins, sans considération pour la personne derrière l’image.

The Substance - Critique industrie hollywoodienne
Harvey (Dennis Quaid)

Dans The Substance, l’utilisation du male gaze va au-delà de la simple représentation de la sexualisation des corps féminins. Fargeat s’en sert pour critiquer frontalement l’hyper-sexualisation des femmes, illustrant à quel point cette violence est souvent normalisée et invisibilisée. Les scènes sexualisant les personnages féminins ne sont pas de simples provocations, elles soulignent cette réalité oppressante, mettant le spectateur face à une vérité souvent ignorée.

Une œuvre entre fascination et répulsion

Fargeat exploite la mise en scène avec une audace qui frôle la transgression, en repoussant les limites visuelles pour créer une œuvre d’une intensité remarquable. À travers des séquences où l’excès atteint presque le grotesque, elle use de plans sur des corps disloqués, des transformations physiques saisissantes, et des jaillissements de sang qui ne sont pas sans rappeler le théâtre macabre du grand-guignol. Cependant, loin d’être gratuits, ces choix esthétiques servent une critique sociale profonde. En effet, The Substance transcende les simples effets visuels d’horreur pour offrir un miroir de nos angoisses contemporaines, en particulier celles liées à la perfection corporelle et à la quête de l’immortalité.

« Parce que je ne connais pas d’arme plus puissante que la satire pour montrer au monde l’absurdité de ses propres règles. Et plus important encore : je crois qu’il arrivera à point nommé ». 

Coralie Fargeat

Ici, l’absurde s’invite en crescendo, atteignant son paroxysme lors de la séquence culminante, une véritable explosion d’effets pratiques et de tension narrative. Ce moment charnière du film, où l’horreur se mêle à une forme de comédie noire, illustre à la fois la maîtrise technique de Fargeat et son audace à flirter avec la démesure. Ce basculement dans l’outrance révèle une volonté de subvertir les attentes du spectateur, en jouant avec les codes du genre tout en les réinventant. Cette approche, à la fois terrifiante et presque burlesque dans son exagération, renforce le caractère hybride du film : un spectacle à la fois cathartique et critique, où la frontière entre horreur et satire se dissout.

The Substance - Entre fascination et répulsion

The substance est une œuvre dérangeante, mais fascinante, qui ne laisse personne indifférent. Derrière ses effets viscéraux et son body horror (qu’on l’apprécie ou non) se cache une réflexion profonde sur le vieillissement, le désir d’immortalité et les dangers de se conformer à des standards inatteignables. En revisitant des thèmes classiques avec un prisme moderne et féministe, Fargeat propose une critique acerbe d’Hollywood et de la société contemporaine, tout en nous offrant un spectacle cathartique inoubliable. Ce film, par son originalité et son intensité, s’inscrit déjà comme l’un des grands moments de cinéma de l’année.

« Au bout du compte, voilà de quoi parle ce film. D’une libération. D’une émancipation. »

Coralie Fargeat

Sortie en salle le 20 septembre au Québec.

Bande-annonce  

Brève recommandation de films

  • Society – Brian Yurzna (1989)
  • Sunset boulevard – Billy Wilder (1950)
  • Videodrome – David Cronenberg (1983)
  • Triangle of sadness – Ruben Östlund (2022)
  • The fly – David Cronenberg (1986)
  • District 9 – Neill Blomkamp (2009)

Fiche technique

Titre original
The substance
Durée
140 minutes
Année
2024
Pays
Royaume-Uni / États-Unis / France
Réalisateur
Coralie Fargeat
Scénario
Coralie Fargeat
Note
9.5 /10

1 réflexion sur “The Substance – Une critique viscérale des standards de beauté et de l’immortalité”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Fiche technique

Titre original
The substance
Durée
140 minutes
Année
2024
Pays
Royaume-Uni / États-Unis / France
Réalisateur
Coralie Fargeat
Scénario
Coralie Fargeat
Note
9.5 /10

© 2023 Le petit septième